Eve princesse révolutionnaire S2

Épisode 5 : Un bras de fer politique

« Je t'écoute, fit l'Empereur, intéressé.

— Ce dont les pauvres ont le plus besoin c'est d'un toit et d'un emploi. Nous pourrions faire construire des logements dans ce nouveau secteur et proposer à ceux qui acceptent d'y être transférés de les acquérir à faible taux d'intérêt.

— Hmm...

— Et lorsque ces bas-quartiers commenceront à se développer, ce qui arrivera très vite, ils pourraient s'inscrire au Siège Impérial des Métiers et nous pourrions ensuite leur offrir un emploi, ce qui leur permettrait de rembourser leurs emprunts.

— Donc on les loge et on leur offre du travail par l'intermédiaire du Siège des Métiers ?

— Oui. Avec un foyer et un emploi stables, ils deviendraient d'honnêtes citoyens de l'Empire plutôt que des miséreux sans ressource. Le secteur gagnerait alors en respectabilité, et les gens chanteraient vos louanges pour leur avoir ainsi fourni logement et travail.

— Intéressant », conclut l'Empereur, apparemment conquis par cette suggestion qui, au moins en apparence, paraissait à la fois judicieuse et généreuse.

Eve, quant à elle, avait failli lâcher sa tasse tant elle était choquée par ce qu'elle entendait.

S'ils achètent un logement et s'inscrivent au Siège des Métiers, ils ne seront plus éligibles à l'exemption des taxes. La raison pour laquelle on les en avait exempté, au siècle dernier, était qu'ils étaient — officieusement — utilisés en tant que bouclier humain. Et maintenant que la zone a enfin retrouvé une certaine sérénité, le projet consiste à leur extorquer de l'argent tout en les délogeant de chez eux...

Eve comptait éviter, dans la mesure du possible, toute confrontation directe avec Brigitte, mais il lui était impossible de rester là à l'écouter déblatérer toutes ces horreurs sans rien dire. Elle reposa sa tasse.

« Non, les habitants des bas-quartiers n'accepteront certainement pas d'être relocalisés si on leur propose ce genre marché.

— Quoi ? »

Brigitte ne s'attendait pas à une quelconque intervention critique de la part d'Eve et lui lança un regard noir. Mais celle-ci se tourna simplement vers son père pour lui expliquer son raisonnement :

« Depuis plus d'un siècle les bas-quartiers font office de bouclier contre les attaques venant de l'est. Maintenant que cette région a été pacifiée, on va leur dire d'aller se faire sacrifier ailleurs, comme des bêtes à l'abattoir. Pourquoi accepteraient-ils de le faire sans protester ? Un toit et un emploi pourraient les tenter, mais pas au prix de leur vie. Je suis certaine qu'ils refuseront de partir.

— Hum... lâcha l'Empereur, un peu embarrassé car il avait volontairement préféré ignorer cet aspect des choses.

— Peut-être envisagiez-vous d'envoyer la Garde Impériale pour les obliger à obtempérer, continua Eve. Le problème, c'est que pour les chevaliers de la Garde Impériale vos ordres sont absolus. Et je peux parier qu'ils ne feraient pas dans la dentelle et réagiraient aux protestations des pauvres habitants qui refusent d'être déplacés de la seule façon qu'ils connaissent : ils les considèreraient comme des traîtres et tueraient sans hésiter tous ceux qui montreraient la moindre velléité de résistance. Ce serait un innommable chaos. »

L'évocation de cette terrible éventualité avait laissé une forte impression sur la petite assemblée. Un silence religieux régnait dans la pièce, uniquement rompu par la voix claire d'Eve qui poursuivit sur sa lancée :

« La Garde Impériale est un symbole de l'Empereur. Les massacres perpétrés sous vos ordres seront rapportés par ceux qui auront réussi à s'échapper des bas-quartiers et les rumeurs se répandront à travers tout l'Empire, ce qui pourrait monter le peuple contre la famille impériale. Les victimes sont peut-être issues des classes sociales les moins aisées, mais ce sont malgré tout des êtres humains. Les citoyens qui résident en dehors de ces quartiers défavorisés ne sont pas aveugles et sourds au malheur des pauvres qui y habitent, ou aux injustices qu'ils subissent. Après tout, les habitants des bas-quartiers interagissent déjà au quotidien avec ceux des autres secteurs. Si je puis me permettre de donner mon avis, je voudrais insister sur le fait que mettre en place un tel projet aurait un impact négatif sur votre réputation et votre règne. »