Comment pensez vous que quelqu'un de constamment rabaissé, traité de dangereux, abandonné de tous puisse garder tête haute ?
Myriam affirmait que tout tenait à un égo bien ancré. Selon elle, le fait de s'aimer elle-même l'avait sauvegardée.Vous y croyez franchement ?
Moi non.Si toute sa vie, on l'a humiliée, elle n'a pas pu penser seule, à contre-courant, qu'elle avait de la valeur.
Je ne pensais pas qu'elle mentait, mais j'étais persuadé du fait qu'il y avait une autre raison, que peut être elle même ignorait, qui lui avait permis de survivre, et de ne pas sauter de la falaise.
Myriam ne jouait que des airs joyeux. Son piano devait, sur une échelle de un à dix de bonheur, plafonner à dix toute l'année.
Les plus tristes requiem, elle savait les rendre doux et paisibles. Quand Beethoven le dépressif (je ne juge absolument pas ceux qui ont perdu un de leurs cinq sens) composait des airs à fendre les pierres, Myriam les rejouait tranquillement, en ravivant le sourire de l'établissement entier.
La joie de ses morceaux étaient sa carapace. Sans oublier l'humour. L'humour mordant derrière lequel elle se réfugiait en dernière instance.
Une fois, je surpris Oscar Sagne rire à un de ses jeux de mots. Il cherchait à engueuler ma petite pianiste, en plus.
Sa joie de vivre était contagieuse. C'était la personne avec la vie la plus dure qu'il soit, et qui pourtant, nous soutenait tous avec ses rires.
* * *
Bref, ça, c'était tout ce à quoi je pensais en cours de maths, preuve en est que les maths sont une discipline ultra palpitante.Le professeur, Madame Lombard, parlait avec sa voix nasale, presque aussi ennuyée par son cours que ses élèves. Toutes les deux minutes, elle mouchait son nez enrhumé (c'est possible en juin ?), ce qui était fort propice à la concentration en cours (à peine ironique).
Cette fois je m'étais mis au fond. Enfin, Myriam m'avait mis au fond. Elle m'avait attrapé le bras :
- Raphaël, s'étonna-t-elle, c'est pas du masochisme de se mettre au premier rang ?
J'étais tout le temps devant.
- Plus on est près de la porte, continua-t-elle, mieux c'est, on peut déguerpir au plus vite.
Wahou. Je découvrais l'assiduité de ma nouvelle amie.
Sur sa table, un bruit familier vint me chatouiller la mémoire.
- Tu dessines ? lui chuchotai-je.
J'adoucis ma voix au maximum, pour dissimuler l'envie jalouse de mon âme d'artiste.
- Oui, répondit-elle, tu veux faire un dessin toi aussi ? Tu veux dessiner quoi ?
Je connaissais ses petits élans de sadisme envers Sagne ou Marlène. Mais jamais je n'avais imaginé qu'elle pouvait s'en prendre à moi ! Je répondis pourtant :
- Un oiseau.
Alors je sentis sa main chaude glisser dans la mienne un crayon.
- C'est parti ! annonça-t-elle.
Ses doigts restèrent posés sur ma main et dirigeaient le trait. Quelque chose au fond de mon cœur se délia. Je sentais mon crayon réaliser tout ce qui faisait ma vie.
Mes mains prenaient de la vitesse. Sans y réfléchir, je congédiai mon guide et liberai ma passion sur la feuille. Les minutes s'écoulaient sans que je m'en aperçoive. En même temps, c'était normal : je ne pouvais rien appercevoir.
- Bonne journée à tous ! lança Mme Lombard entre deux éternuements.
Surpris, je relevais la tête. Les bancs raclaient le sol et les trousses se refermaient.
Myriam n'eut pas besoin de ranger ses cahiers : elle ne les avait même pas sortis.
- Merci, murmurai-je.
Elle rit doucement.
- Mais ce fut un plaisir, cher Raphaël !
Je la suivais hors de la salle.
- Fais gaffe à la marche, prévint-elle.
- T'aurais pas dû lui dire, soupira Marlène. C'aurait été plus drôle. Mais personne n'a le sens de l'humour, ici.
Ma main fut saisie par Myriam, et sans rien décider, je me retrouvais embarqué trois couloirs plus loin.
Un courant d'air s'engouffra entre les murs.
Je perdais cinq ans d'un coup. Papa m'emmenait voir Eulalie, qui venait de naître. "Il faudra être tout doux" précisait-il. Cette journée faisait partie de ses journées de bonne humeur, ces journées où toute nouveauté fait plaisir, où on a plus qu'à se laisser guider par une main amicale.
VOUS LISEZ
La nuit sans étoiles
Historia CortaJ'étais peintre, avant qu'un accident ait l'ingénieuse idée de me rendre aveugle. Dans leur extrême bonté, mes parents m'on expédié dans ce fameux centre "pour les enfants à problèmes". Ma seule amie est folle. Médicament prouvé. (Un vraie tarée, v...