Chapitre 22

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 Les évènements suivants me semblent provenir d'un rêve. J'ai vu les garçons nettoyer la chambre d'hôtel comme des forcenés, comme possédés par la moindre tâche. Ils ont tout frotté: les murs, les meubles, la salle de bain. Yvan est allé acheter le nécessaire dans une petite supérette non loin d'ici. Ils ont enlevé les draps poisseux de sang et les ont mis dans de grands sacs poubelle. Par chance, les hôtels utilisent des protèges matelas si bien que ce dernier est intact. Les femmes de ménages trouveront surement très bizarre de constater un vol de draps mais le questionnement s'arrêtera là.
Le sol sur lequel Gustave s'est vidé de son sang était recouvert de carrelage. Je ne sais même pas si j'ai déjà vu des chambres d'hôtel avec un sol en carrelage... Dans tous les cas, cela a grandement facilité le nettoyage.
Je suis restée prostrée dans le coin, tout le temps. Complètement tétanisée par ce double assassinat que j'ai indirectement provoqué. Yves et Yvan ont été d'un calme phénoménal. Tout en œuvrant à faire disparaitre la moindre trace de sang de la pièce, ils me jetaient régulièrement des petits regards compatissants. Ils vérifiaient sûrement que je ne faisait pas un malaise.
Une fois leur labeur terminé, ils ont chargé dans la voiture tout ce qu'ils avaient acheté, nos affaires et les sacs poubelles derniers vestiges des vies humaines que nous avons abrégées.
Les deux hommes se sont regardés et on chuchotés quelques secondes en me regardant brièvement. J'étais complètement ailleurs. Comme si je n'étais plus dans mon corps. Je ne pleurais plus, c'était déjà un progrès. Yvan s'est approché doucement de moi. Comme l'aurait fait quelqu'un qui essaie d'attraper un chat errant terrorisé. Il s'est accroupi pour avoir son visage à la hauteur du mien.
Mes genoux relevés contre ma poitrine cachent le bas de mon visage. Je tiens mes jambes en les entourant de mes bras, doigts croisés sur mes tibias. Voyant une forme devant moi, je lève les yeux qui se posent sur ceux de Yvan qui me dit doucement en posant ses mains sur les miennes:

- Alexandra, tu veux bien te lever et venir avec nous. On va rentrer à la maison maintenant.

Comme un pantin, je le laisse décroiser mes mains et m'aider à me lever en m'aidant sur ma gauche. Voyant que je coopère, Yves s'approche et vient me soutenir à ma droite.
Ils m'installent à l'arrière et prennent place à l'avant. Nous partons de cet endroit de malheur et après quelques minutes, je sombre dans un profond sommeil malgré ma lutte pour garder les yeux ouverts.

Je me réveille dans mon lit, dans ma chambre. Quand j'ouvre les yeux, il fait grand soleil. Je n'ai aucune idée de l'heure, encore moins de la date. Je suis tournée sur le côté face à ma fenêtre. Je vois les feuilles d'arbres danser sous la douce musique du vent. Je trouve ce spectacle toujours aussi joli quand tout me revient d'un coup et la vague d'angoisse qui me submerge me force à fermer les yeux. Je me recroqueville en boule en forçant la fermeture de mes yeux émettant un gémissement que je croyais inaudible. J'entends le sang pulser dans mes oreilles mais par dessus, un froissement de tissus me laisse imaginer le pire. Je me demande qui est là, je ne sais pas si je peux me retourner quand je sens une douce chaleur m'envelopper par derrière. Je reconnais aussitôt le parfum de Yvan et sa voix finit de m'assurer que je suis en sécurité:

- Je suis là bébé, tout va bien, n'aie pas peur. Tout est fini, tout va bien.

Je sanglote mais je ne sais plus si c'est l'effet de la peur, de la culpabilité, de la fatigue ou même du soulagement. Je ne sais même pas ce que je ressens mais je n'ouvre pas la bouche et emmagasine la chaleur de Yvan. Je suis à la maison dans ses bras. C'est tout ce qui compte. Je me laisse bercer par sa respiration. Sa poitrine contre mon dos se soulève à intervalle régulier et cela me rassure. Son souffle dans ma nuque me chatouille mais pas de façon désagréable. J'aime cette sensation. Je me blottie encore plus contre lui et je sens mon cœur ralentir. Le poids dans ma poitrine s'apaise et ma respiration suit la cadence.
Après quelques minutes en silence, je me décide enfin à me tourner et lui faire face. Il m'observe, épiant chaque trait de mon visage, essayant de distinguer la larme avant qu'elle ne coule.
Je plonge dans son cou en me fondant en excuses. Je pleure à nouveau. Je me demande comment c'est possible d'avoir autant de larme dans ce corps?
Il passe ses mains dans mes cheveux. J'ai peur de sa réaction, peur qu'il ne m'en veuille de l'avoir obligé à commettre le plus terrible des actes. Peur qu'il ne me déteste même si sa présence ici semble montrer le contraire. Il est peut être simplement venu me dire Adieu. Je suis terrorisée, pleine de culpabilité.
Il se recule en prenant mon visage entre ses mains et je garde les yeux fermés, je n 'ose pas croiser son regard.

- Regarde moi, s'il te plait, chuchote t-il.

Je me décide enfin à ouvrir les yeux.

- Tu n'as pas à t'excuser Alex. Rien de tout cela n'est de ta faute. Tu as fait tout ce que tu pouvais mais Karina était complètement à côté de la plaque. Tu n'as rien fait de mal.

- On a tué ces gens. On a ôté la vie à deux personnes. C'est la pire des choses. Ce que je t'ai obligé à faire parce que j'étais tétanisée par ce qu'on a fait. Je... ne pourrais jamais vivre avec cela Yvan... Cette culpabilité.. elle va m'anéantir.

- Alex... On n'avait pas le choix. C'était eux ou nous! Yves a pris la meilleure décision qui soit. S'il n'avait pas ... réglé le problème de cette façon, elle aurait continué et elle aurait fini par y arriver. D'une façon ou d'une autre. Dans tous les cas, on perdait si elle restait en vie.

Il me serre dans ses bras et me chuchote à l'oreille:

- Tu vas t'en remettre parce la vie t'offre une seconde chance. Une chance de corriger les erreurs que tu n'as pas encore commises. Tu vas profiter de cette vie à fond, je te l'ordonne. 

Il laisse passer un silence puis reprend:

- Je t'aime comme un dingue et je ne laisserai plus jamais personne mettre ta vie en danger. Tu entends?

Je hoche la tête et pleure, encore. Je ne sais pas si je vais m'en remettre. Je m'endors à nouveau.

L'élément déclencheurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant