Chapitre 3 - Rim

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Ce soir est enfin l'une de ces soirées spéciales auxquelles j'aime particulièrement participer. Enfin, je suis dans le droit de me battre contre les hommes, de faire couler encore plus de sang. C'est le moment d'être moi-même, me limitant seulement à ne pas commettre de meurtre. Je ne suis pas prête à ça. Je viens ici pour m'amuser, pour me faire ressentir des choses, pour me rappeler que je suis en vie. Je me souviens encore que je n'avais que douze ans quand j'ai demandé à mes parents de m'inscrire dans des cours conventionnés de MMA. Déjà à l'époque, les hommes me faisaient peur et je voulais être certaine de pouvoir me défendre en cas d'agression. C'est ça, être une femme dans notre société. Mais ici au moins, je peux faire ce que je veux sans jamais avoir peur que qui que ce soit me fasse du mal. Ici, il n'est pas question d'agression. C'est la seule règle que nous avons c'est qu'en dehors de la cage, la moindre violence est intolérable, résultant d'une expulsion immédiate.

J'aimerais que cet endroit soit seulement un lieu où des passionnés de violence et d'adrénaline puissent se retrouver pour vivre les sensations tous ensemble, mais toujours dans des conditions respectables. Malheureusement, il y a toujours des hommes pour venir tout gâcher à cause de leur testostérone trop élevée. Heureusement pour certains, malheureusement pour d'autres, rien n'est interdit une fois dans la cage, sauf l'abandon. Soit tu te bats, soit tu laisses l'adversaire gagner. Mais jamais au grand jamais personne n'en sortira avant.

— T'es prête ? me lance Billy dans un sourire.

De l'autre côté de la cage se trouve Thunderstrike*. Il échauffe ses muscles et me lance un regard menaçant. Depuis la dernière fois où une telle soirée a eu lieu, ses entraînements ont doublé d'intensité, dans l'espoir d'être cette fois capable de me battre. Pourtant, je suis tout à fait certaine que ce n'est pas aujourd'hui que cela arrivera. Je l'ai observé lors de ses derniers combats et ses failles sont encore bien trop nombreuses. Il a beau s'acharner, il ne comprend pas ce qu'il doit améliorer. S'il continue à vouloir développer ses points forts, il ne gagnera jamais. Parce que cela ne fera jamais disparaître ses points faibles.

— Ouais. Il va me donner un peu de fil à retordre, mais je vais gagner.

— Je n'en doute pas, affirme-t-il en m'adressant un clin d'œil.

Je souris. Il a été le premier à croire en moi lorsque j'ai débarqué, un soir d'hiver. J'avais entendu parlé d'un endroit où des combats illégaux étaient menés. Je n'étais pas certaine d'où je mettais les pieds, mais je savais que je voulais combattre. Je venais seulement d'emménager à Toulouse, je ne connaissais rien ici et j'étais arrivée trop tard pour entrer dans un club conventionné. Au début, je me demandais si c'était réellement une bonne idée que de se pointer dans un tel endroit et me battre de manière clandestine. Puis j'ai réfléchi. Je me suis rappelée que depuis longtemps, mes combats ne me faisaient plus rien ressentir. C'était devenu la routine de gagner, de me mesurer contre des gosses qui n'auront jamais le même niveau que moi. J'avais ça dans le sang, mais personne de mon niveau à qui me mesurer. Je me souviens encore combien j'ai aimé cet endroit dès l'instant où j'y ai posé mon pied. Dès que j'ai vu la violence des combats, j'ai su que j'étais au bon endroit, j'ai su que jamais je ne retournerais à la vie calme que j'avais avant, où les rencontres n'avaient plus rien de distrayantes.

Et après plusieurs années, je suis toujours là. J'ai rapidement gagné la confiance des parieurs, battant chaque rivale, les unes après les autres. Puis, lors des soirées mixtes, j'ai mis à terre chaque homme. Alors, je suis devenue leur championne, celle dont tout le monde connaît le nom, celle qu'on rêve de battre, celle qu'on veut voir souffrir, être détruite. Mais celle à qui cela n'arrivera jamais, parce que personne n'est capable de me vaincre.

Alors j'attrape mes gants et mon protège-dents. J'échauffe mes muscles, et d'un regard fusillant, je rappelle à mon adversaire qu'ici, je suis celle qui règne et que je ne compte pas le laisser prendre ma place. Il se marre, met deux doigts écartés devant sa bouche, et fait des mouvements de langue. Il m'insulte. Il tente de me troubler en montrant qu'il connaît mes préférences sexuelles. Mais je ne tomberai pas dans son piège. Contrairement à ce qu'il pense, être une femme et aimer les femmes n'est pas une faiblesse, c'est une force. Peut-être pas au début, quand on ne comprend pas encore que sortir de l'hétéronormalité n'est pas grave. Quand on pense que cette différence fait de nous des personnes horribles, aux problèmes mentaux et encore tous ces mots dont les inconnus nous affublent dès que l'on a le dos tourné, que nos proches nous disent sans penser à ce que nous ressentons. Je n'ai pas fait mon coming-out* auprès de ma famille. Mais pas parce que j'ai peur de leur réaction. En fait, je trouve cette idée bête. Les hétéros ne previennent pas leurs proches qu'ils aiment le sexe opposé, alors pourquoi cela devrait être différent lorsqu'on aime le même sexe ? Mes parents apprendront mon homosexualité lorsque j'aurais une femme dans ma vie et qu'il sera temps pour eux de la rencontrer.

Alors je concentre cette force en moi, je me souviens d'où je viens, et je deviens Hurricane. Quelques secondes plus tard, je suis dans la cage face à Thunderstrike. Il est massif, il prend son air de mec dangereux. Pour autant, je ne me laisse pas avoir. Je reste droite, mon mètre soixante-et-onze poussé à son maximum. Je suis dressée sur mes jambes dont les muscles sont contractés et je dévisage mon adversaire. Un sourire naît sur le visage de celui-ci puis, le top est donné.

Autour de moi, les spectateurs se mettent à foutre un bordel si monstre que mes oreilles bourdonnent. Mais à leur place, je serais dans le même état. Ils ont attendu ce combat si longtemps. Les soirées spéciales, ce n'est que quelques fois dans l'année. Et enfin, c'est le grand jour. Enfin, les deux plus grosses têtes sur qui parier se rencontrent. Enfin, ils vont savoir si je conserve mon titre de championne ou si c'est Thunderstrike qui va devenir le nouveau champion pour cette année. Aujourd'hui, les paris sont plus importants que jamais. Aujourd'hui, Justin va se faire un max de fric parce qu'il sait. Il sait que je vais gagner, mais que les combats, même clandestins, est un univers terriblement sexiste. La plupart des gens ici sont persuadés que je vais perdre, même si j'étais victorieuse l'année précédente. Les plus têtus pensent sûrement que je n'ai pas remporté le titre parce que je sais me battre mais parce que Thunderstrike m'a laissé cet honneur. Mais au fond de leur cœur, ils ne veulent simplement pas accepter que le sexe faible puisse être capable de battre le sexe fort.

Rapidement, les premiers coups partent. Ils sont violents, impressionnants. Mais pas suffisamment pour me faire vaciller. Le sang coule déjà, et la douleur est déjà difficilement maîtrisable. Je grogne à de multiples reprises alors que Thunderstrike s'acharne sur mes côtes. Je vais ressortir de cette cage avec de sacrés bleus, je le sais déjà. Cependant, je reste debout, je ne tombe pas, et je refuse de faiblir. Je continue à attaquer, à me défendre, à contre-attaquer. Nous nous échangeons des coups pendant des minutes qui paraissent être des heures, puis d'un geste maîtrisé, mon poing s'échoue en dessous de sa mâchoire. Mon uppercut balance la tête de Thunderstrike vers l'arrière et celui-ci percute le sol dans un bruit sec.

Les secondes sont comptées. Et au bout de cinq, ma main est prise puis levée dans les airs. Je suis, pour une nouvelle année, la championne du club. Indétrônable.

Et lorsque mes yeux se posent sur mon adversaire à présent K.O., la sensation est particulièrement agréable.

J'ai gagné.

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* "Coup de tonnerre".

* Annonce d'appartenir à la communauté LGBTQIA+.

Heart Beating [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant