1. De glace

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1er novembre, 14h00, Strasbourg.

Je lève les yeux au ciel tandis que Sarah, ma meilleure amie depuis la primaire, larmoie au plot twist de notre premier film à l'eau de rose de l'hiver. Cette grande gueule indépendante est devenue bien sentimentale pour pleurer devant un navet de Noël.

Ah, l'amour...

J'avale une gorgée de mon chocolat chaud sans que le sucre ne suffise à adoucir mon aigreur. Les bredeles à ma droite quant à eux me donnent encore envie de vomir, signe qu'il est trop tôt pour manger, ; j'ai encore l'estomac fragile à cause du rhum et je commence à regretter de boire du lait.

Sarah, aux intestins bien accrochés, endurcis par ses années de beuverie pendant lesquelles moi j'endossais le rôle d'une sage et dévouée femme au foyer, grignote sans paraître dérangée. Régulièrement, elle quitte l'écran des yeux pour répondre à l'homme qui occupe son temps autant que ses pensées.

Évidemment, je suis ravie pour elle. Mais j'admets que c'est très perturbant de la voir en couple. Je découvre des facettes d'elle jusqu'alors inexistantes, et pour cause : en plus de dix ans d'amitié, elle n'a eu que des flirts.

Désormais, c'est moi la célibataire invétérée. Depuis mon abominable rupture avec Maxime, mon premier (et unique, en fait...) petit-ami, et l'échec cuisant de mes dernières fréquentations, j'ai un cœur de glace. Impassible à l'amour, voire dégoûtée par ses démonstrations.

Démonstrations que je vois à foison en 3D devant moi. Ou en 4D si on prend en compte les commentaires incessants de Sarah et ses sifflements lorsqu'une musique culte passe dans la bande son...

Quand j'avais quinze ans, j'appréciais ces téléfilms, saucissonnée dans des plaids avec un pull ou des chaussettes moches dans le thème. Maintenant... J'ai grandi. L'âge adulte et mes nombreux déboires sentimentaux ont gommé toute magie et innocence qui me permettaient d'apprécier ces scénarios simplets.

La même recette. Un conflit familial à résoudre, un inconnu peu agréable, qui au fond a juste peur d'aimer, et un chien.

Je grommelle lorsque l'héroïne dit « Il est l'homme idéal, je l'aime » avec des flashbacks des moments passés, censés illustrer à quel point leur relation est belle et fusionnelle :

— C'est ridicule. Ils se connaissent depuis quinze jours, ce mec s'est comporté comme un con égocentrique et il obtient l'appellatif de l'homme idéal ? Wow, il lui a remis sa veste sur les épaules ! Wow, il l'a embrassée ! Wow, il lui a ouvert la portière ! Sérieux, après on s'étonne de pas avoir des standards hauts, c'est rien ça !

— C'est un film, Cléo !

Outrée, je regarde à l'écran le strict minimum, faisant tomber amoureuse la protagoniste, naïve au possible. Sarah pouffe et finit par me pousser à l'épaule.

— L'hôpital qui se fout de la carte vitale ici ! Je te rappelle qu'il y a quelques mois, un mec qui t'accueillait en claquettes-chaussettes et jogging, tu lui laissais quand même sa chance ?

Je cille puis soupire à la mention de Speedy Gonzales, l'un de mes nombreux rencards de l'année précédente.

— Ce n'est pas comparable, réfuté-je.

— Tu préfères reparler du démon, qui t'avait recontactée en te disant « j'ai besoin d'un vide couilles, tu te portes volontaire ? ». À qui tu as répondu !

— J'ai répondu pour lui dire ciao.

— Tu lui as répondu. Gentiment en plus.

— Parce que je suis gentille, articulé-je, agacée.

À mes ToujoursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant