Trois enfants s'amusent sur la plage de l'île de Kanghwa. J'imagine leurs rires emplissant les environs sous l'œil bienveillant des adultes. Ces derniers s'usent la santé dans les champs, à enchaîner les coups de bêche dans la terre tandis que les femmes aux longs cheveux noirs retirent les mauvaises herbes avec un soin presque irréel. L'un des enfants nous aperçoit enfin à l'horizon. La forme sombre de nos barques déchire la mer à toute vitesse.
La cloche du Fort Deokjin retentit, signalant aux habitants que l'île est attaquée.
Nous approchons en direction de la rive, sous un ciel désormais gris. Le soleil s'est caché, fuyant ce combat en approche. Les enfants effrayés s'enfuient vers les champs proches du fort avec leurs mères. Le son du tocsin se répand comme une traînée de poudre dans les esprits.
Et moi, mon fusil à la main, je me demande encore ce que je fous là...
Je tremble comme une feuille, le souffle court. La cloche sonne, sonne et sonne, me bousillant les tympans. Notre flotte, composée de trois bâtiments, vient d'amarrer en partie sur les terres du matin calme. Des centaines de soldats américains sortent des barques.
Contrairement au commandant Mike et à mes frères d'armes, je n'ai pas fière allure. Mes pieds s'enfoncent dans le sable humide des dunes et j'aurais aimé y être englouti pour ne plus vivre cet instant. Des cris s'élèvent autour de moi, des premiers coups de feu, des pleurs. Immobile au centre de la plage, mon cœur m'interdit de rejoindre le fort, là où de nombreux confrères sont déjà arrivés pour le carnage.
À quoi rime cette haine ? Pourquoi infliger de tels tourments à des enfants, à des femmes innocentes ? Ils ne sont pas responsables de cette tragédie. Ils ne sont pas ceux qui doivent payer le prix fort pour la stupidité de leurs supérieurs. Bien sûr, j'ai été choqué et furieux en apprenant que deux de nos navires marchands ont été détruits par le peuple de la péninsule. Toutefois, je déteste le dicton immoral qui prétend que : « la violence engendre la violence ».
Prendre la vie d'autrui pour la patrie ? Je n'appelle pas ça de l'honneur lorsqu'il s'agit d'innocents.
— Kalev, qu'est-ce que tu fais, bon sang ? Bouge-toi !
La voix de Jimmy m'arrache de ma transe et je le trouve à mes côtés, haletant, ses boucles écrasées sous son couvre-chef. J'aurais aimé lui dire que je retourne vers les barques, que cette mission est au-dessus de mes capacités. J'aurais aimé faire demi-tour, retourner dans ma bourgade du Mississippi, loin de cet enfer. Ou peut-être simplement me cacher comme un lâche. Mais tout ce que je parviens à faire, c'est hocher la tête contre mon gré, résigné par le sort et le regard perçant de Jimmy.
Nous avançons ensemble vers le fort avant d'être interrompus par une scène se déroulant à quelques mètres de nous.
Plus loin, dans les champs encore verdoyants, quatre de mes compagnons d'armes encerclent un trio d'enfants. L'autre idiot de Jack Pearson en fait partie. Il a saisi une petite fille pleurant à chaudes larmes par les cheveux. Les frères de la fillette tentent de la libérer, mais en vain. L'aîné se précipite sur Jack, mais ce dernier se défend en lui donnant un coup de pied à la poitrine. Le garçon tombe. La gamine hurle et se débat avec acharnement. Finalement, elle atteint l'entrejambe de Jack avec son talon. Courbé de douleur, il la libère de son emprise pour serrer sa partie endolorie entre ses mains. Il étouffe un cri, avant qu'une autre recrue ne saisisse l'enfant au passage.
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𝐑𝐄𝐀𝐋𝐈𝐓𝐔𝐀𝐑𝐈𝐔𝐌
FantasyKalev est un jeune soldat à l'imagination débordante. Au calme, il écrit et invente des personnages, des créatures et un monde unique qu'il garde précieusement, voire jalousement dans son carnet de notes. Or, autour de lui, il n'y a pas de place pou...