P.1 // Chapitre 6

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J'avais lâché Superflingue. Devant le cadavre se vidant de son sang, j'étais figée, ne pouvant plus bouger, figée de ce que je venais de faire, de la maladresse de ma vie. L'image aurait fait un bon film: seule, l'énorme feu derrière moi, et ma première victime devant. Un chien. Pendant la guerre, aussi bizarre cela soit-il, je n'avais jamais tué quelqu'un. J'avais tiré, certes oui, mais enlever la vie était une autre chose.

Une chose terriblement angoissante. Angoissant, parce que c'était si simple. Si simple d'appuyer sur la détente et de tirer une balle dans la tête. Beaucoup trop simple. Bras ballants, je constatai avec répugnance ma fragilité infantile. Je n'allais quand même pas en faire tout un drame. Je ne le connaissais pas, et... Et voilà. Je repoussai les autres pensées qui recommençaient à m'assaillir, ces souvenirs horriblement prenants. Je ramassai Superflingue et contournai le feu pour ne plus voir le cadavre. Ne plus y penser.

- Hé!

Je commençai à m'assoupir quand j'entendis cette voix. Une voix pleine, douce, veloutée. Une voix claire et pourtant si exigeante. Une voix inconnue.

- Ohé! Tu t'appelles Louise, c'est ça?

Je me suis levée, cherchant la personne possédant cette jolie voix. Elle arriva à ma gauche. Elle était fine et élancée, avait un visage fin et des pommettes saillantes. Son long nez fin fendait son visage parfaitement symétrique en deux. Et ses yeux foncés semblaient me reprocher quelque chose. Elle avait la combinaison vert kaki du groupe, le casque-globe transparent englobant sa tête et ses cheveux châtains.

- Euh, ouais. Répondis-je, un peu mal à l'aise. Je m'étais quand même perdue.

- Pfiou, on te cherche depuis... Je sais pas j'ai pas de montre mais assez longtemps pour avoir les jambes en feu, si tu vois le genre! Allez, bouge ton cul, on continue les recherches! Et puis c'est quoi l'animal là-bas? Tu l'as vu? Il était vivant? Il t'a agressé? Tu l'as tué d'une balle dans la tête et t'auras des remords toute ta vie? Mais non, je blague! T'aurais du voir ta tête! Bon, donc, qu'est-ce qu'il s'est passé?

Wahou. Quelle étrange personne. Je me suis levée. Et j'ai posé la question la plus stupide que l'on pourrait poser à ce moment.

- Tu t'appelles comment?

Elle me dévisagea, d'un air étonné.

- Alice. Je m'appelle Alice. T'es marrante, toi. Ouais bon accouche t'as foutu quoi?

- Hum, et bien, tu sais, quand il a fait noir.

D'ailleurs, je ne m'en était même par aperçue, mais le soleil brillai à nouveau. Je devais être trop plongée dans mes remords.

- Eh ben chacun à allumé sa lampe, et puis, il n'y avait plus personne. J'étais seule. Je ne vous ai pas vus. Alors, j'ai un peu paniqué, j'ai couru, je me suis retrouvée ici, et j'ai fait un feu, dans l'espoir de vous attirer. Puis là, le chien est apparu. Dans un sale état, on peut dire. Il grognait et hurlait, agonisant sous mes yeux, je poursuis.

- Et tu l'as achevé.

Ce terme si puissant m'a surprise. Mais c'était en quelque sorte ça.

- On peut dire ça.

- Bon écoutes on rejoins les autres et on jette un œil sur le cadavre. Mais faut d'abord le dire à Jeff. J'peux dire qu'il est pas content. Il te prend un peu pour une attardée.

- Ah, ça ne m'étonne pas, commentais-je. J'avais l'habitude.

- Ben moi non plus. Parce que pour être attardée au point de tuer un pauvre labrador, faut vraiment avoir un problème mental.

Et, alors que je m'apprêtai à lui répondre une phrase cinglante, car on peut dire que je n'appréciai pas vraiment qu'elle me traite de la sorte, elle éclata d'un rire sonore, puissant. Ah. C'était une blague.

Cette fille était tellement bizarre.


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