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Avant qu'Azref ne se réveille, je me suis levée et je me suis enfermée dans la salle de bain. J'ai laissé l'eau froide se déverser sur moi, ce qui m'a permise de reprendre mes esprits. Pourquoi ai-je l'impression d'être une traître ? D'avoir trahi Inimia le temps d'une nuit ? Je sais que ce n'est pas le cas, mais je n'arrive pas à m'en défaire.

Je suis tellement stupide. J'ai pris d'énormes risques, et j'ai même pris le risque qu'Azref découvre mon dos. S'il voit les cicatrices, comment vais-je pouvoir les lui expliquer ? Je ne peux pas dire que ce sont des cicatrices que j'ai eues au fil des années, au fil des abus de Madame. Même mon père et ma sœur ne les ont pas vues. Et je suis censée avoir perdu la mémoire.

J'ai agi avec insouciance.

Je mets une serviette autour de mon corps et je me regarde dans le miroir. Je n'ai jamais pensé que je me laisserais toucher par un homme de cette manière, même si j'ai toujours été à la limite avec d'autres hommes, je n'ai jamais franchi la ligne. Je n'ai jamais pensé que je me servirais de mon corps pour me venger.

Mais je l'ai fait. Je l'ai fait parce que je suis Della Avalorn. Rien ne peut m'empêcher d'atteindre mes objectifs. Dois-je coucher avec mon ennemi ? Certainement. Et je l'ai fait. Dois-je faire semblant d'être faible avec lui ? Bien. Je le ferai. Dois-je faire semblant d'être sans défense, pour qu'il me sous-estime ? Je le ferai en un clin d'œil. 

Nombreux sont ceux qui ont perdu leur vie pour notre terre. Si je ne peux leur rendre la pareille en faisant à mon tour des sacrifices, comment pourrais-je être digne de me battre à leurs côtés ?

Je m'habille en vitesse dans la salle de bain, je dois réfléchir à ce que je dois faire par la suite. Il n'était pas prévu que cela se fasse maintenant, il faut donc que je réfléchisse attentivement, je n'ai pas le droit à l'erreur. Ce que j'ai fait hier soir a peut-être fait perdre à Azref son intérêt pour moi, ou au contraire, l'a fait augmenter... Tout dépend de la façon dont je vais agir.

- Della...

Je tourne rapidement la tête en entendant cette voix. Cela fait si longtemps, le Grand Roi... je le fixe attentivement, tentant de lire un quelconque sentiment sur son visage.

- Ce garçon est entre tes mains, me dit-il en souriant. Je suis fier de toi.

Mes yeux s'écarquillent. Je m'attendais à tout, sauf à cela. La personne que je pensais décevoir le plus est fière... Son regard sage et bienveillant me rassurait, je savais que j'avais toujours quelqu'un derrière moi.

- Ne doute pas de toi, Della, dit-il avec bienveillance, tu agis comme il faut. Tu connais tes priorités et je sais que je peux te faire confiance... Je t'ai choisie pour cela, n'est-ce pas ? Tu es capable de te battre contre toi-même, contre ton cœur et ton esprit pour notre cause. Fais-toi confiance, ma petite-fille.

J'acquiesce, sans pouvoir parler au cas où Azref nous entendrait. Le Grand Roi me passe la main sur l'épaule d'un air encourageant, puis il s'en va après ses paroles de réconfort. Il a raison. Je fais ce qu'il faut. Je dois garder à l'esprit que mes terres doivent être sauvées de ces envahisseurs, que mon peuple prie pour le retour de notre ancien royaume et que ma famille sera la première à payer pour mes erreurs.

Je sors donc de la salle de bain, et je vois immédiatement Azref réveillé, sur le lit. Il semble perdu dans ses pensées, son regard était lointain mais dès qu'il m'entend entrer dans la pièce, il lève la tête vers moi et il s'anime aussitôt. Ses yeux restent rivés sur moi, à tel point que j'ai cru qu'il ne pouvait plus bouger. 

 - Pourquoi me fixes-tu ainsi ? Lui demandé-je.

Il se redresse, un léger sourire en coin. 

- Tu deviens plus belle jour après jour.

- Tu dois être encore sous l'effet de la nuit dernière, rétorqué-je. Lève-toi et va prendre une douche pour reprendre tes esprits.

Il secoue la tête en riant. Je recommence à avoir chaud en me rappelant l'intensité de la nuit dernière. Le bien qu'il m'a fait ressentir.

- Je pense que je serai toujours sous l'effet de la nuit dernière, dit-il, de sa voix rauque, en se levant, recouvert uniquement de la couverture. Je ne l'oublierai jamais, et je ne me lasserai jamais de toi...

Je souris en m'éloignant de lui, sentant le jeu se dérouler exactement comme je l'avais prévu. Le Grand Roi a raison, je le tiens probablement entre mes mains. Il faut simplement que je le pousse un peu plus loin, à tel point que chaque respiration me soit dédiée, à moi, et à moi seule. Je veux qu'il tue, non pas mon peuple, mais ceux qu'il a juré de protéger au péril de sa vie. Je veux qu'il soit prêt à mettre fin à Sardor, si je le lui demande. Et même à éliminer son propre père, si je le souhaite.

Il est déjà sur le chemin.

Que le temps que j'ai passé loin de mes proches ne soit pas perdu.

- Les servantes ont apporté le petit déjeuner. Va donc manger jusqu'à ce que je me prépare, nous allons sortir du palais pour aujourd'hui, dit-il.

Alors je souris en hochant la tête. Avant qu'il n'entre dans la salle de bain, je me penche vers lui et dépose un léger baiser sur sa joue, le déstabilisant. Et avant qu'il ne puisse réagir, je quitte la chambre.

La culpabilité que je ressentais il y a quelques minutes s'est envolée, laissant place à un sentiment de satisfaction. Il a beau cibler mon corps, l'avoir possédé hier soir, c'est son cœur que je vise, et je commence à le posséder également. Même si je reste avec lui pendant dix ans, mon corps perdra de sa beauté avec le temps, mais son cœur restera le même. L'offrir à son némésis est un pari dangereux.

Que l'histoire se répète, cette fois-ci à notre avantage.

L'ombre écarlateOù les histoires vivent. Découvrez maintenant