Chapitre 5

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Il s'avère qu'il est facile d'être ami avec Damian, et Charles s'y lance avec abandon. Il se laisse prendre les pieds dans des discussions farfelues, les rendant tout deux ivres d'amusement, essaye de décortiquer son cerveau quand Damian lui raconte des anecdotes plus débiles les unes que les autres. Au travail, ils s'entraînent ensemble toute la journée, s'assoient ensemble sur le chemin de presque tous les matchs, déjeunent ensemble. Ils passent un temps qualifiable d'excessif l'un avec l'autre.

Charles découvre également cet épanouissement qu'a Damian depuis leur dernière rencontre ensemble, témoin de la place clé qu'il occupe au sein de l'équipe. C'est très différent de parler ainsi, quand il est avec quelqu'un qui fait inextricablement partie du groupe. Il est aux premières loges des plaisanteries intérieures et des frustrations partagées, avec Damian comme homme de main qui l'aide à se réinsérer dans ce groupe où chacun a ses petites habitudes.

Il est impossible de voir apparaître l'un sans s'attendre à ce que le deuxième franchisse la porte dans les minutes qui suivent. Cette douce symbiose, leurs coéquipiers commencent à s'en amuser, le traitant de « daron » ou « meuf » de Damian. Il n'arrive pas à trop s'en soucier.

En dehors du travail également, ils deviennent rapidement inséparables.

Damian lui montre les passages secrets qu'il avait toujours ignoré à Rueil-Malmaison. Lui montre les toilettes où il a vomi avant son premier match en EDF. Il aimerait raconter le discours que Cyrille avait fait pendant une mi-temps mais il perdrait de sa saveur. Les exploits de Romain, 19 ans mais toujours anxieux de devoir surmonter le fantôme du joueur qu'était son père. Charles aimerait lui dire que ceci lui fait penser à quelqu'un d'autre mais il s'abstient.

Mais Damian lui raconte surtout sa vie. Sa vraie vie, le rugby est relégué au second plan.

Damian décrit un couché de soleil, lui explique les secrets d'un bon agneau pascal, pourquoi il n'aime pas les huîtres. Ils vont au restaurant et Damian lui parle de sa mère, c'est son amour inconditionnel qui me fait vivre, son père, mon rugby c'est lui je ne sais pas qui je serais sans lui, sa sœur, le plus beau cadeau de mes parents, sa grand-mère, tu l'aimerais beaucoup, sa vie d'après, vieillir en Espagne avec un chien. Et pour ces occasions, Charles s'habille presque trop bien pour n'être qu'une simple bouffe entre potes.

Damian est un moulin à paroles quand il s'y met mais Charles ne semble jamais être lassé de l'écouter. Il tient sa tête avec son bras et consume le moment avec apaisement. 




L'Argentine est leur premier opposant. Le contexte est morose, ils traversent une mauvaise passe qui malheureusement ne semble pas avoir de fin et les voilà entrés dans la Coupe du Monde 2019.

Tout le monde est nerveux et agité, comme un grand match fait toujours ressortir chez ses joueurs. C'est une bonne sorte d'énergie qui les traverse tous. Il adore le sentiment d'attendre un match comme celui-ci. L'équipe est tellement connectée, tous partageant le besoin désespéré de gagner. Il a l'impression qu'ils sont liés ensemble par les veines, la même adrénaline étant recyclée dans chacun d'eux.

Damian est aussi intéressé que tout le monde. Le Damian qu'il a rencontré lors de son arrivée se rongeait peut-être les ongles dans le tunnel, vibrant d'anxiété et priant pour ne pas faire de conneries. De manière plus réaliste, Damian aurait été sur le banc pour celui-ci. Mais pas maintenant. Maintenant, il rebondit sur la pointe de ses pieds, anticipant le défi. Il fait un sourire à Charles quand il le voit regarder. Toutes ses dents. Ou presque.


C'est le genre de jeu que Charles apprécie, où il travaille comme un chien pendant quatre-vingt minutes complètes. Il n'a jamais un moment pour se détendre, il ne peut pas baisser sa garde une seule seconde. Ils prennent leur avance dès le début, et le reste du match est consacré à défendre, et à défendre avec fureur, car les Argentins se sentent pousser des ailes, il est vrai qu'ils sont prenables. Mais Charles ne leur laissera jamais passer sans y laisser des plumes.

L'amour, l'amour, l'amourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant