P.1 // Chapitre 10

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Ma tentative pour sauver l'humanité et ouvrir la porte se révéla être assez difficile, car celle-ci était fermée à clé. Après avoir forcé pendant quelques minutes, je dus me rendre à l'évidence. Trois possibilités s'offraient à moi:

1) Il y avait une autre issue.

2) Il y avait une clé.

3) J'étais coincée ici pour... Disons, pas mal de temps.

Tous mes espoirs se résumaient à une issue ou une clé.

Et ma vue se résumait à des murs blancs, un miroir, une porte, un lit.

Plus je réfléchissais, moins j'y arrivai. J'avais essayé de pousser le miroir et forcer la serrure juste avec mes pauvres doigts. J'avais soulevé le lit blanc, sans rien trouver en dessous. J'avais défait mes draps, sans aucune solution.

Puis, née du désespoir de cause, une quatrième solution s'offris à moi: Abandonner.

Depuis le début, je n'avais jamais abandonné. Pendant la guerre, je m'étais battue. Avec pour seul objectif celui de sauver ma famille. Je me sentais vivre, lorsque je pensais à eux. Je saisissais mon arme en voyant leurs visages, en me rappelant tous ces bons moments qui ne devaient jamais se transformer juste en souvenirs. Je m'étais battue. J'avais persévéré. Du moins, je me voyais comme ça.

Mais ils étaient morts. Ma mère était morte. J'avais vu ma vie s'effondrer lorsque j'avais voulu lui parler. Lorsque ses yeux s'étaient fermés, fermant et emportant avec eux la seule personne qui ne pourra jamais être égalée. Ma mère. J'avais entendu mon frère me poser cette question, à laquelle je n'avais jamais voulu répondre. Cette question insouciante d'un enfant qui ne méritait pas une telle vie. Il m'avait regardé, de ses yeux caramel tristes, avec un soupçon d'espoir. J'avais vu ses larmes couler le long de ses joues pâles. Le long de son visage enfantin, celui d'un gamin de seulement quatre ans, un pauvre enfant qui n'aurait jamais du connaitre ces malheurs pareils. Sa bouche s'était entrouverte, et il avait ravalé ses pleurs. Sa voix était étouffée, cassée. Il n'aurait jamais du connaitre la sensation de dire une phrase remplie de vérité dévastatrice. Il avait relevé la tête, m'avait regardé dans les yeux, avait pris une grande inspiration.

"Elle est... Morte?"

Je n'avais rien dit. J'avais pris sa main et on étaient partis. Comme ça. Sans rien faire. En laissant notre mère, ses sourires, ses câlins, ses taquineries, ses yeux bleus, ses éclats de rire, derrière nous. Pour toujours.

Puis, comme pour nous taquiner, la mort avait emporté notre père. Il avait été exécuté. Sous nos yeux. Juste avant, il avait plongé ses yeux dans les miens, ses yeux noirs profond, et avait prononcé cette phrase à laquelle j'essaye toujours de trouver un sens.

"Ils sont là."

J'ai, chaque jour, essayé de comprendre de qui il parlait. Je n'ai jamais trouvé.

Mon père et ma mère étaient morts. Et je m'étais promis de les protéger plus que tout. Au fond, j'avais échoué. Et puis, je me croyais forte, mais je culpabilisai bien en ayant tué un monstre-labrador. Tout s'était passé très vite, dans ma vie. La guerre avait tout emporté. Tout était chamboulé. On avait plus le temps de réfléchir et comprendre ce qu'il se passait. Ça se passait, et c'était passé. Et on continuait. Il y avait beaucoup trop d'événements à la suite. Il nous aurait fallu juste une petite pause. 

Mais je n'acceptai pas le fait de me reposer. Il fallait être actif. Il y avait un monde à sauver. Et mon petit frère à protéger. Il fallait se battre.

Pour lui. Pour eux. 

Tout à coup, la porte s'ouvrit dans un grincement effroyable. Aucun cliquetis de clés, aucune personne avec un fusil braqué sur ma tempe, aucun labrador à exécuter. Juste la porte grande ouverte sur un paysage magnifique. Magnifiquement terrible, oui. 

Des fleurs noires et rouges tapissaient le sol, de grands arbres sombres obscurcissaient le ciel. Des feuilles grises voletaient dans leur course lente jusqu'au sol. J'étais dans une clairière. 

Je me précipitai dehors, dans un élan de liberté et de peur, car jusqu'à maintenant, liberté et peur étaient toujours ensemble. J'étais là, les pieds enfoncés dans l'herbe noire, les fleurs rouges chatouillant mes chevilles. L'air sentait le brûlé. Je me retournai, et vit le bloc blanc où j'avais été enfermée... Ou protégée. Le vent caressait lentement mes cheveux, faisant bouger les feuilles noires des arbres dans une danse lente et trouble. J'aperçu une troupe d'hommes, face à moi, au loin. Habillés comme moi, il ne m'inspiraient guère confiance. Mais ce devait être des hommes de l'équipe. Ils observaient étrangement, la tête baissée, une forme noire sur le sol. A mi-chemin entre eux et moi, inerte, elle était allongée sur le tapis de fleurs rouges. 

Puis, je la vis plus clairement, en m'approchant lentement. Une odeur chaude et putride flottait dans l'air à cet endroit. 

Toute la réalité vint me frapper douloureusement. 

C'était un cadavre. Un cadavre étrangement familier.


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