- Et comment s'appelait la jeune fille qui vous a aidé à fuir ces ennemis ?
- Je ne lui ai même pas demandé...
Maria avait raconté toutes ses péripéties en ville à Lancelot, qui semblait mieux comprendre comment son argent avait été utilisé. Il se contenta alors de hocher la tête une dernière fois en s'exclamant :
- Au moins cet argent servira à quelqu'un, ce n'était pas gaspillé et on aura fait le bonheur d'une jeune fille. Maintenant, pressons-nous d'arriver jusqu'à la cérémonie.
Contrairement à ses souvenirs, la duchesse remarquait que le jardin avait bien changé : les ronces avaient envahi les chemins, on le pouvait passer que par l'entrée principale. Le lieu était bien moins entretenu qu'à l'époque, même les dalles semblaient descellées et claquait lorsque les chevaux les frappaient des sabots. Une première pause fut faite lorsque les deux jeunes arrivèrent au niveau des écuries. Ils y déposèrent leurs montures, leurs provisions ainsi que leurs vêtements inutiles. Maria sortait alors la somptueuse robe qu'elle avait choisi plus tôt et l'enfila rapidement. Lancelot s'était retourné pour lui laisser son intimité, et lorsque celui-ci se retourna, il fut stupéfait de la beauté de la jeune femme.
Non pas qu'il ne savait pas qu'elle était belle, encore une fois tout le Royaume ventait les louanges de sa mère à l'époque et même lui avait pu constater plus jeune que Maria suivrait le chemin de sa mère. Non, ici, il voyait une autre forme de beauté. C'était une beauté guerrière, il reconnaissait la posture d'une combattante et non d'une duchesse. Il aimait voir que ses enseignements rapides avaient pu autant impacter la brunette. Il sourit enfin, remarquant que leur contact visuel commençait à gêner sa partenaire.
- je ne me souvenais pas à quelle point vous étiez belle en robe, je dois admettre que je suis heureux d'être votre partenaire pour danser ce soir.
- et moi donc...
Maria soupira et s'approcha avec un tissu humide près du visage de Lancelot. Elle nettoya sa face, qui était recouverte de terre et de saletés. Elle le savait, s'il ne prenait pas le temps de se laver c'était pour la protéger la nuit. C'était un peu sa façon de le remercier. Elle tourna les talons, peaufina sa rapide mise en beauté puis attrapa le bras de son cavalier de bal :
- je suis prête.
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Les deux arrivaient en face de la porte principale de la bâtisse. Dans ses souvenirs, Maria se rappelait d'une somptueuse entrée avec des colonnes en marbré représentant des troncs de pins blanchâtres, presque purs. Outre le côté outrancier de ces colonnes, elle y voyait surtout la puissance d'une des plus grandes maisons du Nord, le Comte le faisait comprendre dès l'entrée de chez lui.
Mais ces colonnes avaient changées, leur magnifique pureté semblait avoir été corrompue, au point qu'elles étaient devenues noires. Cela ne rassurait pas Maria. Curieusement, le château devenait de plus en plus sombre, plus mauvais encore que dans ses souvenirs. Elle se cramponnait alors au bras du jeune prince. Elle s'en voulait d'avoir peur, surtout après toutes les séances d'entraînement qu'elle avait effectué avec lui. Elle ne pouvait cependant s'empêcher de lui demander :
- Resteras-tu à mes côtés ?
Un moment de pause se fit sentir entre les deux. Il regarda en l'air, prit une grande respiration, et dans un chuchotement plus fin que la brise du soir il lui murmura :
- Toujours.
L'amour que se portait les deux était un peu vache. Sans se l'avouer, les souvenirs de Maria lui embrouillait l'esprit : le garçon qui venait la voir les tous les soirs quelques années plus tôt était la même personne que l'homme qui avait ramené une tête ensanglantée à la Cour du Roi voilà maintenant deux semaines. Pouvait-elle vraiment faire confiance envers son unique allié, celui qu'elle avait décidé de suivre ?
Lancelot lui savait ce qu'il éprouvait. Non moins d'amour que de haine, son cœur n'avait pas toujours la place de décider entre ces deux sentiments. L'amour qu'il avait toujours éprouvé envers Maria n'était plus suffisant, il devait aussi se venger de son père, de ses ennemis, de sa vie gâchée car jugée inutile aux yeux de tous. Aux yeux de tous sauf d'elle. Il posa sa deuxième main sur le bras enlacé de sa cavalière, lui sourit, et ouvrit la porte qui dévoila lentement le grand hall.
L'on entendait déjà les violoncelles bourdonner en fond, les rires et les cris accompagnés de la douce mélodie des violons et des autres instruments à cordes. C'était le moment de vérifier si des sorties de secours pouvaient être empruntables en cas de problème - car même si Maria se sentait pour le moment en sécurité, rien ne garantissait que sa requête serait acceptée du Comte. Elle en remarqua deux, de part et d'autre de la porte de la salle de réception.
Cette dernière, alors grand ouverte, montrait un spectacle aussi magnifique que morbide. Tous étaient de noir vêtus, le visage recouvert par des masques en dentelle soigneusement posés sur leur maquillage suintant. Peut-être dansaient-ils depuis des heures déjà. Maria avait eu vent d'un début du bal assez tardif, mais finalement seuls eux deux semblaient manquer à l'appel tant la foule était immense.
Au fond, un escalier tout aussi immense, et plus sombre encore que le reste de la gigantesque salle surplombait la nuée de robes noires tournoyantes, certainement celles des habituées de la Cour qui tentaient par tous les moyens de se faire remarquer par leurs prétendants. Maria ne faisait plus parti de ces demoiselles, mais elle s'amusait de voir autant de jeunes filles aussi gracieusement danser.
Elle remarquait cependant que la salle ne correspondait plus à aucun souvenir qu'elle aurait pu conserver, les murs étaient recouverts de tapisseries rouge sang, le sol en marbre semblait tout neuf et prêt à accueillir les patins des chaussures des danseurs... Réellement, toute cette agitation couplé à la peur de l'inconnu fit battre le cœur de la jeune fille de plus belle. Elle chercha du regard Lancelot qui semblait perdu dans ses pensées lui aussi.
Si se battre dans la forêt était chose simple, affronter la foule n'était plus qu'une étape de plus pour devenir plus forte. Maria reprit son courage à deux mains, avança un pied après l'autre tout en tirant son cavalier vers la piste de danse, et entama une valse effrénée. Son partenaire avait du mal à suivre, les violoncelles intensifiant le rythme de la danse jusqu'à la mort.
L'instant paraissait infini. Les deux se regardaient, se souriaient mutuellement, comme si c'était la place qu'ils auraient toujours dû avoir si la guerre n'avait pas éclaté quatre années plus tôt. Quelques instants plus tard, les instruments disparurent et, la seule mélodie du clavecin poursuivait l'animation. Les danseurs partirent à leur tour, la plupart se ruant sur le buffet, et le couple vert resta silencieusement au milieu de la salle à se contempler.
Soudain, Lancelot détourna le regard derrière Maria. Elle ne comprit alors pas ce qu'il se passa. Il lâcha ses mains, s'excusa un moment, et l'abandonna seule sur la piste. Elle tenta de le rattraper mais le jeune prince avait plus d'amplitude dans ses vêtements qu'elle dans sa robe. Elle poussa alors un petit cri sourd, désespéré et presque inaudible pour qui ne voulait pas l'entendre :
- Tu m'avais dit toujours...
La salle sembla s'assombrir subitement, la musique s'arrêta. Les convives se mirent en rang de part et d'autre de la salle pour laisser le centre libre. Tous sauf Maria. Elle tourna des talons, tentant de comprendre ce qui allait encore arriver. La soirée ne faisait que commencer, et l'invité principal était là. Une voix s'éleva de la tribune au fond de la salle.
- Silence en la venue du Comte de la Cour des Hauts-Pins !
Le Comte descendait les escaliers du fond de la salle, le bruit de ses pas lourds raisonnant dans toute la salle silencieuse. Personne n'osait dire à Maria de bouger du passage, elle qui se tenait toujours bêtement au milieu avec son accoutrement coloré. Elle était figée, face au Comte dont elle n'apercevait que la silhouette lointaine. Elle plissa des yeux en espérant reconnaître le vieux moustachu qu'elle avait tant connu plus jeune.
Mais il était trop élancé pour être le vieillard qu'elle connaissait. Il était trop jeune pour être celui qui lui offrait des sucreries par le passé. Il était aussi plus grand que dans ses souvenirs. Ce n'était pas Le Comte, celui qu'elle connaissait.
C'était Un Comte qu'elle ne connaissait guère.
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PRINCESS OF THE MIST - TOME 1 - TERMINÉE-
FantasiMaria était une jeune duchesse qui vivait aux côtés de son unique parent, le Duc des Monts-Brumeux. Mais lorsque des Révolutionnaires exécutent froidement son père et détruisent son château, la petite fille se retrouve seule au monde de la cour et d...