CHAPITRE V

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Je laissais ma traîtresse de côté lorsque Madame Sagne revint. Elle s'adressait à quelqu'un d'autre à voix basse.

- Raphaël, voici Mme Marie. Elle t'aidera dans tes déplacements quotidiens et vérifiera la santé de tes yeux.

Si Mme Marie était suffisamment futée, elle remarquerait bien vite que l'état de mes yeux ne valait plus grand chose. Je ne dis rien, me fiant à l'expertise médicale.

Mme Marie s'installa à mes côtés sur le canapé.

- Tout ira bien, je te l'assure.

Sa voix était douce et faible.

- Je sais, répondis-je distraitement.

Mon dieu, cette indifférence, ce détachement ... me rappelaient cruellement Myriam. Il avait suffit de quarante-cinq minutes avec elle pour que je recopie son attitude.

Un peu d'authenticité, me réprimandai-je en silence.

Mme Marie m'expliqua comment aller mieux, me donna les instructions pratiques de l'établissement. Curieusement, les poireaux bio ne furent pas mentionnés, pardon Monsieur Darbon.

L'établissement St Val proposait un programme scolaire, pour tenir au niveau des pensionnaires. Personnellement, je pensais que c'était une manière exotique de dompter l'ennui. Ou d'arrondir les fins de mois. Notre petit nombre -six- permettait aux professeurs de nous suivre, chacun à son rythme.

Je repensais à Maman qui basait sa fierté maternelle uniquement sur mes résultats. Un sourire effleura mon visage quand j'imaginais sa tête dépitée à l'idée que je n'aurais pas mon bac.

Le prochain cours général était prévu pour quatorze heures. Quelle joie.
Mon humeur grimpa d'un cran sur l'échelle de la déprime en apprenant qu'il s'agirait d'un cours d'anglais.

Mme Marie m'y mena et me fit asseoir au premier rang.

J'entendis les autres se glisser sur les bancs voisins.

Un courant d'air venu d'une porte au fond de la pièce rafraîchit l'atmosphère d'été. De cette porte émergea le professeur. Je perçus sa présence seulement lorsqu'il se mit à parler.

- Myriam Castel est absente aujourd'hui ?

Une voix de fille le confirma derrière mon épaule.

Ainsi, Myriam m'avait menti. Les noms de famille étaient utilisés. Pourquoi voulait-elle cacher le sien ?

- Et nous avons un nouveau, remarqua le professeur. Vous êtes ?

- Aveugle, coupa la même voix dans mon dos.

- Raphaël Sérès, répliquais-je.

La fille derrière soupira, comme si ma remarque lui semblait déplacée.

Le professeur enchaîna, dissimulant fort mal son embarras.

- Ce n'est pas grave, dit-il, Miss Marlene n'a pas fait exprès. Commençons le cours.

Un cri l'empêcha d'ajouter quoi que ce soit. Venu de mon côté droit, il avait les inflexions d'un enfant apeuré.

- Miss Becky, non !

Le désespoir se sentait dans la pauvre voix chevrotante du professeur.

Le bruit sourd des objets lançés dans la salle me fit sursauter.

- Je veux maman ! hurla Becky.

Son timbre était celui d'un adulte mur, cependant, son accentuation était cette d'une enfant de l'âge d'Eulalie.

La nuit sans étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant