Samedi 21 Janvier

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─ Tu ne serais pas un peu jalouse de la nouvelle copine de ton frère toi ? M'a demandé Bianca, lors de notre cession shopping hebdomadaire.

─ Jalouse en mode Lannister ? ai-je répondu, un peu décontenancée.

─ Non jalouse dans le genre ton frère construit sa vie avec une fille super alors que toi ça fait des années que t'en es toujours au même stade ?

    J'ai réfléchi un instant. La formulation n'était pas agréable à entendre mais pas entièrement dénuée de vérité. Jusqu'à maintenant, la seule personne qui ramait plus que moi dans la vie c'était Adrien. Et bien qu'il n'en ait jamais rien eu à foutre, quelque part ça me rassurait. Maintenant avec sa future médecin, c'est moi qui devenais officiellement le boulet de service.

Il était temps de reprendre ma vie en main. Et de faire des résolutions que j'allais tenir pour une fois.

─ Romain est venu avec son mec dimanche, dit Bianca en changeant de sujet.

─ Il allait bien ?

─ Super, toujours aussi canon. Mais ça sent la fin.

    Si Bianca et moi étions célibataires pour le meilleur et pour le pire, le statut facebook de Romain aurait été « en couple, mais c'est compliqué ». Il avait toujours quelqu'un dans sa vie dont il était fou amoureux, mais seulement du lundi au vendredi et encore, pas après vingt-deux heures. En dehors de ses horaires, c'était bien souvent buffet à volonté. Jusqu'à l'indigestion. Et lorsque le Roméo du moment se rendait compte de son manque de constance (ce qui était plus ou moins rapide selon ses capacités cognitives), la relation se terminait dans des cris et des pleurs. Et Romain retrouvait un nouveau mec à tromper. Je ne le jugeais pas, il m'arrivait même parfois d'être un peu admirative. Qu'il profite de sa plastique de rêve. J'espérais simplement qu'un jour, il trouverait quelqu'un qui le satisfasse même le week-end.

    Nous sommes rentrées dans un café pour nous réchauffer et prendre une douceur. Ou deux. Enfin non, une. Si je voulais devenir une nouvelle femme...

─ Ma mère m'a appelé dans la semaine pour me parler de l'incident de dimanche dernier...

─ Et ? Martha t'a reniée pour adopter Rebecca La Parfaite ?

─ Pas encore. Elle m'a simplement dit qu'à bientôt trente ans, mon manque de maturité relevait sûrement du handicap. Ou d'un traumatisme d'enfance. Du coup elle culpabilise un peu, je crois. Elle regrette d'avoir mis autant d'argent dans mes appareils dentaires plutôt que dans une thérapie.

─ Aïe. Et ton père il a dit quoi ?

─ Rien, il était chez le vétérinaire, en train d'essayer de comprendre d'où venait le retour de vigueur de Caramel.

    Bianca a rit.

─ Ca ne s'est pas arrangé ?

─ Non il a agressé la voisine. Monique.

─ Sérieux ?

─ Oui. Quand elle sortait ses poubelles avant-hier soir. Il a sauté la clôture pour la première fois. Puis il l'a coincée entre le mur et la haie. Apparemment il n'y est pas allé tendrement. Ils ont dû se mettre à trois pour qu'il lâche la jambe de Monique. Mon père, ma mère et son mari. Elle était sous le choc, d'après ses dires.

─ Peut-être simplement que ça faisait longtemps qu'elle n'avait pas suscité un tel effet chez un mâle ?

    On se marre toutes les deux. Puis comme toujours on discute de tout et de rien. Bianca voit un nouveau mec. Un collègue qu'elle a rencontré dans l'agence immobilière où elle travaille. Rien de sérieux. Ce n'est jamais sérieux avec Bianca. C'est une phobique de l'amour. Elle se cache derrière de grands discours féministes de femme indépendante et de refus du patriarcat. Mais la vérité c'est que quand on s'est rencontrée, en quatrième, son connard de père les a abandonnées, elle et sa mère pour une fille de vingt cinq ans. Sans se retourner. Il ne pouvait « pas résister ». L'amour était trop fort. Il a très vite fait un gosse à sa nouvelle (jeune) copine. Le problème c'est qu'un type de quarante ans, ça ne l'a pas amusée très longtemps, la nouvelle. Donc résultat des courses, deux ans plus tard il s'est retrouvé seul, à verser des pensions alimentaires à tout le quartier.

    Bianca n'a jamais voulu pardonner à son père, ce que je comprends. Elle n'a pas non plus voulu rencontrer son petit demi-frère, c'est son choix. Toutefois, on saisit aisément pourquoi elle a été vaccinée de l'amour avant même de le connaître. Et pourtant avec sa silhouette élancée (résultat de quinze ans de danse classique), ses longs cheveux bruns épais et son visage de poupée espiègle, elle avait un nombre incalculable de prétendants. Ce n'était pas facile tous les jours de l'avoir comme meilleure amie.

    Avant de se quitter, Bianca s'est gentiment proposée de devenir ma coach de vie dans la conquête de la meilleure version de moi-même. Et d'après elle, ça commençait par reprendre le sport. Enfin. Débuter le sport. Quoi de mieux pour entamer un nouveau départ que de se sentir mieux dans son corps ? « Un esprit sain dans un corps sain », comme le disait si bien nos amis romains. Mais par pitié, qu'il laisse ma rate tranquille.

Du coup maintenant, tous les samedis, ça sera séance footing à la place de séance muffin. Bianca va aussi me faire un programme alimentaire adapté. Je crois que je regrette déjà.

Le soir, toujours dans une démarche de devenir une femme meilleure, j'ai envoyé un message à Adrien.

« Trop sympa ta Rebecca, promis la prochaine fois je me tiendrai bien. »

    Bip

« Emoji huitre »

    Bon, j'imagine que ça veut dire qu'il me pardonne.

    Bip

« Va vraiment falloir que tu te trouves un mec ».

D'accord. C'est de bonne guerre.

Journal sans titre. Où les histoires vivent. Découvrez maintenant