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Lorsque la calèche s'est arrêtée dans la cour du palais, Azref et moi sommes descendus. Nous marchions côte à côte, avec toujours cette atmosphère de provocation qui flottait dans l'air.

- D'ailleurs, quel âge as-tu ? Lui demandé-je.

- Ne connais-tu pas mon âge ? Me demande-t-il, surpris.

- Eh bien, je n'ai jamais cherché à le savoir et tu ne me l'as jamais dit... donc je ne le sais pas.

Il rit légèrement, secouant la tête de droite à gauche en la levant.

- Honte à nous, comment nous sommes-nous mariés sans avoir les connaissances de base, lance-t-il d'un ton moqueur. Et moi qui me demandait comment n'avais-tu pas succombé pour moi...

Je roule des yeux. Je n'aurais pas du poser la question, finalement. Il est incroyablement agaçant.

- Pour répondre à ta question si curieuse, j'ai vingt-six ans.

- ... Vieil homme. Lancé-je, pour le contrarier. Et je me demandais bien pourquoi tu étais si laid.

- Laid ? Vieil homme ? Répète-t-il, vexé. Je devrais faire corriger ta vue, tu ne trouveras pas plus bel homme que moi dans le monde entier.

- Que Dieu aide toutes les femmes à se trouver un bel homme, dans ce cas. Ce sera terriblement difficile.

Il me regarde d'un air toujours aussi amusé, d'un air qui semble avoir découvert un nouveau moyen de se divertir, à savoir en se servant de moi. Je suis sa nouvelle distraction. Cependant, son œil sans vie est un rappel constant de la nécessité de rester sur mes gardes, cet homme ne manigance rien de bon.

- C'est bien malheureux, princesse. Laid, ou vieux, tu ne pourras pas m'échapper... Tu resteras toujours coincée à mes côtés. Tu ferais mieux de t'y habituer.

Je marche devant lui alors que nous nous rapprochons de l'entrée du palais.

- C'est ce que nous allons voir, murmuré-je.

Je pénètre à l'intérieur du palais, et il me suit. Impossible de se débarrasser de lui. Au moins, il m'a permis de ne pas penser à l'incident survenu tout à l'heure. La seule bonne chose qu'il ait faite jusqu'à présent.

- Pourquoi me fuis-tu ?

Je ne réponds pas et continue de marcher. Il s'avance légèrement pour être à côté de moi et il ne me quitte pas des yeux. Nous passons devant le même tableau que j'avais vu à mon arrivée, leur "guerre d'indépendance". Comme à chaque fois, mon sang bouillonne. J'accrocherais bien sa tête à mon mur comme un trophée de notre liberté. Ce serait tellement satisfaisant.

Comme toujours, je suis confrontée à des regards peu accueillants lorsque je marche dans le couloir, ce qui me rappelle que je ne suis pas la bienvenue ici, que ce n'est pas ma maison. Ils sont loin de se douter que c'est ma maison. Ce sont eux les intrus.

Ma soeur pleine de bonne volonté, elle a toujours espéré la paix avec ces personnes. J'aimerais tant pouvoir préserver son innocente naïveté, j'aimerais tant pouvoir la protéger du mal de ce monde. C'est probablement la première raison qui m'a poussé à me salir les mains.

Je suis arrivée à notre appartement, et Azref était toujours derrière moi. Il entre avec moi, ce qui me fait pousser un long soupir avant de m'asseoir sur le sofa du salon.

- N'as-tu pas du travail à faire ? Lui demandé-je. Une affaire importante ?

- J'en ai, me dit-il. Toutefois, je travaille quand je le veux, et non quand je le dois.

- Vieux, laid et paresseux... dis-je. La liste s'allonge.

Il secoue la tête et s'assoit près de moi. Je veux qu'il me laisse tranquille, je veux penser seule. Cet enterrement a réveillé quelques souvenirs. Je pense à ma mère après si longtemps, je veux avoir ce temps pour moi pour garder précieusement ces souvenirs d'elle. Je ne peux pas lui dire cela. S'il ne part pas de lui-même, je ne peux pas lui dire.

- Ne vois-tu pas un peu trop la vie en noir ? Me demande-t-il. Il me paraît que c'est le cas. Tu n'arrives pas à apprécier une seule chose me concernant... ou concernant quoi que ce soit d'autre.

Je n'arrête pas de me souvenir de ce jour où papa a trouvé son corps sans vie devant moi. Je ne sais pas grand-chose sur sa mort, ce qui est assez ironique puisqu'elle est décédée sous mes yeux. Je pense que quelqu'un l'a trahie et qu'elle a été tuée. Pour le reste, je n'en sais rien. Personne ne le sait. Il y avait deux possibilités, une infiltration d'Althea ou... une milice abolitionniste.

- En effet, je vois la vie en noir, dis-je, sans émotion. Cela ne devrait pas te surprendre, à présent.

- Ce qui me surprend, c'est que tu l'admettes avec une telle nonchalance, dit-il en gardant les yeux sur moi. Est-ce que, par hasard, tu retrouverais des souvenirs ?

- Non, répondis-je. C'est ce qui me frustre. Peu importe les efforts que je fais, mon esprit reste vide.

Je souhaitais que toutes ces paroles négatives le fassent partir. Je veux vraiment rester seule, et me souvenir de ma mère seule. J'ai bien tenté de ne pas y penser, tandis que le garde pleurait pour elle... Lorsque son cercueil a été amené au sol. Mais à présent... Je voulais m'offrir le luxe de revivre mon chagrin.

- Je vais dans la chambre, lui dis-je.

- Pourquoi ? Vas-tu dormir maintenant ? Demande-t-il, curieux.

- Non. Je veux juste rester seule. Lui dis-je. Tu peux rester ici si tu veux.

Mais il se lève. Je priais pour qu'il ne me suive pas à nouveau.

- Alors, il n'y a aucun intérêt à rester seul ici, dit-il. Je vais retourner dans mon bureau.

J'acquiesce, puis tourne les talons et me dirige vers notre chambre. Je ferme la porte et, pour être sûre, je la verrouille. Je m'assois rapidement sur le lit, les jambes repliées sur moi-même, avec mes vêtements de deuil. Il avait raison... à quand remonte la dernière fois où j'ai vu la vie en couleurs ? Pas seulement triste et noire ?

Je prends mon oreiller et le tiens entre mes mains.

Je me souviens de ce jour, encore et encore. Et c'est là que cela me frappe... Je n'ai pas eu pitié de la servante, j'ai eu pitié de moi-même. Ce sentiment de lourdeur était une résurgence de ce même jour.

Devant le cercueil de ma mère, tout le monde s'attendait à ce que je prie. J'ai refusé. Tous m'ont traitée de mauvaise enfant, d'enfant rebelle. Comment ai-je osé ne pas prier pour ma défunte mère ? Ils disaient tous que Dieu n'aurait jamais pitié d'une âme aussi mauvaise que la mienne, comme s'ils étaient Dieu et qu'ils pouvaient savoir ce que Lui pensait de moi.

Personne ne m'a demandé pourquoi je ne voulais pas prier.

Ce n'est pas que je ne croyais pas en Dieu ou que je n'aimais pas prier. Au contraire. J'avais une prière, une seule, et je savais que Dieu ne la réaliserait pas. Je ne voulais pas prier pour que maman repose en paix, pour qu'elle soit heureuse dans l'au-delà... Je voulais prier pour qu'elle revienne. Pour que Dieu me la ramène. Et je savais que c'était impossible.

Une fois partie, jamais de retour.

- Cette fois-ci, je prierai, me murmuré-je. Ramène-la moi, je t'en prie. Mon Dieu.

Et je serre l'oreiller encore plus fort. Son visage est flou, sa voix... Je sais qu'elle était belle, elle semblait presque angélique... mais je ne m'en souviens pas. Et son sourire ?

Je ne peux me souvenir d'elle. J'étais si petite. Tellement petite. J'avais encore besoin d'elle, et elle m'a été enlevée. Après ma victoire sur Inimia, ma prochaine mission sera de découvrir qui me l'a arrachée... Si c'est quelqu'un d'Althea, vengeance aura été faite.

Pour l'instant, je me laisse pleurer en l'imaginant me réconforter. Elle me manque. Elle me manque tellement, ma tendre maman.

L'ombre écarlateOù les histoires vivent. Découvrez maintenant