Chapitre 4

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Les jours suivant, je n'ai pas revu ce drôle de monsieur, j'ai fini par penser qu'il s'était rendu compte qu'il s'était trompé.
Aujourd'hui, journée pédagogique au lycée, je n'ai pas cours et maman a pris sa journée, elle voudrait qu'on passe une journée entre filles, l'occasion de passer du temps ensemble et elle souhaite me gâter pour mon anniversaire. Elle travaillait ce jour là alors elle voudrait se rattraper.
On se met donc en route pour le centre commercial à trente minutes de route de la maison. Maman me raconte ses histoires de patients et moi je lui parle du lycée. Elle est ravie d'apprendre que je suis toujours motivée par une filière scientifique. J'ai toujours aimé les sciences, j'ai envie d'en faire mon métier. D'autant que je suis allée à un forum des métiers avec le lycée et j'ai discuté avec un chercheur du CNRS, il m'a parlé de ses recherches au CERN sur les particules fondamentales, cela m'a passionnée. Peut être que je pourrais pousser jusqu'à faire de la recherche, qui sait ?
Nous entrons dans une librairie, maman et moi nous y séparons parce qu'elle aime les romances et moi je suis plus thriller ou fantastique. Je suis absorbée par la quatrième de couverture d'un roman quand mon attention est attirée par la présence d'un garçon à côté de moi. Nos regards se croisent et je ressens comme une déflagration dans tout le corps. J'ai vraiment l'impression de le connaître mais visiblement, lui ne me connaît pas. N'y tenant plus, je lui demande :

- Excuse moi, est ce qu'on s'est déjà croisé tous les deux ?

Il sourit.

- Hé ben... je croyais que cette tactique était réservée aux mecs un peu lourds. Je suis flatté ceci dit !

Comprenant l'impression qui se dégage de mon approche, je rougis :

- Ha non, non pas du tout, je ne te dragues pas. C'est juste que ton visage me paraît familier. Pardon, je dois me tromper. Dis-je en me détournant et surtout en fuyant cette situation très malaisante.

C'est alors que presque arrivée au bout du rayon il m'interpelle :

- Tu ne devrais pas le prendre !

Je me retourne sans comprendre.

- Le livre, dit il en désignant l'ouvrage que je tiens dans la main.

Dans mon embarras, j'avais oublié que je tenais toujours ce livre.

- Je l'ai déjà lu et il manque de rythme. Je ne te le conseille pas, reprit il avec un sourire.

- Ho ! Merci.

Revenant sur mes pas, je repose le livre à sa place et lui n'ayant pas bougé d'un centimètre m'en tend un autre : Abyss de Franck Schatzing.

- Tu l'as lu ? Il est génial, prends le tu ne seras pas déçue.

D'un sourire, je le remercie et me sauve rejoindre ma mère. Je la trouve au rayon des nouveautés. En l'attendant, je feuillette ce fameux bouquin, il en tombe un petit bout de papier sur lequel je lis un numéro de téléphone avec un petit smiley.
Je me sens rougir à nouveau. Je me suis ridiculisée et il me donne son numéro ! Je ne comprends pas ce qui m'a pris.
Après une journée complète de shopping et un petit restaurant entre filles nous rentrons à la maison, lessivées et chargées comme des baudets. J'embrasse ma petite maman pour la remercier en ajoutant que tout cela n'est pas nécessaire car je l'aime sans tout cela. Puis je monte prendre une douche.
En rangeant tous mes achats, je sors mon nouveau livre que je commence immédiatement. Captivée aux premières pages, j'attrape mon téléphone dans le but d'envoyer un texto à ce garçon. Après tout, je pense qu'il a du goût et doit avoir un peu de cervelle.

J'écris donc : Salut, j'ai commencé Abyss, merci pour le tuyau, j'accroche bien ! Alex.
Il me répond tout de suite qu'il est très content que le livre me plaise. Il s'appelle Yvan et est à la fac en deuxième année de physique. Nous discutons un moment par texto et il me propose de me rejoindre à la sortie du lycée demain pour aller prendre un café et discuter sciences et littérature. Sous le charme, j'accepte.

Après le dîner je me replonge dans mon livre et lis une bonne partie de la nuit.
Je finis par m'endormir, tard, je rêve du lycée décoré de partout pour mon anniversaire, tous les professeurs et les élèves sont surmontés d'un chapeau de fête et chantent joyeux anniversaire à mon passage. Emma coupe la parole du professeur de maths et annonce que le thème du bal de fin d'année sera les tueurs en série. Elle propose à Monsieur Heris de se déguiser en Jeffrey Dahmer. Tout le monde éclate de rire. Je regarde alors mon voisin de classe qui n'est autre que Yvan et me dit :

- T'es nulle Alex, je ne comprends même pas comment tu as pu ne pas me reconnaître, franchement, j'ai pas changé en dehors de mes fringues !

Je me réveille en sueur ! Mais c'était quoi ce rêve à la noix ? Assise dans mon lit, je cherche une bouteille d'eau au pied de mon lit quand soudain mon cerveau assemble les pièces du puzzle que mon inconscient a pris soin de mettre dans l'ordre et je comprends alors prise de panique que Yvan est le mec bizarre qui est venu chez moi le jour de mon anniversaire. Comment j'ai pu ne pas le reconnaître, effectivement.
Bon sang, j'ai rendez vous avec lui demain soir, je ne peux pas esquiver ce rendez vous, il sera à la sortie du lycée, il va forcément me voir ! Et si c'était un tueur en série ou un violeur ?
Je n'arrive pas à me rendormir, évidemment ! Je me lève avant que le réveil ne sonne et file sous la douche bien que j'en ai pris une hier soir. Je ne déjeune pas, j'ai une boule dans la gorge.
Mes parents sont déjà partis travailler, ce qui m'évite d'expliquer ma mine horrible.
Cela n'échappa pourtant pas à Emma :

- Mais Alex, ça va pas ? T'es malade ? Qu'est ce que t'as ?

- Pas dormi, pas envie de parler, c'est OK ?

Elle me serre dans ses bras et me glisse à l'oreille :

- Bien sûr, je serai là quand tu en auras envie, tu le sais !

Et elle m'embrasse bruyamment sur la joue.
Voilà pourquoi c'est mon amie. Elle peut être mon opposée en étant extravagante, excentrique et bruyante mais elle sait mieux que quiconque quand j'ai besoin d'espace et le respecte.
Je lui serre la main en guise de remerciement et nous allons en cours.
La journée est longue et j'oscille entre angoisse, à sursauter au moindre claquement de porte sous l'œil inquiet de mon amie et résignation ne sachant vraiment pas comment me sortir de cette situation. Je pourrais en parler mais j'ai tellement peur de passer pour une hystérique que je n'ose rien dire à personne. Emma doit partir plus tôt pour un rendez vous médical. Je ne lui ai rien dis, de toute façon, elle ne pourra pas me soutenir ce soir. En partant elle me fait signe de s'appeler ce soir avec sa main. Je lui fait oui de la tête en me disant que peut être, ma tête ne sera plus accrochée à mon corps ce soir. L'angoisse monte. Je suis la reine pour broyer du noir, décidément.
Arrive l'heure fatidique. Je sors du lycée quasiment à reculons. Il fait un soleil d'enfer et tout le lycée sort pour rejoindre la plage à deux pas, c'est vendredi, la soirée commence maintenant. Je vois donc une masse humaine se diriger vers la ruelle à droite du lycée et je distingue Deux personnes fixes face au lycée de l'autre côté de la rue. On dirait des clones. L'un est debout, fier avec une marguerite dans la main. L'autre a l'air de se cacher sous un arbre comme s'il guettait sans se montrer. Je vois double. Ils se tiennent à quelques mètres l'un de l'autre mais ne semble pas se rendre compte de leur présences respectives. Ils me regardent tous les deux.
Celui avec sa marguerite, c'est Yvan, le gars de la librairie, sous l'arbre c'est celui qui est venu chez moi le jour de mon anniversaire. Je reconnais sa drôle de tenue et son air sale.
J'ai la sensation que le sol se dérobe sous mes pas. Je réfléchis à cent à l'heure. Je me suis fait un film dans ma petite tête. Yvan n'est pas un malade. C'est juste un mec normal.
Je note quand même la ressemblance frappante entre eux. C'est peut être son père qui l'a déposé ici et ... n'importe quoi ! Yvan est un adulte, il n'a pas besoin de son père pour l'emmener à un rencard. Je ne comprends rien du tout. Mais je me dirige vers Yvan, comme aimantée, en regardant ce drôle de bonhomme qui se cache sous son arbre.

- Salut, me dit tout doucement Yvan.

J'aime bien sa façon de me parler.

- Salut.

Il me tend sa marguerite avec un sourire, je le remercie et nous partons à pied vers un petit troquet tout près du lycée. En m'éloignant, je jette un œil discret vers ce mystérieux bonhomme et je m'aperçois qu'il est parti.

L'élément déclencheurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant