CHAPITRE 1

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Je rangeais les couvercles avec une vitesse fulgurante, prise dans la panique à cause du monde qu'on avait ce soir. Tante Broucline servait un groupe d'hommes dans un coin de la pièce. Je lis la prochaine commande et monologuai aussitôt :

- Trois verres Du malice, et deux cocktails Artifice

Je soufflai aussitôt, affaiblie à cause de tous ces brouhahas des clients, et les cacophonies des couvercles grinçant contre les assiettes. Il est vingt-six heures, il me reste encore sept heures pour atteindre les trente-deux heures de la journée. C'est épuisant de travailler dans un bar et une auberge, mais au moins on gagne suffisamment pour entretenir notre maison et manger à notre faim.

Le plus gros désavantage, c'est que la plupart de nos clients sont soi-disant des Gentlemans, alors que ce sont les plus gros imbéciles sur terre.

Lorsque je commençais à préparer les ingrédients, mes oreilles entendaient des talons claquer contre le sol. Je me retournai d'un geste prompt vers la voix féminine qui m'interpella :

- Mademoiselle Doragon, puis-je converser avec vous un instant ?

Je me souvenais de cette femme qui était venue me voir il y a quelques jours. Sa robe rose raffinée mettait en valeur son élégance. Je m'approchai d'elle d'un pas lent, avant de poser mes mains sur le comptoir du bar et lui répondre :

- Appelez-moi Annabella, Lady Joyce

Après s'être installée, je lui informais que je n'avais quelques minutes à lui accorder, puisque ma tante et moi avons un bon nombre de personne à servir ce soir. Elle hocha la tête, puis attira ma curiosité quand son regard dévia chaque coin de la pièce. D'une discrétion à n'en pas douter, elle sortit un bon nombre de billets puis le glissa vers moi.

Je ne mis pas longtemps à comprendre que cette dernière voulait me remercier pour le service qu'elle m'avait demandé.

- Dix milles pezos, pour vous remercier de votre bonté d'âme mademoiselle

J'écarquillai les yeux et les refusai aussitôt. Mon aide n'a pas été établie pour y gagner une offre financière, mais pour protéger les femmes du fléau qui les entoure : les hommes. Je ris même intérieurement en ayant entendu "votre bonté d'âme", quelle ironie !

- Si, j'incite !

- Ce n'est pas un job, Lady Joyce

Elle gloussa en entendant mes dernières paroles, et ne tarda pas à rétorquer :

- C'est marrant de dire ça alors que vous avez tué mon ex mari, et ce n'est pas votre premier meurtre

Sa main emprisonna le verre de champagne pour le joindre à ses lèvres. Son regard était révélateur de machiavélisme, mais je gardais mon sang froid et lui répondis :

- Votre mari était un homme violent, et je sais qu'aucun homme de ce genre ne doit être libre de respirer calmement, commencé-je, je ne tue pas par intérêt mais pour protéger ma gente

J'allai me lever de ma chaise mais sa main se posa sur la mienne, me figeant sur place. Mes yeux se posèrent sur elle quand celle-ci commença à m'avouer :

- Acceptez mon offre, vous avez sauvé tellement de femmes dans la région. Vous méritez un peu de générosité.

Non, je ne suis pas une héroïne.

Je suis l'ennemie de tous les mauvais hommes depuis quatre ans. Dans l'Ancien-Est, les femmes qui y survivent sont les plus chanceuses, mais elles finissent sans aucun doute traumatisées par ces démons.

Sexiste, pédophile, violeur, anti-féministe... j'en ai vu de toute les couleurs depuis ma naissance. Ici dans l'Ancien-Est, si une femme n'arrive pas à se protéger, elle ne survivra pas.

La plupart d'entre elles, utilisent leur pouvoir pour se défendre, d'autres ont une protection masculine, ce qui leur permet de rester en sécurité ; puis il y a celles... qui n'ont pas d'autres choix qu'en venir aux mains lors des attaques. Sans mes armes je serais déjà morte, et malheureusement ma tante n'a jamais pu m'enseigner les arts martiaux.

Les femmes vivent l'enfer ici. J'ai voulu attendrir ce lieu, en assassinant ceux qui sont indignes de rester en vie, et ainsi amener les femmes vers le chemin de la sécurité.

- Anna ? Quelle surprise

Je me tournai vers l'homme qui m'interpellait, un souffle de lassitude sortit de mes lèvres quand je découvris que c'était Charles.

- Annabella, rectifié-je d'un ton hostile.

Croisé mon ex lors d'une soirée fatigante me complique la tâche, de plus que je n'arrive pas à convaincre cette dame de reprendre son argent. Je fais tâche de glisser les billets vers Lady Joyce avant qu'il se rende compte de cet échange. Il s'assit à côté de moi avant de continuer :

- Toujours aussi détestable... 

- Ferme là et dis moi ce que tu veux, lui coupé-je la parole sans aucun scrupule.

Je remarquais ses doigts se crisper contre sa bière, mais cela ne l'empêchait pas de marmonner "j'ai eu ma réponse".

Je ne reste pas indifférente face à lui, je le devrais pourtant. Notre amour de jeunesse remonte à nos quinze ans, malgré les tourments que j'avais vécu, Charles a réussi à me séduire. Il a été ma première fois, avant qu'il ne me trompe.

- Et ça ne répond pas à la mienne, repris-je déterminée.

- J'entend des rumeurs circulées et je voulais savoir s'il était ici

Lady Joyce et moi nous détournons le regard vers l'une et l'autre, les sourcils froncés se dessinant sur notre visage. Les habitants circulent des histoires qui se déforment de voix en voix, mais jamais je n'aurais pu penser que cela intéresserait Charles.

- Quoi ? Vous n'avez pas entendu parler de l'étranger ?

- Quel bobard racontez nous vous ? s'esclaffa Lady Joyce.

Tandis que j'amenai mon verre entre mes lèvres, il se pencha un peu en avant pour nous raconter la suite :

- Un être de la foudre serait en ville

Je faillis m'étouffer puis commençai aussitôt à tousser, étonnée par ces rumeurs inhabituelles.

- Mais les êtres de foudres ne peuvent pas venir ici, en tout cas pas pour le tourisme, songeait la dame, curieuse.

Tandis que ma gorge se calmait, Charles continuait la discussion avec Lady Joyce :

- Pensez-vous qu'il soit un espion ?

- S'il cherche des informations, ça serait dans la Nouvelle Est, là où demeure notre chère reine Faloh

Les dernières paroles de Lady Joyce sonnaient avec ironie, et me laissaient penser qu'elle ne l'appréciait pas.

Mais elle avait raison, les êtres de foudre ne peuvent pas traverser nos frontières ; en raison des conflits entre notre reine du feu, Faloh, et la reine de la foudre, Astra. A moins que l'être ait des explications valables et qu'elles aient été acceptées.

Charles soupira d'agacement, je commençai à sentir sa critique politique arriver. Je n'eus pas tord.

- De toute manière, notre reine ne fait aucun effort pour arrêter le conflit, ça dure depuis trois ans !

- Ce que je crains, c'est une guerre, avoua Lady Joyce en buvant son verre.

- Une guerre serait trop risqué entre les deux Etats, le Royaume du feu est soit très puissant, mais il ne faut pas sous estimer le Royaume de la foudre

- Vous oubliez qu'elles sont sœurs, m'intégré-je dans la conversation, vous pensez vraiment qu'elles veulent s'entretuer ?

Je fus interrompu par le grincement du bois derrière moi, qui était d'une indiscrétion à n'en pas douté. En me retournant je vis que la porte était grande ouverte, et une personne se tenait devant cette entrée.

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