Chapitre 20

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Le miroir renvoyait à Magnus un reflet qu'il n'appréciait guère. Son visage, disgracieux d'aucune manière, arborait toutefois un teint légèrement plus pâle qu'à l'accoutumée, des traits quelque peu tirés, des yeux rougis par la fatigue. En-dessous ? Des cernes. Pas des plus épais, mais suffisamment pour que leur présence le dérange.

Car sa courte nuit n'avait pas été des plus plaisantes. De fait, Magnus ne savait même pas s'il avait réellement dormi. Parler de somnolence serait plus juste le concernant. Et c'était une chose qui se voyait. Pour palier à ce genre de soucis, le sorcier n'usait que rarement de sa magie. Pas humain pour un sou, il utilisait pourtant leurs produits. Anticernes et compagnie pouvaient parfois s'avérer être ses meilleurs amis – le rendu lui paraissait plus naturel. Il s'agissait également pour lui d'une manière de ne pas utiliser ses pouvoirs pour rien, de ne pas se fatiguer inutilement.

Magnus avait besoin de se savoir en permanence maître de lui-même, en pleine possession de ses moyens. La fatigue physique, il pouvait la tolérer : côté magie, il ne désirait absolument pas en manquer. Il ne pouvait pas s'imaginer l'idée d'être vulnérable. Pas un seul instant.

Alors même si l'utilisation d'un sort d'illusion purement esthétique ne lui coûterait en réalité pas grand-chose en termes d'énergie ou de magie en elle-même, Magnus refusait de s'y plier – pour lui, c'était prendre un risque. S'il avait conscience de sa paranoïa, il refusait de la faire taire. Plutôt mourir que de ne pas s'accorder ce doute, celui qui l'avait déjà sauvé.

Etalant l'anticernes sur sa peau des plus lisses, Magnus s'égara. Il avait dans les yeux cette ombre commune à Stiles. L'ombre du souvenir perpétuel, celui qui se rejouait sans cesse à chaque clignement de paupières.

Il n'avait jamais disparu, n'avait jamais eu la chance de se volatiliser, n'avait jamais délesté Magnus de son poids des plus élevés. Son seul pouvoir dessus ? L'ignorance. Parfois, il était aisé pour le sorcier d'occuper son esprit à autre chose que la rumination perpétuelle qui l'attendait dans le calme et la solitude de sa chambre. D'autres fois, ce qu'il avait l'habitude de faire se transformait en un effort conséquent. Souvent, la difficulté était liée au rappel direct du souvenir : en cela, la discussion quémandée – ordonnée – par Derek Hale s'était avérée particulièrement efficace. Magnus n'avait cessé de repenser à ce moment interminable durant lequel la souffrance avait été le maître mot de son existence. La torture, profondément inhumaine, l'avait marqué à vie. Tout sorcier surpuissant qu'il fut, Magnus Bane avait peur de cette douleur à l'intensité inégalable. A ses yeux, il n'y avait rien de plus fort, rien de plus malsain, rien de plus destructeur que la rune d'agonie. Si son corps avait tenu le coup, une partie de son esprit avait volé en éclat dès lors que la stèle avait déclenché la rune qu'on lui avait gravée dans la peau. Elle avait eu beau ne pas lui appartenir, l'enveloppe corporelle de Valentin avait été la sienne durant tout le temps qu'avait duré la torture. Si le corps réel de Magnus ne gardait aucune trace de ce souvenir macabre, ce dernier avait marqué sa psyché au fer rouge. Jamais le sorcier n'oublierait la façon dont on l'avait brisé. Aucun pouvoir, aucune forme de puissance ne le protègerait de sa mémoire car qu'importe le sort qu'il pourrait utiliser pour oublier, Magnus savait qu'il s'agirait d'une chose dont il se souviendrait malgré tout. Son propre corps, même s'il n'avait pas subi, en garderait les stigmates psychiques toute sa vie.

Jugeant le résultat de sa manipulation satisfaisante, Magnus s'empara de son père, dans le but de donner un semblant de forme à ses cheveux. Aujourd'hui, il n'avait pas envie de les fixer avec un quelconque gel. Il était dans ce genre de jours où la perfection de son look lui importait peu : s'il tenait à ce que sa préoccupation et sa fatigue soient de l'ordre de l'invisible, il ressentait le besoin de s'armer du plus grand confort possible. Ainsi, sitôt ses cheveux arrangés de façon satisfaisante, Magnus se vêtit tout aussi simplement, sans toutefois se départir de cette extravagance propre à lui. Moins de bijoux, mais une chemise sombre et bariolée, un pantalon cintré, des chaussures noires dont la simplicité n'enlevait rien à leur élégance. Magnus se regarda, satisfait : il ne s'était pas pris la tête mais gardait toujours un certain standing. C'était une exigence qui ne le quittait jamais – il avait besoin d'elle. Il s'agissait pour lui d'un repère, de quelque chose de constant auquel il pouvait se raccrocher. Quelque chose qui, peu importe le tournant que prenait sa vie, restait à la même place. Ainsi, Magnus avait l'impression de ne pas se perdre – pas complètement, en tout cas.

C'est au moment où il refermait le dernier bouton de sa chemise que le sorcier entendit du bruit au niveau de sa grande porte d'entrée. Fronçant les sourcils, il sortit de la salle de bain attenante à sa chambre. Il n'était pas dans ses habitudes d'avoir l'ouïe fine – avant. Disons qu'il tendait un peu plus l'oreille, depuis quelque temps et puisque le silence régnait dans son grand appartement du fait du sommeil de ses deux invités, le moindre bruit lui parvenait. Magnus regarda l'heure sur l'horloge murale dans le couloir. Huit heures du matin. Pas de sonnette, juste un bruit ressemblant à celui d'une clé. Et si ces deux indices lui indiquaient avec clarté l'identité de son visiteur, le sorcier n'y crut pas instantanément. Il était dans ce genre de moments où bien peu de choses lui paraissaient réelles – l'hypothétique venue à l'improviste d'Alec en faisait partie.

Et pourtant, c'était bien son visage qu'il découvrit en arrivant dans l'entrée. Un visage qui ne cherchait à dissimuler sa propre fatigue d'aucune manière, mais sur lequel un sourire vrai avait pris place.

Mais les yeux d'Alec virent. Et sa joie se fana quelque peu. Sans perdre une seconde, il referma la porte derrière lui et s'avança jusqu'à Magnus d'un pas rapide. Ce dernier lui sourit enfin en se glissant dans cette étreinte qui, déjà, se formait autour de lui. Les bras d'Alec, habitués, trouvèrent instantanément leur place et l'enlacèrent avec une force douce. Magnus sentait sa fermeté tout autant que cette façon qu'il avait de faire montre de cette tendresse toute intime qu'il était le seul à connaître vraiment. Gorgé de cet amour qu'il savait impossible à nier, Magnus succomba à la sérénité qu'elle lui procurait et ferma les yeux.

- Magnus ?

Pas de bonjour, pas de surnom un peu niais comme il avait l'habitude d'en user : Alec Lightwood avait vu quelque chose, compris. Il repoussa légèrement son sorcier et celui-ci rouvrit les yeux, légèrement perplexe.

- Magnus, qu'est-ce que tu as ?

Le ton d'Alec, véritablement inquiet, n'atteignit pas Magnus comme il aurait dû le faire. Le sorcier, un peu ailleurs, répondit ceci :

- Rien qui ne vaille l'intérêt d'une conversation.

Il était honnête sans l'être. En outre, il ne mentait pas, mais ne cherchait pas non plus à s'ouvrir. La vérité, c'est qu'il n'avait pas envie de parler, pas envie de lui cacher quoi que ce soit non plus. Magnus, en être particulier, se savait rempli de paradoxes. Une chose était cependant certaine : ces temps-ci, Alec ayant beaucoup de travail, il n'était pas extrêmement disponible, alors... Magnus ne voulait rien de plus que profiter de lui, tirer le meilleur de leurs moments ensemble. En ces temps troubles qui lui rappelaient sans cesse mille et uns souvenirs, c'était tout ce dont il avait besoin.

- Magnus...

- Tu veux vraiment qu'on débatte sur le fait que j'ai passé une mauvaise nuit ? Ce sont des choses qui arrivent, Alexander, des choses qui ne méritent pas que l'on perde du temps à y accorder de l'importance.

Le pire, c'est qu'il ne mentait pas. Pas vraiment, en tout cas. Omettre, était-ce mentir lorsque l'on s'autorisait toutefois à quelque vérité ? Magnus lui parlerait plus tard de ce qu'il ressentait à l'heure actuelle, ce qui avait enlevé à son sommeil son caractère réparateur. Quand ils auraient un certain temps devant eux et que Magnus... Aurait digéré les violentes réminiscences qu'il avait à subir depuis l'entrée de Stiles dans sa vie, et le rappel douloureux que lui avait assené Derek Hale malgré lui. Ce n'était pas une chose qu'il irait lui reprocher : comment le loup-garou aurait-il pu savoir ce qu'il avait vécu ? Comment aurait-il pu imaginer une telle torture ? Comment aurait-il pu se douter de l'impact qu'un tel souvenir pouvait avoir dans une vie ? Celle de Magnus était fort longue et dieu sait à quel point il en avait oublié, des choses – mais pas celle-ci. Celle-ci ne s'en irait jamais.

Alec ne le lâcha pas du regard, excepté le moment où il soupira.

- Je t'accorde un sursis, mais on en reparlera, Magnus.

Le sorcier hocha la tête en souriant, satisfait. Il savait que son homme ne serait pas dupe, mais du temps supplémentaire lui allait parfaitement.

- Puisque nous sommes d'accord... Commença Magnus en lorgnant ses lèvres, une fébrile lueur d'envie dans le regard.

Il était temps pour eux de s'accorder davantage d'amour avant qu'Alec, qui avait passé sa nuit à travailler à l'institut, n'aille se reposer un peu.

C'est d'ailleurs le shadow hunter qui initia le mouvement en l'embrassant, embarquant ainsi son aimé dans une dimension de laquelle il avait chassé toutes les ombres pour mieux faire disparaître celles qu'il voyait dans ses yeux dépourvus d'eyeliner.

Dans le reflet de ton épéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant