Chapitre 22 - Rim

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Je n'ai jamais fait autant d'anxiété que depuis que je suis arrivée chez mes parents. Soudainement, je prends conscience de ce qu'a vécu Megan dans le passé, ce qu'elle vit parfois encore. Même si la présence de Dylan dans sa vie a grandement amélioré la qualité de son sommeil, elle a encore des cauchemars, de temps à autres. Jamais je n'aurais pensé que cela aurait aussi été mon cas. J'ai peur. De Amaia, de ce Grégory, du gang qu'ils semblent gérer ensemble. Des plaques rouges sont nées sur l'intérieur de mes bras, signe que j'ai atteint un point de non-retour. Quand tout ça va-t-il enfin s'arrêter ? Est-ce que cela cessera même un jour ? Je me mords la lèvre inférieure alors que mon cœur se met à battre plus vite et que je pense à tout ce qu'il pourrait se passer d'ici quelques jours voire quelques heures. Après tout, elle doit avoir retrouvé ma trace, à l'heure qu'il est. La connaissant, elle est réveillée depuis plusieurs heures. Elle doit sûrement même être de retour à Toulouse, pensant que j'y serais allée au moins pour récupérer quelques affaires. Mais si elle pense être intelligente, elle a oublié que je le suis aussi. Elle n'est pas la seule à être capable d'avoir un temps d'avance. Il était évident que si je me rendais à Toulouse, elle me retrouverait en un instant, si ce n'est pas ses vrais alliés qui le font. J'aimerais être certaine que Amaia ne se pointera pas, mais en réalité, je suis persuadée qu'elle sait où mes parents vivent. Après tout, si elle pu me trahir d'une telle manière, je n'ai aucun doute sur le fait qu'elle ait obtenu des informations sur moi sans me le dire. Elle doit en savoir tellement sur moi, assez pour que ce soit flippant. Elle a sûrement mis mes deux portables sur écoute pour s'assurer que je ne déborde pas trop. Par sécurité, je ne m'approche presque plus du téléphone qu'elle m'a donné il y a quelques jours. Si j'ai des choses à dire, je m'assure qu'il soit éteint ou suffisamment loin de moi pour qu'il ne capte aucune de mes conversations.

Je déteste ça. Je déteste qu'elle m'ait trahie de cette manière. Je déteste ne penser qu'à elle depuis que j'ai entendu cette communication. Pourquoi suis-je obsédée par une telle femme ? Parfois, je me demande si mon but n'est pas simplement de me faire du mal, c'est comme si j'appréciais ça. Je m'attache rarement aux gens, mais à chaque fois que je le fais lorsque ces personnes ne font pas partie de ma vie depuis toujours, je suis déçue. Je finis brisée au fond de mon lit. C'est arrivé lorsque j'étais jeune et que je pensais aimer les garçons, quand le meilleur ami de Léo, l'ex de Megan, s'est dit que faire de moi son pari serait une excellente idée. Alors que j'étais tombée folle amoureuse de lui, j'étais simplement un nouveau trophée sur son étagère. L'asiatique parmi les blanches qui ont été victimes de ses actions avant moi, comme un fantasme de merde qu'il voulait accomplir. J'aurais dû me douter que Léo ne pouvait pas être mieux que lui, on traîne avec des gens qui nous ressemblent, après tout. C'était douloureux de l'apprendre, mais pas à ce point. En fait, je me souviens d'avoir été vexée et énervée plus que réellement triste et détruite. J'ai malgré tout pleuré parce qu'à cette époque, les quelques asiatiques du lycée étaient la risée de tous. Je me rappelle encore de tous ces moments où on m'a pointée du doigt, qu'on a rit de mes yeux bridés ou de l'accent de mes parents lorsqu'ils venaient aux réunions, étant tous les deux originaires de Corée. Je rêvais de leur dire leurs quatre vérités quant à leur racisme, mais je n'en n'étais simplement pas capable. Je la fermais et je me prenais tout dans la gueule, simplement. La boxe a rapidement été mon échappatoire, ma manière à moi de crier mes douleurs sans jamais les prononcer à haute voix. Megan a pris ma défense, les quelques fois où elle avait le malheur d'être dans le coin pendant que les plus populaires se foutaient de mes origines. Mais ils étaient en groupe alors qu'elle était seule à leur tenir tête. Elle n'a jamais eu peur de prendre la parole pour défendre qui en avait besoin, elle a toujours été ainsi. Elle était mon soleil quand je n'étais que l'ombre de moi-même. Et pour elle, lorsque à son tour, elle a connu une éclipse dans sa vie, j'ai dû devenir son soleil, celle qui garderait la tête haute et le sourire quoi qu'il arrive. Elle a été forte pour nous deux et lorsqu'elle a faibli, ça a été à mon tour de l'être. Et maintenant, je suis seule. Megan a trouvé celui qui fera briller son soleil éternellement, et moi, j'ai trouvé celle qui a éteint le mien. Pour longtemps, ou peut-être même pour toujours.

Deux coups dans la porte de ma chambre me font sursauter et sortir de ma léthargie. J'étends mon corps meurtri par le stress et vais ouvrir à ma mère.

— 괜찮아 ? 내 사랑하는 딸 도착한 이후로 아무것도 안 먹었어. 내 딸이 에게 걱정.*

Je hausse les épaules silencieusement. Mon estomac gargouille une énième fois alors qu'il est vingt heures et que je n'ai rien mangé depuis vingt-quatre heures. Je suis incapable de me sortir Amaia de la tête si bien qu'il m'est impossible de faire quoi que ce soit d'autre que de ressasser les moments que nous avons passés ensemble. Je suis obsédée et rien n'y fait.

— Je n'ai pas la tête à ça, soupiré-je.

— 가끔 먹으면 기분 좋은 거 알지 ! 내 딸아, 건강을 생각해라! 엄마는 네가 기분 나빠하는 걸 원하지 않아. 림은아에게 무슨 일이 일어났는지는 모르겠지만, 과거처럼 우리 집에 와서 피난처를 찾을 만큼 내 딸에게 영향을 미쳤다는 것은 아. 엄마한테는 털어놔도 돼.*

Je me mords la lèvre inférieure. Ma mère a raison, comme toujours. On dit que personne n'a la science infuse, mais en réalité je pense que les mères l'ont. Certaines tout du moins. Je me déteste de lui cacher tant de choses, elle a toujours été celle à qui je me confiais lorsque j'en avais besoin – après Megan, bien sûr. Et pourtant, dans cette situation, je ne peux parler ni à ma mère ni à Megan. Je suis réduite au silence. Si je parle, je pourrais les mettre en danger, je risquerais leur vie et c'est une chose que je ne ferai jamais volontairement. Je les protégerai, coûte que coûte.

Au fond de moi, je sais que je dois partir de chez mes parents. Tant que je resterai ici, je mettrai leur vie en péril. Si Amaia ou ses collaborateurs me retrouvent, je suis certaine qu'ils n'hésiteront pas un instant à tuer toutes les personnes qui seront sur leur passage. Innocentes ou non. C'est ainsi que ces gens sont. Ils tuent, même si ce n'est pas justifié, même si cela pourrait être évité. Ils se fichent des conséquences tant qu'ils atteignent leur objectif. Rien ne compte plus pour eux que ça, tant pis pour le reste. Tant pis s'il faut détruire des vies, des familles. Tout anéantir tant que le but est atteint, voilà leur mantra. Voilà ce que Amaia devait se répéter jour après jour alors qu'elle s'insinuait sous ma peau pour mieux me faire voler en éclat.

Une larme coule le long de ma joue. Une nouvelle parmi toutes les précédentes, une seule cependant. Parce que je dois rester forte, parce que je dois me laisser croire que je pourrai garder la tête au-dessus de l'eau, parce que je dois résister. Parce que je ne veux pas donner le moindre crédit à Amaia, elle ne mérite pas le moindre de mes sanglots.

Et pourtant, je le sais au fond de moi, ce n'est que le début de la fin.

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* Ça va ? Tu n'as pas mangé depuis que tu es arrivée. Je m'inquiète pour toi, ma chérie.

* Tu sais, parfois, ça fait du bien de manger. Je ne sais pas ce qu'il t'est arrivé, mais je sais que ça t'impacte suffisamment pour que tu viennes te réfugier ici comme dans le passé. Je suis là, si tu as besoin de parler, comme avant. Mais mange, pense à ta santé. Je n'ai pas envie que tu fasses un malaise.

Heart Beating [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant