Chapitre 5 : Fugace

22 6 0
                                    

          Maria ne comprenait pas encore ce que ses paroles avaient engendré. Même si son honnêteté pouvait charmer les Dieux lors de son passage dans l'au delà, ici-bas, cela ne servait à rien. C'était comme avoir avoué sa complicité avec le Prince Lancelot dans l'attaque du Roi, elle risquait alors la même peine que le blond.

          Son seul espoir était de retrouver le jeune homme dans sa cellule, à condition que celui-ci ne s'était pas déjà enfuit sans elle. Pouvait-il l'avoir abandonnée à son sort ? Elle espérait qu'il n'en était rien, et qu'en arrivant au donjon, la mine mesquine du Prince lui sourirait comme à son habitude. Elle avait préparé son coup pour ses retrouvailles. Lorsqu'elle avait couru ce matin pour arriver au château, sa semelle s'était légèrement ouverte sur le devant, laissant un espace suffisamment grand pour y glisser la pièce en argent que Lancelot avait probablement laissée au bureau de Gallian. Ainsi, elle pouvait lui rendre son objet si précieux à ses yeux, surtout connaissant à présent son lourd passé.

          Mais arrivée au cachot qu'elle avait occupé la nuit dernière, il n'y avait plus rien. Même la carcasse de rat qu'avait déguster Lancelot la veille avait disparue. La jeune fille remit ses cheveux châtains en arrière d'un coup de tête, comme pour vérifier qu'il n'y avait plus rien. Mais elle fut surprise de constater que le garde était aussi étonné qu'elle. Il la lâcha brusquement au sol avant de vérifier la porte de la cage en fer où se trouvaient les deux jeunes. Après avoir ouvert la ferraille, il comprit qu'elle n'était pas scellée, et que Lancelot avait sûrement fui lorsque le garde n'était plus devant la geôle.

          Il se retourna alors vers Maria, qui répondit à son étonnement. Elle n'en revenait pas que Lancelot avait pu prendre la poudre d'escampette sans lui adresser un seul mot. Puis elle vit le vieux soldat sursauter sur place. Un filet de sang sortait de son front, comme si une lame avait transpercé son crâne. Et c'était le cas.

          Lancelot tomba alors habilement et silencieusement du plafond, où il avait dû s'accrocher en attendant que le garde ne s'approche de sa lame. Ce dernier toujours debout, sûrement car ses muscles étaient restés crispés, commença à pencher sur le côté tandis que la lame rouillée de Lancelot se descellait progressivement de sa matière grise. Le blondinet éclaboussa le trop de sang resté accroché à sa lame, rangea l'épée à son fourreau qu'il avait dû récupérer dans la salle d'armes, et se rapprocha de Maria. Il lui releva le menton de sa main, lui sourit et lui adressa quelques paroles tout en défaisant ses menottes.

- Princesse vous êtes toujours parmi les vivants, je suis si heureux de vous revoir.

          Maria aussi était heureuse. Le regard doux du Prince lui rappelait presque les fois où elle allait le rencontrer étant enfant au cours d'eau. Elle avait enfin pu retrouver le garçon qu'elle affectionnait tant, même si ce n'était que pour un court instant. Le bruit sourd des armures d'autres gardes fusait dans les escalier. Ils venaient certainement arrêter le jeune Prince dans sa fuite. Maria réfléchit alors : peut-être que le jeune pouvait reprendre sa pause et se camoufler sur le plafond, mais elle doutait qu'elle puisse mimer cette action sans tomber du plafond.

          Et puis la robe longue et bouffante qu'elle portait ne lui permettait pas de faire des mouvements fluides et de se glisser n'importe où discrètement. Elle choisit alors de la raccourcir en arrachant la tulle qui l'avait tant dérangée en s'asseyant tout à l'heure dans le bureau de Gallian. Elle en profita pour attacher sa chevelure dans un bout de tissu, de sorte à reproduire grossièrement une queue de cheval. Sans dire mot, elle regarda Lancelot, qui comprit directement qu'elle attendait des instructions pour s'en sortir.

          Le jeune Prince profita des tissus par terre pour fabriquer une torche avec un peu de foin provenant du cachot, et, avec un peu de bois trouvé ça et là, il réussit à enflammer son petit brasero au centre du cachot. La porte devait donc infranchissable pour les soldats qui montaient, mais il fallait à présent trouver un moyen de sortir par un autre endroit. Il sortit tout d'un coup un fin bâton rouge de son attirail, dont il alluma la mèche avec le feu environnant. La fumée commençait par ailleurs à envahir la pièce, les aérations étant trop petites pour faire évacuer toute cette pollution.

- Baissez-vous, Princesse.

          Il jeta le bâton dans le creux d'une des archères du donjon, puis prit Maria dans les bras comme pour la protéger de la déflagration. L'explosion fut courte mais intense, suffisante pour détruire la pierre qui les séparait de la liberté. Lancelot attrapa un bout de corde solide qui était accroché à sa taille, l'accrocha à la porte encore intacte des cachots, puis sauta dans le vide en tenant la jeune fille par la taille.

          Les événements s'étant précipités trop vite, Maria ne comprenait plus ce qu'elle vivait. Elle était bouche bée, elle venait de sauter dans le vide avec pour seule garantie de survie le fait que Lancelot la tienne, lui-même retenu que par un maigre bout de ficelle. Bien heureusement pour eux, Ils atterrirent au niveau du marché de la ville, sur l'une des tentes d'un exposant qui vendait des céramiques.

         Ce dernier, quoiqu'agacé d'avoir perdu une partie de sa marchandise, cria à Lancelot d'aller au diable. Cela le fit sourire, puis il profita de la foule pour disparaître avec Maria. Les deux fugitifs étaient alors recherchés dans la capitale, ils ne devaient pas s'éterniser sinon quoi le Roi ordonnerait des barrières aux entrées de la ville, ce qui les y piégeraient fatalement.

          Sachant que Lancelot n'avait aucun repère dans cette ville, Maria en profita pour l'emmener jusqu'à sa maison où la vieille servante pourrait sûrement les aider. Elle traversa alors la ruelle, le jeune blond la suivant, ils coupèrent ensuite par plusieurs arches avant d'atterrir devant l'appartement qu'elle occupait avec sa sœur. Grace quant à elle était sûrement toujours à l'école, et Maria s'en félicitait. Elle n'aurait jamais souhaité que sa sœur ne se retrouve mêlée à ses histoires malgré elle.

          Au moment d'entrer dans la rue où elle habitait, Maria confia la pièce au jeune Prince.

- Tenez, elle vous appartient. je l'ai trouvée dans le bureau de Gallian.

- Venez-vous de me tutoyer à nouveau, Princesse ? En tout cas, merci pour mon porte malheur.

          Elle rougit de plus belle, gênée une nouvelle fois par le surnom que continuait d'attribuer son prince. Elle emboita le pas, puis finit par arriver devant chez elle. L'appartement sur deux étages était bien moins grand que son ancien château, mais il promettait une magnifique vue sur toute la capitale. La porte étant déjà entrouverte, ils entrèrent sans réfléchir.

          La servant dormait sur le fauteuil quand ils sont arrivés. N'ayant ni l'envie de la déranger ni le besoin de la mettre au courant, la jeune fille préféra faire le silence. Elle n'avait pas le temps de faire ses adieux, aussi elle décida de n'emporter que quelques provisions, et prit rapidement des vêtements de rechange avant de préparer les deux chevaux qu'elle entreposait dans l'étage du dessous. Aussitôt cela fait, Lancelot récupéra la jeune fille et tous deux partirent au galop jusqu'à la sortie de la ville.

          Là-bas, les gardes ne remarquèrent ni le Prince encapuchonné de sa cape verte, ni la jeune duchesse dont les guenilles étaient devenues sales et déchirées par les événements. Tous deux ressemblaient ainsi à des vagabonds, et le déguisement leur convenait parfaitement. Ils avaient réussi à s'enfuir sans y laisser leur peau, et Maria comprenait que pour elle, les aventures ne faisaient que commencer.


********************************************

          Gallian faisait le tour de son bureau. Ses gardes avaient non seulement échoué à garder deux prisonniers, mais son frère cadet avait surtout réussi à s'enfuir de l'enceinte de la capitale. Il arracha la carte de son mur et la piétina sauvagement. Puis il se souvint de ce qu'avait dit son frère. C'était la fille du Duc des Monts-Brumeux. Sûrement n'avaient-ils aucun endroit où aller pour se protéger autre que les ruines de leur ancien château ? Il se dit alors à lui-même :

- la brume est peut-être fugace mais rien ne peut se déjouer de moi. Je fais le serment de te rattraper Duchesse, et avec toi j'espère faire tomber mon frère.

PRINCESS OF THE MIST - TOME 1 - TERMINÉE-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant