Juin 1871
Assis dans un coin, en extérieur, je médite silencieusement avec moi-même. Dans mon dos, les parois de fer rouillées et humides dégagent une froideur que j'ai pris l'habitude de sentir. Pourquoi rester au sol comme un chien alors que mon matelas n'attend que moi ? Ça ne changerait pas chose, la solidité qui casse le dos se trouve des deux bords. Sur ce navire de guerre, le confort est totalement absent.
Les mains brunies de crasse, je fixe mon carnet de notes avec nostalgie. Une apaisante brise marine souffle et s'infiltre dans mes cheveux bruns. Tout comme moi, l'âge a laissé sur lui sa marque indélébile, émoussant ses coins, rigidifiant sa couverture, et dérobant peu à peu l'éclat de sa jeunesse d'antan.
À cette heure plus que matinale, le soleil n'a pas encore montré le bout de son nez. Qu'il prenne son temps, je ne suis pas pressé. Le sommeil m'a déserté depuis longtemps, troublé par mes pensées noires. Par delà les barrières du pont, j'aperçois l'étendue infinie de l'océan qui semble chanter mes louanges. C'est la seule chose que l'apprécie en ces terribles moments : le son mélancolique des vagues se heurtant à la coque du cuirassé.
Le glapissement des mouettes laisse présager notre arrivée prochaine à destination : l'île de Kanghwa, en Corée.
Très tôt après mon enrôlement obligatoire, j'ai réalisé que l'armée n'est définitivement pas faite pour moi. En permanence, je songe à un futur différent où je pourrais être loin d'ici, de ces guerres inutiles et de ces morts. Déployer mes ailes, prendre mon envol et suivre ces goélands au-dessus des mers en toute latitude pour quitter définitivement cette terre insensée. Cette vie de tristesse, de chaos et de peur omniprésente...
Dieu seul sait que si je le pouvais, je l'aurais fait sans le moindre regret.
Certains me rabâchent que c'est une formidable opportunité pour eux de faire ce service militaire. Nous prouvons ainsi aux autres pays et à notre cher président que les États-Unis sont préparés et fiers de porter leurs couleurs pour se défendre. Servir la patrie avec loyauté... Ils n'ont que ça à la bouche. Moi je pense surtout qu'une majorité s'en fiche du devoir et font cela uniquement pour voyager sur le grand bleu et voir les beautés de l'Asie.
J'en fais un peu partie... Oui, ce n'est pas très glorieux.
J'aime me rassurer en me disant que mes camarades sérieux n'ont pas tort et que beaucoup de réformés envient ma place. Mais en silence, je déplore mon envie de vivre à jamais dans ma bourgade du Mississippi à observer la danse des arbres au gré du vent. J'aurais souri au nez du soleil comme un bienheureux tout en me balançant sur mon vieux rocking-chair.
Je laisse la guerre aux autres qui n'ont que cette voie comme exutoire. La simplicité et la douceur de vivre valent mieux que tout ça. L'aventure, ce n'est bon que dans les livres. Dans notre réalité, c'est beaucoup plus compliqué... et il y a rarement de jolies fins.
VOUS LISEZ
𝐑𝐄𝐀𝐋𝐈𝐓𝐔𝐀𝐑𝐈𝐔𝐌
FantasíaKalev est un jeune soldat à l'imagination débordante. Au calme, il écrit et invente des personnages, des créatures et un monde unique qu'il garde précieusement, voire jalousement dans son carnet de notes. Or, autour de lui, il n'y a pas de place pou...