Chapitre 2

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Le soleil matinal éclaboussait le ciel d'une lumière éblouissante, contrastant cruellement avec la tragédie qui s'était déroulée. Port-au-prince était ravagé et les morts jonchaient l'asphalte de la ville en grand nombre.

Les gens couraient partout, cherchant désespérément leurs proches ; mais le chaos était si grand qu'un grand nombre des leurs n'étaient plus de ce monde.

Les cris de désespoir résonnaient, mêlés aux pleurs déchirants des survivants cherchant leurs proches parmi les décombres. Le silence pesant était parfois brisé par les hurlements de douleur.

Les bâtiments emblématiques de la ville n'étaient plus que des tas de gravats, des tombeaux de béton où reposaient des vies brisées. Le séisme dévastateur du 12 janvier 2010, d'une magnitude proche de celle d'une bombe nucléaire, avait laissé derrière lui un paysage de destruction et de désolation.

Des bénévoles affluaient de tous les coins du pays et du monde pour apporter leur aide et leur soutien. Chacun offrait ce qu'il pouvait, que ce soit de la nourriture, de l'eau, des vêtements ou simplement une épaule sur laquelle pleurer. Chacun donnait ce qu'il pouvait pour aider à panser les plaies béantes de ce pays meurtri.

C'était il y à 14 ans et les arrière-goûts demeuraient dans les souvenirs de Fléa comme si c'était hier.

— Tu ne m'as raconté que ce que tu avais vu, mademoiselle Sloan, pourquoi ne me parles-tu pas de toi ? Qu'est-ce que tu as vécu durant ce jour terrible ? Questionna la psychologue en enlevant ses lunettes pour laisser paraître ses yeux verts qui semblaient en mesure de scruter l'âme de la jeune fille.

— Cela fait plus de sept ans que nous nous voyons, docteur.

— Effectivement, mais depuis toutes ces années, vous ne m'avez jamais raconté ce jour qui vous a changé à jamais. Vous ne faites que raconter ce que vous avez vu et non votre propre ressenti.

Fléa ferma les yeux, la gorge nouée par l'angoisse qui revenait brutalement à la surface. Les images de ce jour fatidique paraissaient se superposer dans son esprit, comme si le temps s'était arrêté à cet instant précis. Elle revoyait la panique dans les yeux de son amie, le cri déchirant qui s'était échappé de sa bouche lorsque le sol s'était mis à trembler.

Elle se souvint de la peur paralysante qui l'avait saisi au retentissement des bruits assourdissants des bâtiments s'effondrant autour d'elle, la poussière étouffante qui obscurcissait le ciel et l'odeur âcre de la destruction. Et surtout cette amie dont elle n'avait plus de nouvelles. Cette personne qu'elle considérait comme l'unique famille qu'elle avait.

Fléa avait tout donné pour la sauver de cet enfer. Et maintenant, elle se retrouvait seule, loin de tout ce qu'elle avait connu, dans un pays étranger, avec une famille qui ne comprenait pas vraiment son passé tourmenté.

Qu'était-il advenu d'elle ?

— Je comprends que vous devez avoir très mal, mademoiselle Sloan. Mais, ne pensez-vous pas que parler pourrait vous soulager ? 

Fléa se mit à trembler, les souvenirs de ce jour terrible remontant à la surface avec une intensité dévastatrice.

— Est-ce que narrer mes souvenirs me rendra mon amie ? Ces souvenirs douloureux, pourrez-vous les effacer à jamais, si j'ose simplement ouvrir la bouche ? Questionna-t-elle alors que les larmes ruisselaient déjà sur ses joues.

— Regardez mes jambes, reprit-elle en soulevant le pan de sa robe. Ne parlent-ils pas plus que n'importe quel souvenir ? Sa psychologue regarda furtivement les jambes de la jeune fille recouvertes de cicatrices inénarrables.

Elle tendit doucement la main vers Fléa, lui offrant un soutien silencieux.

En sentant la main chaleureuse de sa psychologue se poser sur la sienne, Fléa ressentit un frisson apaisant parcourir son corps meurtri. Elle ferma les yeux un instant, repoussant la vague de souvenirs douloureux qui menaçait de l'emporter. Ses cicatrices parlaient en effet plus fort que n'importe quel mot. Les cicatrices sur ses jambes étaient bien plus que des simples balafres physiques. Elles étaient le reflet de l'horreur qu'elle avait vécue ce jour-là.

— Je dois y aller, annonça-t-elle d'une faible voix. J'ai un entretien à passer dans une heure, je ne veux pas arriver en retard.

— Oh bien sûr, reviens me voir dès que tu sentiras le besoin Fléa.

— Merci, je ferai ça, dit-elle en acquiesçant.

— Puis-je te poser une dernière question avant que tu t'en ailles ? Demanda sa psychologue, l'interrompant ainsi dans son élan. Elle avait déjà saisi son sac pour partir.

— Tu changes de travail très souvent, y a-t-il une raison à cela ?

— Je ne change pas de travail de mon plein gré, mais parce que l'on me licencie, car les gens auraient peur de moi. Mais que voulez-vous, n'est-ce pas ainsi qu'est cette société ? Répliqua la jeune fille en se dirigeant vers la sortie, ne donnant pas plus de détails à sa psychologue.

Fléa quitta la pièce d'une démarche délicate, laissant derrière elle une aura de mystère et de tristesse. Ses longs cheveux blanc encadrant son visage pâle accentuaient son teint laiteux, contrastant avec ses yeux d'un rouge presque rosé emplis de mélancolie.

Elle serra son sac contre sa poitrine, comme pour se protéger du monde extérieur qui la rejetait sans cesse. Les paroles de sa psychologue résonnaient encore dans sa tête, ravivant les blessures de son passé douloureux. Fléa était habituée aux regards fuyants, aux chuchotements malveillants, aux portes qui se fermaient devant elle.

Alors qu'elle traversait le couloir de l'établissement de santé mentale, Fléa sentait le poids de ses expériences passées pesé sur ses épaules fragiles. Les regards fuyants des autres et les commentaires cruels avaient marqué son existence, la poussant à un isolement douloureux.

Tandis qu'elle s'éloignait, elle déploya son parapluie pour se protéger des derniers rayons de soleil de l'après-midi qui se reflétaient dans ses cheveux d'un blanc éclatant, soulignant sa beauté singulière et mystérieuse. Son regard, empreint d'un mélange de détermination et de tristesse, laissait entrevoir une fragilité dissimulée derrière un masque de bravoure.

La psychologue, intriguée par cette jeune femme au destin tourmenté, se leva pour observer sa silhouette élancée s'éloigner lentement dans le couloir.

Fléa, avançait vers son entretien, prête à affronter une nouvelle épreuve, portant en elle la douleur de l'exclusion et l'espoir d'un jour trouver sa place dans un monde qui ne voulait pas d'elle.

Le vent frais du printemps caressa son visage, faisant virevolter quelques mèches blanches, apportant avec lui une promesse de renouveau.

𝗬𝗢𝗨𝗥  𝗕𝗘𝗟𝗢𝗩𝗘𝗗Où les histoires vivent. Découvrez maintenant