Le combat devait toucher à sa fin. Les deux hommes étaient à bout de souffle, et aucun n'arrivait plus à se relever. Les gouttes de sueur qui dégoulinaient sur le front de Lancelot lui floutaient la vue, à tel point qu'il ne distinguait plus rien face à lui. Il n'entendait d'ailleurs plus grand chose, ses battements de cœur étaient si puissant que sa cage thoracique faisait résonner ce tambour de fatigue jusqu'à ses tympans. Non, rien n'y faisait. Il n'était plus en état de combattre. Face à lui, Tristan ne semblait pas plus enforme. Haletant, il tenta une maigre phrase qu'il cracha le plus fort possible pour que le Prince puisse l'entendre malgré tout.
- Nous allons voir, celle qui aura l'air le plus triste.
Tournant les talons, il se dirigea vers son cheval, les gardes rouvrant le cercle autour des combattants. Le blond ne bougea pas, si cela ne tenait qu'à lui, il resterait mi-mort sur le sol, s'abandonnant au plus ferme des sommeils quitte à ce que le Comte ne l'achève. Se battre n'était plus une possibilité, et il regrettait presque d'avoir pensé que dans son état, il aurait pu être utile à Maria.
Tristan revint, le regard malsain, le regard avide. Il avait faim de chagrin, et il en aurait sa dose, il en était sûr. À son bras, se tenait une jeune fille pas plus grande que lui, qui cachait son visage dans son cou. Elle portait une robe bleu aussi pâle que son visage, robe qui lui rappelait les broderies du Nord. Il poussa violemment la fille au sol, tachant sa tenue de boue et de cendre froide. Elle tenta de se relever silencieusement, en tout cas Lancelot n'entendit aucun bruit émaner d'elle, mais le borgne la repoussa d'un coup de pied bien placé dans les côtes. La bouche en sang, Lancelot tenta d'articuler quelques mots.
- Laisse la, pourriture...
- Tu ne m'as pas entendu, le coupa-t-il. C'est toi la pourriture dans l'histoire. Mais tu ne sais rien.
- Je sais, essaya-t-il encore de parler. Je sais que c'est notre duel, qui que soit cette fille je m'en fiche. Combat moi.
- Tu ne sais vraiment rien, dit Tristan en souriant de toutes ses dents. De l'identité de cette fille jusqu'à la raison de ce combat. Le savoir c'est le pouvoir. Et qu'est-ce que tu es faible...
Il lança un regard foudroyant à la jeune fille, le genre de regard qui voulait dire ''ne bouge pas si tu tiens à la vie'', ce qu'elle interpréta parfaitement bien. Puis le brun tourna autour de Lancelot, qui crachait toujours du sang plus que de raison, avant de retourner à sa place initiale. Au passage, il avait reprit son épée de la main du Prince Déchu, qui ne se tenait plus que par le fourreau à moitié brisé de Maria. Brisé, c'était l'état du jeune homme. Aucun espoir, aucun amour ne le relèverait.
- C'est fini, rend toi et dis moi où se trouve la fille.
Lancelot n'était à présent plus capable d'articuler ne serait-ce qu'un seul mot, sa perte de sang s'aggravait, et ses derniers moments de lucidité ne servirait qu'à être spectateur de ce qui allait suivre.
- Bien, reprit Tristan. Dans ce cas, tu ne m'es plus d'aucune utilité. Elle se montrera toute seule pour venir en chercher un de vous deux.
Il montra de sa main la forme bleue toujours au sol. Mais oui. Tout se mettait enfin en place dans la tête de Lancelot. Cette fille était pâle, vêtue d'étoffes du Nord, avec une chevelure blonde caractéristique des femmes de la haute noblesse. Sans parler du fait que son ennemi l'utilisait comme un appât.
C'était Grace, la sœur de Maria.
Il ne savait plus quoi faire, désarçonné, il sentit le monde tourner autour de lui. Que faire. Bouger n'était plus d'actualité, parler n'était plus possible, aucune aide n'était disponible. Se sauver ou sauver la sœur de celle qu'il aimait. Car il était là le soucis. Dans ses répliques d'homme dangereux, Tristan ne mentionnait pas qui allait y laisser la vie, sur ce parterre de cendres et de sang. Il ne mentionnait pas qui des deux, allait suffisamment motiver Maria à se montrer. Allait-il choisir l'amour de jeunesse ou la petite sœur chérie ?
Il avait fait son choix. Sa lame se dirigeait tout doucement sur le cou de sa victime, lame toujours imprégnée de sang des multiples coupures assénées à Lancelot. Celui-ci ferma les yeux, emplis de larmes. Il ne pouvait pas mourir aujourd'hui.
- Je te condamne à mort, au nom du Roi Gallian Premier, protecteur du Royaume.
Une épée. Lorsqu'un homme part en guerre, il lui suffit d'une épée pour sceller le combat. Mais une femme, elle, n'a besoin de rien. De simples larmes suffisent, le simple battement de son cœur, les quelques courages qu'elle peut insuffler en elle, tout cela suffit à se dresser contre son ennemi. Mais la lâcheté de l'homme réside du fait qu'il ne croit personne au dessus de lui.
Lorsqu'il avait levé son épée, la vision de Tristan avait été altérée par un angle mort depuis lequel l'autre des deux victimes était malencontreusement camouflée. Celle-ci en profita sans le savoir, pour ce qu'elle entreprit de faire. Du plus vite qu'elle put, elle se précipita pour se mettre entre le Comte et le condamné à mort. Et ce fut la fin.
La fin d'une ère, la fin d'un combat. La fin de quelque chose de si important qu'ils ne le savaient pas encore. Les répercussions allaient changer la mentalité de celle qui n'était alors qu'une spectatrice à cette époque, et ce avec l'assistance de ses plus grands alliés.
Ce jour-là, Maria n'assista à la mort de sa tendre petite sœur Grace, cette dernière la quitta sans même qu'elles n'aient pu se faire leurs adieux.
Le regard de Tristan changea du tout au tout. Ce n'était pas ce qui était prévu. Il n'avait pas souhaité tuer Grace, il s'était positionné pour tuer Lancelot. Pourquoi elle s'était mise face à lui, pourquoi s'était-elle interposée ? Il lâcha l'épée, toujours encastrée dans la clavicule de Grace.
Celle-ci ne bougeait pas, seul un filet de sang couplé à de la bave coulait de sa commissure labiale. Le spectacle n'était plus qu'une horreur de plus dans la journée de ces guerriers fatigués. Mais celle qui réagit la première, contre toute attente, était Jeanne. Elle poussa un cri, un cri comparable à celui des Banshees, ces êtres surnaturels qui criaient à la mort. Elle descendit brusquement de son cheval, poussant les soldats qui laissèrent cette fois-ci le cercle ouvert. Elle attrapa la douce main de la jeune fille, qui souriait toujours. On dit que dans les moments les plus atroces de la douleur, lorsqu'on était au seuil de la mort, on ne ressentait plus rien. Ce devait sûrement être le cas de la blonde à cet instant.
- Merci Jeanne, lâcha-t-elle finalement. Tu auras été ma seule amie, jusqu'au bout.
Ses yeux se fermèrent, et sa carcasse tomba raide telle une statue. Lancelot était tombé, il était lui aussi à l'article de la mort.
Mais non, Lancelot ne pouvait pas mourir aujourd'hui.
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PRINCESS OF THE MIST - TOME 1 - TERMINÉE-
FantasyMaria était une jeune duchesse qui vivait aux côtés de son unique parent, le Duc des Monts-Brumeux. Mais lorsque des Révolutionnaires exécutent froidement son père et détruisent son château, la petite fille se retrouve seule au monde de la cour et d...