Je suis réveillée par deux coups secs portés à la lourde porte en bois de ma chambre. Il ne doit pas être plus de six heures et je peine à sortir de ma torpeur. Je n'ai réussi à dormir que quelques heures d'un sommeil agité.Le mariage doit avoir lieu aujourd'hui. Il se passera dans la grande salle de bal du château du roi Constant à la tombée du jour. Toute la fine fleur de la cour sera présente. Un mariage royal est un évènement toujours attendu et y être invité est un signe de reconnaissance.
Le prince Victor, neveu du roi Contant a choisi de prendre en ce mois d'août une seconde épouse, seulement deux ans après s'être marié à Carmen, une jeune et belle comtesse qui lui a déjà donné deux fils et qui selon les rumeurs attend un troisième enfant.
Je repousse mes couvertures et pose mes pieds sur le sol glacé. J'ouvre la porte et me retrouve face à Jean, le jeune serviteur aux cheveux châtain qui m'est attitré depuis mon arrivée au château.
─ Bonjour Votre Altesse, dit-il en s'inclinant respectueusement.
─ Je ne le suis pas encore Jean, répondis-je d'une voix morne, appelez-moi Lya.
─ Oh, Madame, ce soir ce sera fait, me lance-t-il avec un clin d'œil malicieux.
Jean commence à s'affairer autour de moi. Il tire les rideaux qui laissent entrer la douce lumière matinale dans la pièce et fait couler un bain chaud dans la baignoire en granit rose qui se trouve dans la salle de bain attenante à ma chambre. Il verse ensuite une huile odorante de jasmin. Il me fait signe de venir m'y baigner. Je suis mal à l'aise, je ne me suis jamais dévêtue devant un homme et j'aurais largement préféré être préparée par une femme, même si je sais pertinemment que le nombre de servantes dans le palais doit se compter sur les doigts d'une main. Je retire ma chemise de nuit de soie et Jean à la pudeur de détourner le regard jusqu'à ce que je sois dans l'eau. Il se glisse derrière la baignoire s'attèle alors à démêler ma longue crinière blonde cendrée.
─Tu sais que je pourrai me préparer seule tout de même ?
─ Vous n'y pensez pas Madame, à partir d'aujourd'hui vous n'aurez plus jamais à lever le petit doigt pour quoi que ce soit. De plus il va falloir au moins toute la journée pour vous préparer et il ne faudrait pas vous fatiguer avant le mariage, répond-il en riant.
Entre les mains douces de Jean et la tiédeur du bain, je commence malgré tout à me détendre et je laisse mes idées vagabonder. Je n'en reviens toujours pas d'être ici, prête à épouser le prince Victor. Il y a encore une semaine, je vivais dans ma ferme familiale
auprès de mes chers parents et de mes six frères à des kilomètres de la cour.
Mon destin a basculé le jour où nous avons reçu une lettre venant du roi Constant qui conviait toutes les jeunes filles du royaume d'Hexode entre treize et vingt ans à assister à un repas au palais. Cette invitation était en réalité une obligation déguisée. Refuser de s'y rendre aurait pu nous exposer à de sévères sanctions.
Nous étions environ deux cents à nous rendre à ce repas. La salle immense disposait de grands vitraux derrière lesquels on nous observait. Au bout de quelques heures, les deux tiers des jeunes femmes ont été invités à quitter la salle. Le prince Victor est ensuite entré et s'est rapidement présenté. Il a échangé brièvement avec chacune d'entre nous, s'attardant parfois plus longtemps avec certaines. Nous nous doutions bien évidemment de ses intentions et les filles se présentaient sous leur meilleur jour, ne lésinant pas sur les minauderies et les sourires engageants. Être l'élu du prince nous promettait une belle vie, loin de la misère et des horreurs qui règnent dans le reste du royaume. En tant que femme nous savons que nous serons un jour ou l'autre forcées d'épouser un homme et de lui donner le plus d'enfants possibles dans l'espoir d'engendrer une fille. Les mariages d'amour ne sont plus que des légendes et quitte à être des génitrices avant d'être des femmes, autant l'être dans le luxe au sein du palais. Et cela malgré la manière de procéder pour le moins cavalière du prince qui n'aurait pas choisi différemment son bétail au marché.
Quoiqu'il en soit, à la fin de la journée nous n'étions plus que trois, une grande brune d'une beauté classique et pure, une rousse voluptueuse à l'allure incendiaire et moi-même. Nous avons toutes été emmenées dans des parties différentes du palais sans avoir le temps d'échanger un mot. La brune m'avait simplement attrapé la main de manière fugace et me l'avait serrée dans ce que j'imaginais être un geste de soutien.
Cela fait donc sept jours que je demeure dans cette chambre. J'ai seulement eu le droit de me balader dans le verger sur lequel donnent les nombreuses fenêtres de ma chambre. Le prince Victor est venu me rendre visite une seule fois pour me confirmer son souhait de m'épouser. Ce fut un échange fort courtois et très conventionnel. Bien que déjà traitée comme une princesse par les servants du palais, je ne peux m'empêcher de me sentir seule et prisonnière entre ces murs.
J'ai averti mes parents par lettre de la décision du prince et je sais que cette nouvelle est inespérée pour eux. Leur plus grande crainte était que je fasse un mariage malheureux ou pire que je sois enlevée par des racoleurs comme nous les appelons, qui capturent des jeunes filles pour les vendre au prix fort aux hommes puissants du royaume ou des royaumes voisins. Ces femmes vivent ensuite captives, violées quotidiennement, enchainant grossesse sur grossesse, ne voyant même plus la lumière du jour.
Je suis ramenée au présent lorsque Jean enroule une serviette autour de mes épaules après avoir soigneusement essoré mes cheveux. Le temps qu'il me les sèchent, trois autres servants que je n'ai jamais vu entrent avec un portant sur lesquels se trouvent des robes toutes plus somptueuses les unes que les autres.
Jean m'explique que je vais devoir choisir ma toilette de mariée maintenant pour qu'il puisse accorder mon maquillage avec. Je me lève et laisse glisser ma main sur les tissus tellement soyeux des robes qu'ils semblent couler sur mes mains comme de l'eau. Je n'ai porté toute ma vie que des robes de laines recousues au fil des ans par les mains adroites de ma mère et je reste béate devant de telles merveilles. Je m'arrête sur une robe argentée avec un bustier d'une dentelle si fine et travaillée qu'elle semble avoir été brodée par des fées.
─ Je pense mettre celle-ci, Jean.
─ C'est un très bon choix, Madame Lya, mais avant de l'enfiler il faut aussi que vous choisissiez vos dessous.
Il saisit alors une grande boîte en velours rose posée sur le portant des robes. À l'intérieur de découvre une multitude de dessous affriolants. Je me sens rougir violemment et cela me rappelle le moment de mon mariage qui m'angoisse le plus. Je n'ai jamais connu d'hommes dans l'intimité et j'appréhende ma nuit de noces. Bien que le prince Victor ne soit pas désagréable à regarder, cela me révulse de me donner à un homme que je ne connais pas.
Je choisis pourtant docilement un ensemble blanc que je ne juge pas trop aguicheur. Ironiquement je me dis que cette couleur symbolise la pureté qui va bientôt m'être arrachée.
Le reste de la journée passe plutôt rapidement en compagnie de Jean dont les bavardages légers et les commérages qu'il me raconte sur les membres de la cour que je ne connais pas encore font passer les heures plus vite.
Il vient l'heure de passer ma robe. Je me glisse derrière le paravent qui se trouve dans un coin de ma chambre et mets ma tenue de mariée. Lorsque je me regarde dans le miroir, je ne me reconnais pas. Jean a fait des miracles. Mes longs cheveux cendrés sont suavement remontés sur ma nuque et parsemés de fleurs blanches. Mon teint est frais et il ne porte plus aucune trace de la mauvaise nuit que j'ai passé. Jean a pris soin de souligner mes yeux d'un trait de khôl noir qui intensifie leur vert sans les assombrir. Quant à mes lèvres fines, elles sont délicatement teintées d'un rose tendre.
La robe s'ajuste parfaitement à ma silhouette fine. Le bustier souligne joliment ma petite poitrine, et marque la finesse de ma taille avant de s'évaser comme si des vagues argentées se mouvaient autour de mes jambes.
─ Voilà la plus ravissante mariée que n'ai jamais vu, s'exclame Jean en se frappant les mains et en sautant sur place. Mais il est temps d'y aller, Madame, le soleil se couche et cela serait vraiment fâcheux que vous soyez en retard à vos propres noces.
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La Tour de sang
Misterio / SuspensoNous sommes en 2890, le genre humain a été décimé par un virus foudroyant et mortel créé pas un laboratoire il y a maintenant plus de trois cents ans. Des scientifiques ont miraculeusement trouvé un vaccin avant que l'espèce ne s'éteigne complètemen...