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D'après le prince, je ne m'entendais pas avec ma famille. Je refusais de parler à mon père, jusqu'à ce qu'un jour, il périsse lors de la guerre. Il a été assassiné par des soldats d'Inimia après avoir été capturé, après s'être rendu et les avoir supplié de le laisser en vie car il avait une femme, et des enfants... je m'en serai voulu, et ait décidé de le venger.

C'est ainsi que j'ai été attaquée, et que le prince est venu à ma rescousse.

Mes yeux se sont remplis de larmes, lui faisant ainsi croire que cette histoire me semblait familière ; bien que je ne m'en rappelais pas. Pleurer sur commande était un de mes pauvres talents. Lorsque Madame me battait, parfois je ne ressentais plus la douleur tant j'en étais habituée, alors je feignais mes larmes pour qu'elle me laisse tranquille.

Je n'aurais jamais cru que Madame m'aurait permis de m'en sortir de cette situation, qu'elle m'aurait aidée dans cette mission.

- Donc je suis bien née dans ce royaume, lui dis-je doucement.

- Exactement. Cependant, tu n'étais pas la plus grande des patriotes, dit-il en riant légèrement. 

Je hoche la tête. Il est tant confiant dans ses paroles que je suis presque tentée de le croire, alors que j'ai toute ma tête, toute ma mémoire.

- Et, ai-je déjà... tuée ? Demandé-je prudemment.

- ... Oui.

Je reste silence un moment, comme si je tentais de digérer toutes ces informations. Voilà une vérité, au moins. J'ai tant tuée... lui et son père étaient censés être les derniers sur ma longue liste.

Il se lève ensuite.

- J'ai du travail, me prévient-il. Je vais t'envoyer des servantes et une femme de chambre pour te préparer, sa Majesté t'attend pour le dîner.

Il ne dit rien de plus, tourne les talons et s'en va aussi rapidement et discrètement qu'il est venu. Une fois la porte fermée, je jette d'un revers de la main les drapeaux sur le siège sur lequel il était assis.

Je bouge frénétiquement la jambe, mes mains formant un poing. La haine se propage à grande vitesse dans mes veines, et mon cœur se serre, non pas par douleur mais par la rage qui consume tout mon être.

Et cette rage ne me quitte pas, même lorsque des femmes, des servantes entrent dans "ma" chambre, avec plusieurs types de robes, plusieurs types de soins. Elles me guident à la douche, où elles prennent soin de moi non sans délicatesse. Même avec la mémoire effacée (il a sûrement dû les prévenir), je reste la princesse d'Inimia.

Une étrangère, une "traître", une meurtrière, le mal incarné... et je leur donne raison.

- Faites attention ! M'exprimé-je, après qu'elles m'aient tiré les cheveux.

- Toutes mes excuses. Me dit l'une d'elles froidement.

Je lui lance un regard noir, alors qu'elles continuent à me laver. Si elles continuent ainsi, je n'aurais aucun mal à les attraper par la nuque et les noyer sous mes pieds.

Après un moment qui me semblait interminable, je me relève et m'entoure le corps avec une robe de bain. Les servantes se précipitent de choisir ma robe, et leur choix est évidemment les couleurs de leur Royaume. Dorée, bleu. Je m'habille sans pouvoir protester.

Avant qu'elles ne viennent dans ma chambre, j'espérais que l'une d'entre elles soit pour Inimia. Qu'elle me reconnaîtrait grâce à la couleur de mes cheveux. Mais voyant leur regard malveillants, méprisant, je doute fortement que cela soit le cas.

- Lorsque vous verrez le roi, inclinez vous le plus bas possible. Me dit la plus âgée d'entre elles. Ne levez les yeux sous aucune condition.

Je hoche la tête. Bien. Elles terminent de m'habiller et me coiffer, puis elles se retirent. Une fois seule, je m'affale sur le sofa après avoir pris un livre. Celui que le prince m'a amené. Je suis curieuse de savoir leur interprétation de notre histoire.

La première page est une carte, où l'ancien Grand Royaume est représenté. Le nom est effacé. Ils l'ont remplacés par "Althea". Bien qu'Althea n'existait pas à ce moment.

Je passe les images, et lis le texte.

"Althea : notre terre historique."

Je lis. Et plus je lis, plus l'envie de déchirer les pages me prend. L'histoire commence avec la vie du chevalier de l'ancien royaume. Le plus fort chevalier, devenu l'époux de la Grande Reine. Ils ne racontent pas son meurtre de sa propre femme comme une trahison, mais une nécessité.

Il a conquis des terres, il a gagné les guerres, et pour cette raison, l'honneur de régner sur le royaume lui revenait. Cela était son droit. Sa femme planifiait son assassinat après que le peuple commençait à lui reconnaître un statut plus haut que chevalier.

L'assassinat de la Grande Reine n'était que de la défense.

Puis lorsqu'il a pris le pouvoir, le Grand Roi, notre fondateur, l'a attaqué sans relâche alors qu'il espérait signer un traité de paix.

Est-ce réellement ce qu'ils croient ? Comment peuvent-ils autant déformer la vérité ?

Je ferme le livre, ne pouvant lire plus. Le chevalier traître est devenu un emblème, un héros pour eux, et cela m'irrite. N'ont-ils pas entendus parler de ces gens de notre peuple, vivant près des frontières, se faisant attaquer sans cesse ?

N'ont-ils pas entendus parler des massacres, de ce que nous appelons à Inimia "le Grand Désastre" ? Des milliers de personnes de notre peuple se sont fait déplacer, torturer chez eux... Lorsqu'une guerre éclatait, les soldats d'Althea, au lieu de se battre contre les soldats d'Inimia, se battaient contre notre peuple.

Désarmé, innocent. Âgés comme enfants. Ils ne faisaient pas de distinction. Tout cela, sous les ordres de leur Roi. Aujourd'hui... rien n'a véritablement changé si ce n'est notre puissance. Nous sommes devenus plus puissant.

Et à leur différence, la famille royale d'Inimia sortira dans la rue pour défendre son peuple. Et son peuple la défendra en retour.

La famille royale d'Inimia risquera sa vie, pour la liberté de son peuple.

- Madame, entendis-je après que quelqu'un ait toqué la porte, le dîner est prêt.

Je me lève, le visage impassible. C'est donc l'heure de rencontrer le Roi... je dois faire de mon mieux. Je dois me dépasser. Inimia ne tombera jamais tant que je serais en vie. J'honorerais ma promesse, envers mon peuple, envers mon Grand Roi.

Je leur montrerais, qui est réellement Della Avalorn.

L'ombre écarlateOù les histoires vivent. Découvrez maintenant