Chapitre 14

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Ma valise faisait un boucan d'enfer en trainant dans les graviers de la cour devant le manoir de mes parents.

J'avais quitté la Californie en fin de matinée, j'arrivais donc en fin d'après-midi dans le Wisconsin. Encore une fois le pilote m'avait dénoncée et une voiture m'avait attendue à l'aéroport. Cette fois c'était Jonathan qui s'y était trouvé. Il ne m'avait pas plus adressé la parole que l'agent de sécurité envoyé par ma grand-mère.

S'il avait décidé de faire la gueule, c'était son problème, pas le mien. Ce qui m'ennuyait un peu plus, c'était qu'il ne prenne pas la peine de se charger de mes bagages. Au moins il se fendit d'un effort pour ouvrir la porte.

– Où étais-tu passée jeune fille ? tonna ma mère qui m'attendait de pied ferme dans le grand hall.

Mon père aussi était là, évidemment, ainsi que Nicholas Palmer, le chef de la sécurité et père d'Asher. Je fronçai légèrement les sourcils en le découvrant, légèrement en retrait derrière mes parents.

Nicholas était un homme profondément bon et juste. Son seul véritable défaut était sa loyauté envers mon père. A ce niveau c'était presque de la dévotion et je n'avais jamais compris d'où lui venait cet attachement. Le chef de la sécurité m'adressa un léger signe de tête, la lumière émise par le lustre du hall se reflétant sur son crâne rasé.

– Réponds à ta mère Vicky ! répliqua mon père, attirant de nouveau mon attention sur mes parents.

Je larguai ma valise en soupirant, me débarrassant également du foulard de soie bordeaux qui couvrait ma gorge.

– Vous savez l'un comme l'autre où j'étais alors à quoi bon poser des questions inutiles ?

Le visage de ma mère se crispa un peu plus tandis que Jonathan faisait de son mieux pour retenir son sourire. Quel enfoiré celui-ci.

– Ne le prends pas sur ce ton, jeune fille ! Tu n'es pas en position de jouer les effrontées !

Je levai les yeux au ciel en soupirant à nouveau.

– Cesse de m'appeler « jeune fille », ça devient franchement ridicule. Mais puisque je ne vais pas y couper : comme vous le savez très bien, j'étais en Californie. J'ai passé un week-end très agréable avec ma meilleure amie et je vous serais particulièrement reconnaissante de ne pas gâcher ça avec vos reproches infondés, sifflai-je entre mes dents.

Ma mère croisa les bras, le sourire de Jonathan s'élargissant légèrement. Quant à Nick, il semblait de plus en plus nerveux, toujours posté derrière mon père.

– Il ne t'est pas venu à l'idée de nous avertir de tes projets ? demanda calmement mon père.

Je haussai les épaules, passant mes doigts dans mes cheveux d'un air désinvolte.

– Je me passe de vos permissions en général.

– C'est précisément ce que nous te reprochons ! vociféra ma mère. Tu files en Californie sans prévenir personne, tu ne passes même pas saluer ta grand-mère qui a eu la gentillesse d'envoyer une voiture pour toi à l'aéroport, et tu voudrais t'en tirer sans fournir d'explications ?

– Amélia est une garce. Elle a envoyé cette voiture à votre demande, pas par intérêt pour mon confort ou ma sécurité.

Je ne savais pas vraiment quelle mouche m'avait piquée, mais je me sentais d'humeur belliqueuse ce soir. Je fixai ma mère droit dans ses yeux bruns. Il était difficile de déterminer son état d'esprit d'après les expressions de son visage. Après la quantité astronomique de liftings qu'elle s'était infligée... ses traits étaient figés à jamais en une expression pincée.

Je m'attendais à un cataclysme, ou au moins une leçon de moral sur mon vocabulaire, mon ingratitude ou tout autre prétexte que je venais de lui fournir. Pourtant, ma mère ne tenta même pas de démentir mes propos. Quant à mon père, j'aurais juré avoir aperçu un éclat amusé au fond de son regard. Il n'appréciait pas plus ma grand-mère que moi.

– Bien, reprit sèchement ma mère. Tu estimes vraisemblablement que tu n'as plus de comptes à nous rendre.

Enfin elle avait compris. Merveilleux. Anna, la femme de chambre que mes parents avaient embauchée pour moi, sortit de l'ombre du couloir, pensant que la conversation était terminée et je lui souris tandis qu'elle s'emparait de ma valise pour s'occuper de son contenu.

– Mais ce n'est pas le cas de Jasper, poursuivit ma mère, du venin plein la voix.

Je tournai vivement la tête vers elle.

– Tu peux préciser s'il te plait ? rétorquai-je.

Elle tenta un sourire qui ressemblait plus à une grimace.

– Tu es fiancée à Jasper. Il est en droit d'être tenu informé de tes allers et venues. Je ne sais pas si tu réalises la chance que tu as qu'un homme comme lui souhaite épouser une femme comme toi.

C'était ma mère tout craché. Prête à tout pour frapper là où ça faisait mal. Je jetai un coup d'œil à mon père, cherchant toute l'aide que je pourrais recueillir. Il fusillait ma mère du regard mais n'avait manifestement pas l'intention d'intervenir.

Tant pis. Je ne pouvais compter que sur moi-même.

– Il faut vivre avec son temps, mère. Je suis fiancée à Jasper, certes. Mais je ne lui appartiens pas, comme je ne vous appartiens pas. Je vais où bon me semble, quand bon me semble et avec qui je le désire. Je vous interdis de vous immiscer dans ma vie sentimentale, à tous les deux, les avertis-je. Sans quoi je mettrai fin à ces fiançailles avant même que vous n'ayez eu le temps de dire « fusion ».

Sans leur adresser un mot de plus, je tournai les talons, suivie de près par Jonathan qui ne m'adressait toujours pas la parole. J'aurais préféré qu'il me foute la paix mais je savais que c'était peine perdue et je savais aussi réserver mon énergie pour les combats que je pouvais gagner.

Une fois devant l'aile qui m'était réservée, je claquai la porte du couloir au nez de Jonathan mais il la rouvrit aussitôt. Je l'assassinai du regard, épatée par l'audace dont il faisait preuve.

– Je n'ai pas plus envie que vous d'être ici. Mais il est hors de question qu'il vous arrive quoi que ce soit sous ma surveillance. Je fais le tour de votre aile et je vous laisserai ensuite... vaquer à vos occupations.

– Faites, répondis-je en désignant le grand couloir d'un geste ample.

Quant à moi, je me dirigeai droit vers ma chambre où je m'effondrai sur mon lit en soupirant. Comme toujours il n'avait fallu à mes parents que quelques minutes pour gâcher plusieurs jours de bonheur. 

Brand New Dawn - WilderOù les histoires vivent. Découvrez maintenant