Chapitre 12 : Le Secret

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À la fin de la leçon, j'invite Cassandra à prendre le thé à mon étage.

─ Je me demandais, sais-tu pourquoi Giorgia a le titre de reine et non de princesse ? Seules les épouses officielles du roi devraient porter ce titre ?

─ C'est un titre purement honorifique. Mais la loi d'Hexode précise que si une fille nait dans la fratrie royale, elle doit régner auprès du premier héritier. Mais méfie-toi, Giorgia est très maligne et Constant quoi qu'on en dise prend l'avis de sa sœur très au sérieux, même en politique. Bien plus que celui de ses épouses.

─ Pourquoi Camille est la seule à être présente à la plupart de nos rencontres ?

─ C'est la première épouse donc la plus ancienne. Certains royaumes comme Luxy ne reconnaissent pas la polygamie comme légale. Les rumeurs prétendent d'ailleurs que c'est pour ça qu'Henri n'aurait pas encore pris de seconde épouse, cela ferait partie du marché que Constant a passé avec le roi de Luxi.

─ Pourtant Maude est le fruit d'une relation entre le roi et une maîtresse ?

─ Peut-être, mais le roi Conrad n'a officiellement qu'une épouse, la reine Sophie. Mais pour en revenir au cas du roi Constant, lors des évènements officiels, où il y a le risque d'avoir un ambassadeur étranger, il ne parait qu'avec Camille. Il est d'ailleurs très discret sur ses autres épouses. Mais ce matin ses deux autres femmes, Noume et Nara étaient bien présentes, elles se trouvaient sur le banc à gauche de celui de Giorgia et Camille.

Seul un vague souvenir de deux jeunes filles quelconques aux cheveux châtain d'une vingtaine d'années me vient en tête.

─ C'est vrai que mes parents m'avaient parlé de Camille, mais ne connaissaient pas le nom de ses autres femmes. Mais c'est étrange, je me suis dit qu'elles avaient comme un air de famille.

─ Effectivement, elles sont sœurs.  C'est d'ailleurs, parait-il, ce qui a plu au roi.

─ Quelle incroyable coïncidence ! Une femme qui met au monde deux filles, cela parait miraculeux !

Cassandra semble sur le point d'ajouter quelque chose, mais elle se retient.

─ Qu'y a-t-il ?

─ Je ne devrais pas en parler, mais Maya m'a raconté que certaines femmes... Des femmes pour qui le processus serait inversé... Elles ne mettent au jour dans la très grande majorité des cas que des  petites filles.

─ Que dis-tu là ? Cela semble impossible, on en aurait entendu parler sinon...

─ Moi non plus, jusqu'à ce que Maya me le confie. Et j'ai une confiance aveugle en elle. Elle m'a aussi dit que lorsqu'une d'elles était découverte, elle courrait un grand danger et était cachée aux yeux de tous pour ne pas que des racoleurs viennent la capturer pour la vendent à un royaume voisin ou pire. Leur existence serait une sorte de secret d'État.

─ Penses-tu qu'elle en a rencontré en chair et en os ?

─ C'est possible, elle aide de nombreuses femmes. Mais en tout cas, rien ne dit que ce soit le cas de la mère de Noum et de Nara. Statistiquement, il y a en soi une chance que cela arrive.

─ Qui était leur mère ?

─ Nous ne le savons pas, elles ont été choisies comme nous, au cours d'une « campagne de recrutement » dans  le royaume.

***

Cela fait maintenant quelques heures que Cassandra est retournée à l'étage des Hortensias lorsque Jean entre dans ma chambre.

─ Eh bien Jean tu es bien en avance pour l'heure du diner. Il est à peine six heures.

─ Je ne viens pas pour ça, une lettre de vos parents est parvenue aujourd'hui au palais.

Je me rends compte qu'avec les évènements récents j'ai à peine eu le temps de penser à ma famille et encore moins penser à leur écrire. Pourtant cette lettre me fit l'effet d'une claque. Ils me manquaient terriblement.

« Chère Lya,

Nous espérons que tu vas bien. Nous avons appris le meurtre de la princesse Carmen à tes noces et nous sommes très inquiets pour toi. Nous n'avons pas plus d'informations, simplement des rumeurs échangées au village.

Donne-nous rapidement de tes nouvelles, raconte-nous les détails de ta vie au palais. Nous espérons que malgré tout tu y es heureuse et qu'un avenir lumineux s'ouvre à toi.

À la ferme, malheureusement, les choses sont de plus en plus compliquées. Tes frères nous sont d'une grande aide, mais malheureusement les récoltes ne sont pas à la hauteur de nos espérances. Nous avons peur de ne pas avoir assez de vivres pour passer l'hiver si nous avons quatre bouches à nourrir. De nombreux fermiers du coin craignent une famine.  Nous sommes désolés de te demander cette faveur, mais en tant que princesses, pourrais-tu demander au roi s'il est possible d'engager un de tes frères au palais ? N'importe quel poste leur conviendrait et cela nous soulagerait beaucoup, l'hiver s'annonce dur.

Nous t'envoyons toutes nos pensées et n'oublie pas que nous t'aimons,

Prends soin de toi et en espérant te revoir vite,

Maman et Papa. »

          Je relis la lettre plusieurs fois. Le manque de ma famille se déverse alors sur moi je me mets à sangloter. Il est vrai qu'avant mon départ pour les sélections du prince Victor, mes parents s'inquiétaient déjà des maigres récoltes dues à plusieurs gelées répétées tard dans le printemps. Il nous est déjà arrivé de passer des hivers difficiles, où nous devions nous priver pour tenir jusqu'au printemps, mais jamais nous n'avons parlé de famine.

Je m'empresse de répondre à mes parents en prenant du papier et une enveloppe dans la bibliothèque. Je leur assure que je ferai mon possible pour obtenir le plus rapidement un travail à un de mes frères, qui serait nourri et logé au palais, donc un poids en moins pour mes parents. Je suis d'autant plus inquiète qu'ils ont très à cœur de nous protéger et pour qu'ils se montrent si directs avec moi, c'est que la situation doit être grave.

Je marque l'adresse de mes parents sur l'enveloppe et attends le retour de Jean pour qu'il l'envoie au plus vite. Lorsque vient l'heure du dîner, je suis surprise de le voir arriver avec Victor.

─ Bonsoir Lya, dit-il d'un ton cérémonieux

─ Bonsoir.

─ Comme tu le sais, l'enterrement de ma très regrettée Carmen aura lieu demain. Tu es mon épouse maintenant, tu seras donc assise au premier rang avec moi. Ton rôle sera également de t'occuper de mes deux fils, Carl et Max. Tu es leur belle-mère et la seule figure maternelle qu'il leur reste. Ils sont tout ce qu'il me reste de mon épouse et j'ose espérer que tu t'entendras bien avec eux. Sa voix se brise lorsqu'il parle de Carmen, bien qu'il essaye de cacher sa souffrance derrière un masque froid, ses yeux trahissent la douleur qu'il ressent à la simple évocation de sa défunte épouse. Tu as déjà rencontré Mino le jour de notre mariage. C'est lui qui a apporté les alliances.

─ Je me souviens. Pauvres enfants.

          Bien que la douleur de Victor me laisse de glace, j'éprouve une profonde peine en songeant aux deux enfants de Carmen qui ont perdu leur mère si jeunes.

─ Je passerai te prendre juste avant la cérémonie. Nous arriverons ensemble. Mets une tenue convenable.

          Il quitte mes appartements sur ces mots. Je reste un moment abasourdie. Quel culot ! Je me dis qu'au moins la veille des funérailles de Carmen il ne risque pas de venir me rendre visite pendant la nuit.

La Tour de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant