9. Apéro explosif

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24 décembre, 20h - Cléo

Retourner au salon est une angoisse viscérale mais également un passage inévitable. Lorsque nous y arrivons, main dans la main, faisant front commun contre l'ennemi, avec mon petit molosse dans notre ombre, une conversation téléphonique se termine.

— J'ai eu ton père, Johan, ils se sont arrêtés à une auberge parce que l'ONF a bloqué la route, annonce la maîtresse de maison.

— Ils vont bien ? s'enquiert mon copain.

— Oui, mais je doute qu'ils puissent nous rejoindre...

— Tant qu'ils sont en sécurité, c'est le plus important. Ils pourront venir demain, pour le midi.

Ce disant, il cherche la validation dans mon regard, que je lui donne paisiblement. Dans un premier temps, je refuse de gâcher Noël à cause d'une histoire terminée.

— Si vous voulez bien, nous allons commencer l'apéro. Au fait, je m'appelle Cynthia.

Je livre un maigre sourire à l'organisatrice.

Je n'ai que ça en stock, bien trop vidée par la présence de celui qui m'a tout pris et laissée en pièces au pied du nouveau bonheur dont il se targuait.

— Tu peux m'appeler Phil, ajoute son époux.

— Pour Philippe ? supputé-je.

— Pour Philémon, rectifie-t-il.

— Oh, très original ! Vous êtes le premier que je rencontre.

— « Cléo » n'est pas très fréquent non plus. Ton prénom a une signification spécifique ?

Mes poils s'hérissent ; un horrible goût de déjà vu s'enroule autour de ma langue alors que je me remémore les nombreux rendez-vous où on me posait cette question. Phil va-t-il lui aussi supposer que j'ai des origines irlandaises ou écossaises ?

S'il me demande ma couleur préférée, je me tire une balle.

J'imite Johan et m'assois. Wave, irréprochable, se pose sur le tapis.

— C'est d'origine grecque, réponds-je avec une légèreté feinte. Ça signifie « gloire, célébrité ».

— Ce qui devrait te destiner à une carrière dans le cinéma !

Toujours plus « glorieux » que les films X que les gars me proposent de tourner en trouvant mon profil... La joie d'être rousse aux yeux verts et d'incarner bien des fantasmes.

— Elle pourrait, commente Maxime. Elle a l'art de dramatiser. Et une imagination débordante.

J'ignore et m'adresse à Philémon :

— Très peu pour moi, je n'ai jamais été trop à l'aise devant les caméras. En revanche, j'ai lancé un podcast il y a quelques mois, et ça marche plutôt bien.

— De quoi est-ce que ça parle ? s'intéresse Cynthia.

Je réprime mal mon rictus amusé.

De votre nouveau beau-fils, ce poison.

— De rencontres amoureuses, des relations de notre siècle et leurs difficultés.

— Les histoires de coucheries d'une parfaite inconnue ça branche vraiment des gens ? persiffle Julie.

Johan me masse affectueusement l'épaule de sa paume en intervenant :

— C'est bien plus complexe que des potins ou des anecdotes, c'est l'explication de processus mentaux impactés par les réseaux sociaux, c'est l'analyse des blessures personnelles et leur expression consciente ou non dans le quotidien de l'individu touché... c'est un message de bienveillance, de tolérance et de libération de la parole.

À mes ToujoursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant