Paris, avril 1685
Les flammes dansaient devant lui tels des rubans flamboyants que le vent de la nuit agitait. Le feu se propageait à toute vitesse terrifiant les badauds qui le regardaient depuis l'étroite ruelle. Une chaîne humaine s'était formée instinctivement pour tenter de combattre le brasier qui ravageait la façade défraichie de la taverne du Tonneau Percé. Mais aucun seau d'eau n'en venait à bout. Les flammes montaient toujours plus haut et avaient atteint les combles en quelques minutes. Le jeune homme regardait le feu enflammer le ciel obscur tandis que la fumée devenue épaisse faisait fuir les habitants de la rue. La cloche de la tour du guet carillonnait. Les gens criaient et se poussaient. Les chevaux, apeurés, hennissaient et se cabraient dangereusement.
A travers le chahut assourdissant et les coups de sabots épars, le jeune homme accosta une femme qui avait plaqué un chiffon crasseux devant son nez et sa bouche.
- Est-on sûr qu'il n'y a plus personne à l'intérieur ?
- 'Sais pas. Ça brûle depuis un moment déjà.
Tout ce qui était vivant dans ce bâtiment était, selon elle, le feu lui-même.
Le jeune homme essaya de passer outre l'allusion macabre de la femme qui partait déjà en courant. Son instinct lui assurait le contraire. La fumée vint lui piquer les yeux et le fit tousser. Il sortit alors un mouchoir de sa poche et le plongea dans une cuve d'eau croupie avant qu'on ne déverse son contenue sur les flammes. Il le plaqua ensuite sur son visage. Il s'apprêtait à pénétrer dans la taverne lorsqu'une charrette lancée à toute vitesse manqua de le renverser. Il l'évita de justesse en se jetant sur le côté et atterrit lourdement sur le pavé. La boue et les immondices de la ruelle amortirent sa chute. Le jeune homme, secoué, se mit à tousser de nouveau en avalant un mélange de poussière et de fumée. Rassemblant ses forces, il se releva et entra en courant dans le bâtiment en flammes.
Dans la pièce principale, le feu ravageait les murs et les tentures de coton, dévorait les longues tables bancales et léchait les poutres du plafond. Il renversa les tabourets et les bancs pour se frayer un passage jusqu'à l'escalier qui montait à l'étage. Sa vue était brouillée par la fumée ardente et ses larmes traçaient des sillons sur ses joues noires de suie. Il ne distingua toutefois aucune forme humaine allongée au sol. Il monta alors quatre à quatre les marches et tenta d'ouvrir la première porte sur sa droite. Il actionna la poignée en vain. Il se résolut à donner plusieurs grands coups d'épaule jusqu'à ce que le verrou cède. La chaleur des flammes et la fumée l'empêchèrent cependant d'entrer dans la chambre où les paillasses vides et les meubles étaient les seules victimes du feu. Le jeune homme força la porte de la pièce suivante. Cette fois-ci, la fumée noire vint emplir ses poumons, il se remit à tousser. Ses jambes le lâchèrent et il tomba à genoux sur le vieux parquet aux planches disjointes. Sa vue se brouillait à nouveau, sa respiration se faisait sifflante, ses forces l'abandonnaient. Il sentait que sa tête allait exploser. Au moment où il allait sombrer dans l'inconscient, elle apparut devant lui.
La jeune fille, drapée d'une robe immaculée comme les déesses antiques, se tenait debout au milieu des flammes. Ses longs cheveux bruns noués par un ruban sur la nuque s'agitaient légèrement au gré d'un vent inexistant. Ses yeux étaient grands ouverts et ne semblaient pas souffrir de la fumée irritante. Elle ne manifestait aucune difficulté pour respirer et le bas de sa robe n'attirait pas les flammes qui couraient dans le sens inverse. Sa peau laiteuse enfin n'était pas recouverte de suie crasseuse. Son être entier semblait résister au brasier et il émanait d'elle une aura indescriptible presque irréelle.
Le jeune homme était resté pétrifié devant la scène.
- Qui êtes-vous ? réussit-il à articuler.
La jeune fille ne desserra pas les dents et continua à le fixer d'un regard pénétrant. Les coins de sa bouche se relevèrent légèrement en un sourire imperceptible. Il tenta de se relever et tendit la main vers cet être qu'on redoute qu'il soit une illusion ou une hallucination. Il remarqua alors qu'elle tenait dans sa main droite une couronne de lauriers, trophée du vainqueur grec. Elle s'en coiffa sans se départir de son sourire énigmatique.
Qui était-elle ? Une déesse antique ? Un ange descendu du ciel ? L'âme envolée d'une victime des flammes ? Des hypothèses improbables – tant la jeune fille semblait réelle – envahissaient son esprit. Sa main avançait toujours vers elle et au moment où ses doigts touchèrent sa main, il fut comme aspiré en arrière par une force invisible. La pièce rétrécit et les flammes tourbillonnèrent, le plongeant dans un abîme obscur.
Merci beaucoup d'avoir lu cette première partie du prologue, j'espère que cela vous aura plu !
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Dans l'ombre du Soleil
Historical Fiction1685, Versailles. Louis XIV, le Roi-Soleil, illumine la cour. Mais dans son ombre bien des choses se trament : complots, meurtres, vols... C'est ainsi que Victoire de Cazuret, dix-sept ans et nouvelle demoiselle d'honneur de Madame, fait son entrée...