Chapitre 4

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La vie reprend petit à petit son court. Après près de deux ans loin des terrains, Charles enclenche la première et redémarre. Sa saison est hachée mais il ne s'est jamais senti aussi vivant. S'il n'avait pas remarqué que le rugby était toute sa vie, aujourd'hui c'est une évidence indéniable. Son cœur est un ballon ovale qui bat à coup de plaquage. Comme ressuscité, il pourrait penser peser 20 kilos, volant à travers les défenses. Pourtant aux plaquages, il est un bloc de pierre indestructible. Et à la mêlée, un géant à l'épaule de fer. En touche, il s'envole et le ballon à tête chercheuse trouve ses mains télékinétiques. Les essais victorieux, la défaite assoiffant. A 27 ans, il croit en avoir 13.

« Magnifique ta feinte de passe ! Franchement je ne sais pas qui la fait mieux que toi en France ! » exulte Damian, qui ne peut s'empêcher à la fin de chaque victoire. Et défaite aussi d'ailleurs.

Enfin parfois il est dur de savoir qui appelle qui en premier, le téléphone sollicité avant même que l'arbitre n'est la chance de siffler la fin de la rencontre.

« Vraiment un connard le 3, le plaquage qu'il t'as mis je n'ai jamais vu ça nulle part. » Charles pense que Damian possède secrètement des origines Marseillaise la manière dont il est son soutien inconditionnel.

Et quand Charles est appelé en bleu, c'est la plus belle des revanches qu'il aurait pu prendre sur cette foutue omoplate.




L'équipe de France 2019 est composée de vieux et de jeunes, il reconnaît ses anciens collègues et découvre des nouveaux. Lorsqu'il pousse la porte de la salle de rassemblement, il voit Sébastien qui alerte tout le monde de son arrivée. « Mais regardez moi ce revenant ! » Un réel pincement au cœur pour lui qui pensait qu'on l'aurait oublié depuis la dernière fois, qui semble il y a une éternité. Gaël accourt lui serrer la main et déjà Sofiane le harcèle de questions.

« Putain, vous m'avez manqué les gars. » est la seule chose que Charles peut dire dans cet élan de joie.

« Guilhem a raté son train comme d'hab ! » Son capitaine toujours en retard... il a des choses qui ne changeront jamais.

Alors qu'il sent le pilier gauche l'emmener dans un débat qu'il sait peut-être interminable, il s'excuse pour partir prendre des nouvelles des autres et s'extrait de l'étau dans lequel ses amis l'avait pris.

« Salut Charles, Romain. » Ses yeux pétillent, pleins d'entrain, comme il avait été à l'époque lorsqu'il a rencontré Dusautoir et Michalak au moment de sa première sélection. Le plaisir coupable de savoir qu'il fait le même effet à un jeune à son tour est un peu trop exaltant. Il serre la main tendue de son propriétaire avec fermeté.

« Bien sûr, Romain. Content de rencontrer enfin le phénomène. » Charles laisse dérouler les paroles avec un charisme que lui-même ignorait qu'il possédait. Et Romain rougit légèrement, sourcils s'élevant sur son front. Charles ne veut pas lui dire qu'en un an de canapé, il a pu voir beaucoup plus de match d'adversaires qu'il aimerait se l'avouer.

« Content de te revoir Charles. » Charles se retourne, même s'il pourrait reconnaître la droiture de la voix du ministre de l'intérieur partout. Son sourire est une rare occurrence, il lui rend son accolade. Sa sérénité l'avait terriblement manqué.




Comme ça, il continue à faire le tour de ses coéquipiers, Camille fait mime de lui taper sur l'omoplate, Yoann admire sa barbe et il demande à Cyrille s'il ne porte pas le même t-shirt que la dernière fois. Charles est stupéfait, il ne pensait pas que les choses pouvaient redevenir exactement comme il les avait laissées.

Finalement, il se dirige vers Brunel et sa team. Il ne sait pas vraiment quoi dire, « Merci pour la sélection. » est la carte la plus évidente à jouer. Cependant dans sa tête, les paroles qui se baladent sont plus : « J'espère que je ne vous décevrai pas, j'espère que vous ne regretterez pas, je ne sais pas si je suis à la hauteur. » Mais Charles se veut fort.

L'amour, l'amour, l'amourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant