Chapitre 12

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Je me balance sur le fauteuil à bascule du salon. Einstein, sur mes genoux, ronronne aussi fort qu'un tracteur. Je regarde les étoiles par la fenêtre. La nuit est claire, toute la maison dort. Mes parents ne se doutent pas de ce que je suis en train de vivre ces derniers jours. Emma m'a appelé aujourd'hui mais je n'ai pas répondu. Je ne voulais pas lui mentir, rien ne se passe normalement, je ne peux pas lui raconter cette histoire de voyage dans le temps, ce choix cornélien qui se présente à moi. Elle ne me croirait pas, qui me croirait?
D'un autre côté, je n'arrête pas de dire à Yvan que le choix, visiblement, je ne l'ai pas.
Je ferai exactement ce qui est prévu, c'est à dire ce qui s'est passé dans la réalité de Yves. Il nous a expliqué que tout se passe toujours comme c'était prévu. Je ne peux rien changer! Yvan ne comprend pas, il dit que je n'y mets pas du mien. Lui et Yves sont supers copains. Je me sens à l'écart dans leur drôle de relation.
La solution serait que j'arrête mes études dès maintenant. Je ne peux pas faire cela. J'ai travaillé si dur pour avoir des notes excellentes dans toutes ces matières et j'aime tellement ce que je fais. Je sais que j'ai cela dans la peau, je suis faite pour cela. Ils ne peuvent pas me demander une telle chose.
Mais tous ces gens vont mourir. Je vais mourir.
Yvan m'a expliqué ce qu'il avait ressenti quand Yves est venu à la maison l'autre matin.

- La plus profonde tristesse que je n'ai jamais ressenti Alex! Je dirais même que cela allait plus loin, c'était du désespoir. Ta perte, j'ai ressenti ta perte, un vide, le néant! Il n'y a rien de plus douloureux que ça... Je suis anéanti, Alex, anéanti alors que tu es là devant moi en parfaite santé. Il faut que tu l'écoutes parce que je crois bien que ce qui se joue là, c'est l'avenir de l'humanité mais surtout le tien. Franchement la planète, je m'en cogne, mais pas sans toi!

Je ne sais pas s'il pense vraiment ce qu'il m'a dit, il ne se rend sûrement pas compte de ce qu'il dit.
D'un autre côté, j'ai du mal à imaginer que ma petite personne puisse anéantir une planète. Il doit bien y avoir une solution.
De toute manière, si moi je ne découvre pas cet élément, quelqu'un d'autre le fera à ma place. Yves a admis ne pas le savoir mais continue de me dire que je dois tout arrêter.

Je caresse Einstein en pensant à toute cette histoire, le ciel se couvre, je m'apprêtais à sortir pour mieux profiter des étoiles. Je me fais une raison quand j'aperçois une silhouette sur la terrasse. Yves...
Je sors donc le rejoindre.

- Dommage, dit-il en levant les yeux au ciel.

- Ouais, ce sera pour une autre fois.

On s'installe côte à côte sur le banc du petit salon de jardin.

- Alors quoi de neuf?

- Que du vieux!

Il sourit, laisse passer un silence puis souffle, comme abattu: 

- Tu as toujours voulu plus. Tu n'en as jamais eu assez avec cette planète.

Je le regarde sans répondre.

- J'ai tout essayé mais je n'ai jamais réussi à te faire changer d'avis.

- De quoi tu parles?

- Cela fait des années que je viens te voir, à différentes époque de ta vie. Je viens te voir de plus en plus tôt dans ta vie à chaque fois. J'ai fait un nombre de voyages dingues, dans un nombre de réalités aussi dingues. Je crois aussi que les voyages ont un impact sur le corps. Ou alors je vieillis.

Il rit en silence et je prends sa main, l'invitant à continuer.

- Je n'ai jamais réussi à changer l'avenir. Je n'ai jamais pu te raisonner. C'est mon dernier essai, je suis fatigué. D'autant que je n'ai plus le temps.

- Tu es malade?

- Non...

Il me regarde fixement puis reprend sa main pour se cacher le visage.
Est ce qu'il pleure? Ses épaules trésaillent. Je ne sais pas comment réagir. Je suis gênée mais je le prends dans mes bras. Je ne comprends pas ce qui le met dans cet état tout à coup.
Après un court instant, il se reprend. Puis chuchote sans me regarder:

- La planète je m'en cogne mais pas sans toi.

- Ouais... j'ai déjà entendu ça quelque part!

- Tu comprends toujours pas hein?

- Je vais tuer tout le monde, si, si, j'ai bien compris que tu n'avais pas confiance en moi! Je sais que je peux solutionner le problème des déchets. J'y arriverai!

- C'est toi que tu vas tuer! Tu te crois invincible, tu crois que tu vas réussir à passer entre les gouttes et trouver la solution au problème. A chaque fois, tu réagis de la même manière. Tu m'as fais jurer de ne rien te dire pour conserver ton libre arbitre mais je ne peux pas! Pas cette fois ci! Comme Marie Curie, tu vas te tuer au travail! Les chimiothérapies n'existent plus dans le futur, on ne sait plus soigner les cancers parce qu'on n'a plus rien, le monde s'est effondré et tu vas t'effondrer avec lui et tu ne trouveras jamais de réponse ni de solution aux problèmes que tu as créés.

Il soupire comme soulagé d'un lourd fardeau. Moi, je me suis reculée, choquée, vexée.

- C'est supposé me faire changer d'avis?

- Quand je suis parti, tu m'as dit que tu étais désolée et que tu regrettais de ne pas m'avoir écouté.

- Mais je n'avais pas toutes les informations que j'ai maintenant!

- Tu ne m'écoutes toujours pas. Si ta propre personne ne t'inquiète pas, si tu es prête à me laisser, penses aux milliards de personnes qui vont périr. Les radiations, la famine, les guerres pour l'eau et la nourriture, la violence, les maladies, le cannibalisme, l'esclavage... tu ne t'imagines pas ce que tu vas réveiller. Tu as déjà essayé de gérer les déchets dans une des réalités que j'ai visitée, avant que le problème n'existe, comme tu dis. Tu as merdé Alex, désolé de te l'apprendre. Mais tu peux encore rectifier le tir.

L'élément déclencheurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant