Les obsèques ont lieu dans le même jardin où mon mariage a été célébré. L'endroit a été complètement aménagé pour l'occasion. Des centaines de chaises drapées de noir sont installées en ligne symétrique. Une grande arcade également décorée de soie noire fait face aux rangées de chaises.
Les invités, tous vêtus de noir, arrivent en masse et je regarde, écœurée, certains nobles se disputer les places les plus proches de l'arcade.
Je suis moi-même vêtue d'une longue robe en velours noir, sans décolleté, aux manches longues malgré la chaleur de cette après-midi d'été. En venant me chercher à ma chambre, Victor a validé ma tenue d'un hochement du menton. Il porte quant à lui un costume noir de soie très élégant. Ses traits sont tirés et son teint pâle. Même ses cheveux semblent ternes. J'imagine qu'il peine à trouver le sommeil ces temps-ci.
Entre nous se trouvent Mino et Léon, les deux fils qu'il a eus avec Carmen. Ils sont habillés avec le même ensemble que leur père bien que Léon sache à peine marcher. Il lève vers moi ses grands yeux noirs, innocents. Il est trop jeune pour comprendre la notion même de mort et il ignore ce qu'il fait ici. Nous traversons les rangées de chaises en direction des places qui nous sont réservées au premier rang. Les invités s'approchent de nous, désireux de présenter leurs condoléances au prince. L'atmosphère devient vite étouffante sous la chaleur et les aristocrates qui tournent autour de nous comme des vautours. Léon éclate en sanglots. Je le prends alors dans mes bras et fais signe à Victor que je vais m'asseoir avec Léon.
Peu de temps après, les pleurs du petit au fini par se calmer. Le prince Henri prend place à ma gauche, accompagné de son épouse Marie. Il me salue d'une tape sur l'épaule et d'un sourire amical.
─ Bonjour, Lya, comment vas-tu ? Je vois que tu prends ton rôle très au sérieux avec mon petit cousin, dit-il en caressant la joue du petit Léon qui gazouille sur mes genoux.
─ Je plains cet enfant. Carmen avant d'être une princesse était une mère.
─ Nous la regrettons tous et nous ne cesserons de chercher son meurtrier que lorsqu'il sera exécuté.
Son ton habituellement chaleureux et devenu glacial. Victor me rejoint enfin, prend Léon sur ses genoux et place Mino entre nous.
C'est sans grande surprise le roi lui-même qui va présider la cérémonie. Il arrive en grande pompe et est le seul à ne pas être en noir. Il porte une sorte de toge pourpre, très similaire à celle qu'il portait pour notre mariage. J'imagine que cela doit être son costume de cérémonie.
Il invite les retardataires à s'installer. Je me retourne et observe les gens derrière moi. Ils sont au moins quatre cents. Tout le monde voulait rendre hommage à Carmen ou du moins se faire bien voir par la famille royale. Les épouses ont troqué leurs tenues colorées et leurs bijoux ostentatoires des robes dénuées de tout artifices. Certaines ont simplement un éventail qu'elles agitent dans l'espoir de rendre la chaleur suffocante plus supportable. Leurs maris sont également engoncés pour la plupart dans des costumes trois-pièces qui les font allègrement transpirer.
Au fond de l'assemblée, je croise un regard bleu amical. Je reconnais immédiatement Célestin qui me fait un signe discret de la main. Je réponds par un léger sourire. À côté de lui se trouve le professeur Amédée, qui a pour l'occasion revêtu un costume des plus simples. Il regarde droit devant lui, semblant sincèrement s'ennuyer. Je reconcentre mon attention sur l'arche. Un orchestre constitué de deux joueurs de harpe et d'un violoncelle entame une mélopée triste et mélancolique. Quatre hommes, vêtus de noirs, traversent l'assemblé en portant un magnifique cercueil de bois clair, entièrement couvert de pivoines blanches qui contrastent avec les tenues sombres que nous abordons. Leur marche, calée sur la mélodie, semble durer une éternité. Une fois le cercueil déposé au centre de l'arche, Constant prend la parole :
─ Nous sommes réunis ici pour rendre un dernier hommage à la princesse Carmen qui nous a quittés bien trop tôt. C'est une perte immense, non seulement pour sa famille et son époux, mon neveu Victor qui la chérissait de tout son être, mais aussi pour le royaume d'Héxode tout entier. Carmen portait la vie, une vie tellement importante pour notre peuple, qui essaye de survivre malgré le manque cruel de naissance et une population qui se réduit chaque année. Son décès est une hérésie qui endeuille une nation entière. Nous honorerons longtemps sa mémoire, celle d'une femme à la volonté de feu et qui aurait aimé accomplir son devoir jusqu'au bout. Je jure devant vous tous que celui ou celle qui ont osé causer un tel affront à notre famille, en paiera le prix.
Du coin de l'œil je vois couler des larmes silencieuses sur le visage de Victor qui sert son fils contre son cœur. Si je n'avais pas vu son double visage l'autre nuit, je pourrais presque éprouver de la compassion.
Après le long discours du roi, nous nous levons et nous suivons dans un immense cortège le cercueil qui est amené jusque dans le cimetière royal où sont enterrés tous les membres de la monarchie d'Hexode, derrière le palais. Seule la famille a le droit de pénétrer dedans, le reste des personnes présentes attendent à l'entrée. Un serviteur arrive avec un bouquet de pivoines toujours blanches et en distribue une à chacun d'entre nous. Tour à tour, nous déposons la fleur sur le cercueil placé dans la tombe. Même Mino et Léon ont reçu une fleur. Dans le silence général, la tombe de Carmen est scellée. On peut désormais y lire :
« Ici repose la princesse Carmen,
2701- 2723 »
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La Tour de sang
Mystery / ThrillerNous sommes en 2890, le genre humain a été décimé par un virus foudroyant et mortel créé pas un laboratoire il y a maintenant plus de trois cents ans. Des scientifiques ont miraculeusement trouvé un vaccin avant que l'espèce ne s'éteigne complètemen...