case 4 : un de perdus, enfaîte tout est perdu

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Le retour après toute la scène d'hier fut difficile, au point que je n'avais même pas mis les pieds chez moi ce soir-là. Roxanne et Camille m'avaient forcée de m'héberger dans leur appartement, et pour être honnête, j'avais directement pensé à mes parents qui avaient probablement vu l'information à la télé et qui devaient être morts de peur. Me savoir chez quelqu'un de confiance le plus rapidement devait probablement les soulager.

J'arrivais sur le campus avant que les deux filles se réveillent, au moins je m'assurais d'avoir des places dans l'amphithéâtre et pour mon premier cours de criminologie. En tout cas, tout cela avant que l'un des intrus de la veille vienne me faire ravaler mes rêves.

– Ça te dit de venir t'asseoir avec nous ? Me proposa Harvey en se glissant derrière la porte ouverte, s'attendant à ce que je fasse de même.

-Je suis désolée, mais j'ai déjà prévu de m'asseoir avec quelqu'un d'autre. Merci quand même, lui répondis-je, essayant de me frayer un chemin entre son imposante carrure et les chaises qui me bloquaient la route.

-Si j'étais toi, je n'irais pas aussi au devant de la salle. Les filles s'asseyent derrière, au milieu de la salle. Roxanne dit qu'on s'y sent mieux et qu'on suit mieux le cours.

Je ne répondis pas, me contentant de continuer ma route, d'autant qu'il avait raison : je ne pouvais pas le laisser gagner sur ce coup-là. Quitte à changer de place dès que les filles arriveraient, tant que personne ne se mettait sur ma route, je comptais bien prendre les places de devant.

– Du coup, Layla ? Tu es nouvelle ici ? Ça te dit de venir à une fête étudiante la semaine prochaine, histoire de découvrir du monde ? Je peux même être ton guide personnel ! S'exclama-t-il à une cadence qui fit tournoyer ma tête. J'ignorais comment un être humain avait la capacité de parler autant sans se fatiguer et à une telle vitesse !

– Je te remercie pour cette invitation, mais les soirées, ce n'est pas trop mon genre. Les études passent en priorité à tout ce genre de chose.

— J'avoue, moi aussi, ça commence à me gaver, les soirées. C'est cool, mais sans plus. Toujours les mêmes choses de la même manière, on s'ennuie au bout d'un moment.

Harvey marqua une pause, cherchant ses mots, les mains passées dans l'arrière des brins noirs habillant sa tête. Il continuait à me suivre dans les allées de la salle, comme s'il me faisait découvrir les îles Fidji, une terre complètement inconnue. En réalité, il avait déjà appelé Jawara, scotché à son téléphone et sa chaise.

– Ça te dit de rester un peu avec nous avant le début de l'heure, histoire de faire connaissance ? Finit-il par ajouter.

Un long soupir et mes affaires étaient déjà posées à côté de celles de Hayden. Je ne pouvais pas refuser toutes ses demandes en bloc.Qu'est-ce qu'il pouvait bien inventer sur moi aux autres ?

"La nouvelle étrangère allergique aux autres étudiants ?" "La nouvelle qui pense pouvoir faire sa dictature ? "La nouvelle solitaire, sans ami et qui en est fière ?"

Je chassais instantanément toutes ces bulles qui me venaient en tête. Elles s'accumuleraient trop vite si je ne faisais pas quelque chose. Je sais que j'avais l'air désagréable. Pas besoin d'en rajouter encore plus à mon moral.

-Qu'est-ce qui te ramène dans l'université en plein milieu de décembre ? Me demanda Harvey, insistant afin de me laisser m'installer en première.

-Je m'étais inscrite en septembre, mais le temps d'avoir mon visa et de déménager a fait que je suis arrivée en retard.

-Tu n'es donc pas née au Canada ? Moi aussi, à vrai dire. Je suis né à Montréal, mes parents se sont installés ici quand j'avais cinq ans.

Tout en racontant l'histoire de sa vie, Harvey commençait à saluer les arrivants à l'intérieur de la salle, un geste de la main furtif de gauche à droite. Tout cela me mettait dans un inconfort monstre. Je ne savais pas comment réagir. Je ne pouvais que rester silencieuse, espérant que tout cela passerait rapidement et sans qu'aucun ne vienne se joindre à la conversation, sans quoi je perdrais définitivement l'usage de ma voix.

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