Les Sorteliers

Chapitre 5 - Doryl

- Tenez Prince, vos nouveaux jouets sont arrivés.

Je remercie la servante d'un hochement de tête. Elle s'incline et recule tandis que le nouveau “cadeau” de mon père arrive. Pfff. Ça va être comme d'habitude, je suppose, “tiens un cadeau, mais tu me le rends après pour que je le détruise”.

Les deux gardes les placent au milieu de ma chambre puis partent en s'inclinant après m'avoir assuré qu'ils sont sans danger, même s'il faut éviter de les détacher. Quel intérêt alors ?

Je tourne autour de mes deux nouveaux jouets et les analyse de haut en bas. Pas très intéressant aux premiers abords : l'un est cassé et l'autre est répugnant. Super les cadeaux…

Beurk, ils sont bons pour la poubelle. Je m'éloigne pour avertir les gardes que les jouets peuvent retourner d'où ils viennent.

- Hep, petit, peux-tu nous dire ce que tu comptes faire de nous ? me fais celui qui est cassé.

- Ça ne va pas non ? Ne lui parle pas comme ça ! C'est le prince héritier de tout Sortelia ! fais le deuxième. Quand tu t'adresses à lui, tu dois dire "Prince" ou "Majesté". Tout le monde sait ça voyons !

Quels idiots ! Enfin, il y en a un plus intelligent que l'autre, il m'a reconnu et sait quelle est sa place. Je parie qu'ils vont encore se confondre en plates excuses et tout le bla bla. Rien qu'à y penser, j'ai envie de vomir. Je continue donc ma route.

- Excusez-moi, votre mignonne Petite Grandeur, mais pourriez-vous me dire que fais-je ici et ce que vous comptez faire de moi à part me séquestrer pour votre égo dépassant les dimensions ?

Mais !? Il n'a rien compris ce nabot !!?? À qui croît-il parler de la sorte ? Et quel est ce vocabulaire ?! Je me retourne d'un coup et le fusille du regard, prêt à appeler des gardes pour le faire regretter cet affront. 

À voir son visage narquois, je devine qu'il l'a fait exprès. Comment ose-t-il se moquer de moi, Doryl Henflom, l'Elfe héritier de la couronne, impunément ?

- Alors ? Vous êtes muet, votre Sainteté ? Vous avez perdu votre petite langue fourchue ? Vous ne voulez daigner nous répondre ? Oooooh ! J'ai compriiiis ! On joue au jeu des devinettes, c'est ça ? Attendez, attendez. Ne me dites rien, je vais deviner ce que vous allez nous faire.

Il fait mine de réfléchir en fermant les yeux. Comme s'il allait devenir plus intelligent… 

- Huuum... Vous allez nous manger !

Oh beurk, c'est dégueulasse ! Comment une telle idée peut-elle lui venir en tête ?! Peut-être est-ce parce qu'il fait partie de la race des Survivants, ces êtres barbares avides de sang et de violence.

- Quoi !? s'exclame l'autre.

Au moins je ne suis pas le seul à trouver cette idée absurde.

- Ou alors nous disséquer...

Mais où ce garçon va-t-il chercher toutes ces idées saugrenues ?

- En même temps, je peux comprendre, continue-t-il, j'étais comme vous, il y a quelques années. J'avais soif de connaissances ! Et pour cela, quoi de mieux que la dissection d'êtres vivants ? Voir ce qui se cache à l'intérieur de ses propres yeux, c'est toujours plus intuitif, non ?

Une lueur sauvage s'est allumée dans son regard et son sourire s'élargit. Je recule. Il commence à me faire peur... Il faut que j'appelle les gardes, mais aucun son ne sort de ma bouche. Allez, ce serait le moment de crier !

Les larmes me montent aux yeux. Les menottes qui étaient censées l'attacher tombent. Il se lève et s'approche en marchant lentement, tel un prédateur jouant avec sa proie.

- On m'a peut-être retiré mes pouvoirs pour le moment mais contrairement à la plupart des autres Survivants, je suis capable de me débrouiller sans. Par exemple, je peux casser le cou de mes victimes d'une seule main. 

Il continue d'avancer pendant que je recule encore plus, je ne vais pas pouvoir retenir mes larmes très longtemps. Je sens que je vais être dos au mur. Ce garçon me fait vraiment trop peur.

- Mais je vais essayer de contrôler ma force pour éviter de te casser... Je me demande à quoi peut bien ressembler l'intérieur d'un membre de la famille royale, un Elfe en plus, quelle chance pour moi. Je pourrais ensuite vivre tranquille jusqu'à la fin de mes jours en vendant ton âme et les restes de ton corps sur le marché noir.

Je crie lorsqu'il éclate de rire. Je fonds en larmes et crie à l'aide maintenant que ma voix s'est décidée à revenir. Ce cinglé continue d'avancer tout doucement tout en me regardant de ses yeux qui ne reflètent désormais plus autre chose qu'une folie meurtrière. 

Je suis dos au mur et lorsqu'il me prend le cou, je suis tétanisé. Il est tellement proche que je peux sentir son haleine à l'odeur de sang et voir ses yeux rouge vif reflétant son envie de me dévorer comme si je n'étais rien d'autre qu'un agneau. 

La porte s'ouvre enfin et le capitaine de la garde entre paniqué. Il tourne la tête vers moi et voit le spectacle qui s'offre à lui. 

Il n'attend pas une seconde de plus et se précipite sur le monstre qui me fait face pour le pourfendre de son épée. La créature me lâche et recule de quelques pas pour éviter de se faire trancher. Je cours me réfugier dans les bras du capitaine, la seule personne qui me procure un sentiment de sécurité dans tout le palais. 

Celui-ci me serre contre lui et pointe son épée sur le monstre qui nous fait face. Ce dernier penche la tête sur le côté avec un sourire narquois et des yeux toujours aussi rouges que dépossédés de raison d'être.

- Vous pensiez qu'il suffisait de retirer mes pouvoirs, Capitaine ? Je ne suis pas assez fou pour en être dépendant. Dois-je vous rappeler que je suis un Survivant, toujours prêt à tuer pour se divertir ?

Il éclate d'un rire que je qualifierai de satanique. Si l'enfer existe, il en est sans aucun doute le maître. Il me fait tellement peur que je ne peux plus retenir mes larmes qui s'étaient taries à l'arrivée du capitaine dans la pièce. 

- Vous n'êtes rien d'autre qu'un psychopathe assoiffé de sang ! lui répond mon protecteur.

J'entrevois les gardes qui arrivent. Il y en a un qui me prend et qui tente de me sortir de la pièce pendant que le capitaine donne des ordres, mais je me débats et retourne auprès de ce dernier. Je ne me sens en sécurité qu'auprès de lui.

- Qu'allez-vous faire hein ? M'emprisonner ? M'exiler comme vous aviez l'intention de le faire ? Eh bien, allez-y ! Essayez donc de m'approcher pour voir.

Pour toute réponse, le Capitaine ordonne à ses subordonnés de l'attaquer pour me défendre à tout prix. Il s'éloigne de moi et demande à un garde de me protéger coûte que coûte. Je n'en vois pas plus étant donné que le garde en question me barre la vue, mais je n'en devine pas moins. 

Pendant plusieurs minutes, j'entends des bruits de combats. Pourquoi diables n'arrivent-ils pas à le battre ? Ce n'est pourtant qu'un Survivant et il se bat contre les meilleurs gardes du Château, qui utilisent leurs pouvoirs ! Le bruit des combats s'arrête en même temps qu'un liquide chaud et rouge m'éclabousse.

La personne censée me protéger s'effondre. Une vision d'horreur s'ouvre alors à moi : tout le monde est mort. Même le Capitaine, le soldat le plus puissant de Sortelia, gît dans un coin de ma chambre, seulement inconscient, je l'espère. 

Je suis donc face à face avec le monstre dont le corps est entièrement recouvert du sang des soldats. S'il a réussi à battre des Elfes surentraînés armés d'épées et avec leur magie uniquement à mains nues, alors il ne fera qu'une bouchée du petit prince que je suis.

- Je sens que je vais me régaler, dit-il en sautant vers moi, la main couverte de sang en avant.