Maria se tournait dans tous les sens. Des guerriers venant de tout le pays fréquentaient cet endroit, elle remarquait des blasons provenant du Sud, de l'Est, de la capitale même. Elle essayait de se cacher d'eux d'ailleurs, il ne fallait pas se faire repérer par plus d'ennemis que ceux qui la pourchassaient.
Le tintement des gobelets entre eux, les chocs des chopes de bière contre les tables et les rires des hommes esclaffés rendait le lieux aussi vivant que les anciennes tablées de son père. Elle se souvenait que ses soirées étaient reconnues dans le Royaume entier. Mais ici, elle ne pouvait pas se mêler à la foule, elle ne pouvait pas montrer ses belles parures ni même chanter au son des bardes. Tout juste sa seule présence ici était un danger de mort.
Elle tourna finalement le dos à tous et s'assit sur un tabouret, et accoudée au bar elle attendit que son entrée subite ne soit oubliée de tous. La discrétion était devenu maître mot depuis que Maria avait quitté la Cour du Roi. Elle ne pouvait ni se pavaner en longue robe comme elle en avait l'habitude, ni rire aux éclats pour attirer l'attention. Ici, il valait mieux prendre son verre, le boire en silence tout en épiant les ivrognes autour d'elle, puis repartir lorsque la nuit tombera afin de retrouver Lancelot.
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Son acolyte ne remarquerait même pas son absence aujourd'hui. La jeune fille ayant dû quitter sa petite vie tranquille du jour au lendemain, il se doutait qu'elle aurait besoin de visiter la ville histoire de songer à autre chose qu'à la traque qu'ils subissaient. Aussi n'était-il pas inquiet pour elle, car ses cours de combat avait relativement bien entraîné Maria.
Lancelot était d'ailleurs calmement assis sur un buisson, se reposant du long voyage qu'ils avaient entrepris. Il réfléchissait à comment il allait obtenir une audience à la Cour des Hauts-Pins. Le Comte n'était pas une personne que l'on pouvait invectiver facilement, il était souvent plongé dans ses affaires de défense contre les révolutionnaires qu'il planifiait dans son bureau. En tout cas, c'est ce qu'avait rapporté sa femme lors de ses correspondances avec la mère de Lancelot.
Il ne parlait d'ailleurs jamais de sa mère, qui avait été chassée par son père lorsqu'il avait appris qu'elle fréquentait un autre homme de la Cour. N'ayant pu déterminer qui était le coupable, il s'était résolu à chasser sa femme, l'abandonnant dans un bois sans provision en espérant qu'elle se soit faite déchiqueter par les loups. Le jeune blond avait très mal pris cette disparition, plus que tous ses autres frères. C'était la seule famille qui comptait réellement pour lui, et à sa mort, plus aucune lettre du château ne lui parvint directement.
Tout en repensant à sa mère, Lancelot lançait sa pièce en l'air, en la faisant tournoyer sur elle-même quelquefois, attendant toujours le retour de Maria. Chaque bruissement de l'herbe l'alertait, comme s'il se languissait de revoir la jeune fille. Parfois, une petite loutre passait entre les feuilles mortes, jetant un regard dans sa direction puis repartant dans la forêt presque inquiète de le voir. Il était loin de se douter que, contrairement à la tranquillité du lieu où il se reposait, la taverne où s'était cachée Maria commençait à bourdonner tel un essaim d'abeille ayant reconnu un intrus dans sa ruche...
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Après avoir remercié la serveuse, Maria s'empressa d'ingurgiter toute sa boisson. La poursuite lui avait donné grand soif, mais elle ne devait pas perdre de vue son objectif : partir d'ici et retrouver Lancelot. Il lui restait quelques heures avant le coucher du soleil, heure à laquelle le Bal de la Cour sera ouvert et où les deux jeunes pourraient s'immiscer et ainsi parler avec le Comte. Son plan était simple : passer par derrière le comptoir, se faufiler dans les cuisines puis partir par la porte de service en courant le plus vite possible.
Elle fit signe à la serveuse une nouvelle fois. La fille était à peine plus jeune qu'elle, la peau brune et les cheveux tout autant. Elle avait un magnifique afro qui entourait son béret posé soigneusement sur sa tête. Elle se dirigea de nouveau vers Maria, comme prête à lui servir un nouveau breuvage comme il en était coutume dans ce genre d'endroit. Soudain, elle écarquilla les yeux et stoppa net sa course. Elle venait de remarquer que, derrière son armure et ses vêtements de combat qu'elle avait emprunté à Lancelot, Maria était une jeune fille. Comme elle.
Elle glissa discrètement un papier et un crayon à la duchesse, comme si elle comprenait qu'elle n'était pas là de son plein gré, puis versa un nouveau verre factice pour faire passer ce papier pour un dessous de verre. La ruse était perfide mais elle convenait à cet endroit. Personne ne se douta de cette correspondance cachée. Maria déplia le papier, inscrit son plan avec de sa plus belle écriture, puis renvoya le mot à la petite fille. Celle-ci sourit, enfouit le papier dans sa poche à pourboire, puis prit la main de Maria pour la faire passer discrètement au dessous du bar.
Maria jeta un regard dans la foule, personne ne semblait avoir vu la manœuvre, tous semblaient plus intéressés par leurs boissons. Toutes les deux elles traversèrent les cuisines où la mère de la petite ne trouva guère le temps de regarder ce que faisait sa fille avec une inconnue, puis elles sortirent dans la ruelle qui délimitait la taverne. Maria, qui avait retenu son souffle pendant tout le trajet, lâcha la pression puis remercia sa sauveuse. Cette dernière tendit la main, comme attendant le pourboire qu'elle méritait. La duchesse sortit de sa poche l'argent que Lancelot lui avait prêté plus tôt, et donna le tout à son acolyte de fuite. Celle-ci sourit de toutes ses plus belles dents lorsqu'elle vit le montant de son service.
En effet, elle avait quasiment donné l'équivalent d'un salaire complet pour une roturière comme la petite l'était. Elle s'inclina devant elle, tourna des talons, et rentra dans son échoppe pour ne laisser que Maria, seule dans la ruelle. Elle se mit malgré elle à sourire bêtement aussi, heureuse de s'en être sortie sans s'être battue (même si elle aurait aimé montrer ses nouvelles compétences au combat). Remise de ses émotions, elle courut en direction de Lancelot, espérant le retrouver comme elle l'avait laissé.
Il lui fallu quelques minutes pour retrouver le chemin du château du Comte. Arrivée devant le portail, elle retrouva son jeune blond sur le buisson qu'il n'avait pas quitté depuis le matin. Il regarda les sacs qu'elle avait dans ses mains :
- Vous avez trouvé de quoi vous préparer pour ce soir ?
- Oui, je n'ai même pas dépassé le budget que tu m'as donné !
- De quel budget vous me parlez là ? Toute ma bourse d'argent ?
Le visage de Lancelot se décomposa progressivement, et Maria comprit aussitôt : ce n'était pas son budget à elle, mais bien l'entièreté de l'argent du Prince qu'elle avait donné à la petite fille ! Elle balança ses sacs au sol avant de reprendre :
- Mais je pensais que tu étais un Prince, un Prince c'est riche ! Pourquoi j'aurais pensé qu'il ne s'agissait pas d'une infime partie de ton magot !
- Si c'était le cas, vous croyez que je nous aurais emmené dans le piteux château d'un vieux Comte rabougris ? Nous serions directement rentré dans mon illustre demeure et aurions bu tous les vins du pays ! Maintenant je n'ai aucun argent pour acheter d'autres provisions ni même pour me changer pour ce soir !
- Tu pourrais rester comme ça, tes habits sont verts et colleront parfaitement à la robe que je me suis choisie. Et puis, cela colle au thème des Hauts-Pins...
Elle faisait en sorte que sa phrase sonne comme un compliment. Curieusement, l'expression faciale de Lancelot se radoucit et, sans même demander l'avis de son interlocutrice, il tourna des talons et se dirigea vers les deux chevaux toujours attachés à la haie. Il enfourcha le premier puis tint le second en s'approchant de Maria au pas. Il lança les rennes du second cheval à la fille, lui souriant allègrement :
- Venez, on a une cour à apprivoiser.
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PRINCESS OF THE MIST - TOME 1 - TERMINÉE-
FantasyMaria était une jeune duchesse qui vivait aux côtés de son unique parent, le Duc des Monts-Brumeux. Mais lorsque des Révolutionnaires exécutent froidement son père et détruisent son château, la petite fille se retrouve seule au monde de la cour et d...