Week end en amoureux annulé. Noé a la gastro. Hors de question que je me laisse abattre. J'ai décidé d'aller brûler un cierge à l'église. Pas que je sois prête à devenir une fidèle croyante, mais la chance me souriait vraiment depuis ma rencontre avec Noé, et depuis le soir de la Saint Valentin, j'étais consciente que je devais une fière chandelle au saint esprit. Enfin, je ne sais pas exactement si je devais remercier Dieu ou l'abruti qui avait réussi à mettre le feu à son appartement en cramant un morceau de pain dans son micro-onde (moi aussi j'ai eu du mal à y croire mais quoi qu'il en soit, sans lui, la caserne n'aurait jamais appelé Noé pour qu'il vienne aider à éteindre l'incendie). Peu importe quelle hypothèse était la bonne, il valait mieux entretenir mon Karma. Après tout, la beauté de la foi n'étais-ce pas de croire sans jamais voir ?En entrant dans l'Eglise, l'odeur si particulière qui mêlait souvenirs heureux et souvenirs insupportables. Le baptême d'Adrien, le mariage de mes cousines, mais aussi l'enterrement de Papi Roger. Lorsque j'ai allumé la bougie pour remercier Dieu de ne pas m'avoir laissé mourir de froid, en tanga, dans une forêt hostile, j'ai aussi eu une pensée pour mon Caramel, et j'ai demandé qu'il passe l'arme à gauche le plus tard possible.
J'ai profité de cette journée de libre pour aller voir ma grand-mère, Suzanne. Elle résidait dans une résidence séniore à quelques minutes à pied de chez moi. Un centre pour personne âgée. L'étape juste avant l'EPAD. Elle disait d'ailleurs que ça la rassurait d'avoir encore une étape à franchir avant le grand saut. J'adore ma grand-mère. C'est la mère de mon père. Une femme avec un sale caractère et une langue bien pendue. C'est une des personnes qui m'est le plus cher. Et pourtant je prends trop peu souvent le temps d'aller la voir. J'ai toujours quelque chose de plus important, de plus urgent à faire. Même si je sais déjà qu'elle n'est pas éternelle. Un jour viendra, où je me dirai « si j'avais su, j'en aurais davantage profité ». Mais malgré tout ça, mes visites restaient occasionnelles, une fois tous les deux ou trois mois, ponctuées d'appels remplis de discussions banales à en crever, mais tellement douces et réconfortées. A chaque fois que je raccrochais où que je quittais sa chambre, je me jurais de la revoir au plus vite. Une promesse jamais tenue.
─ Mais la plus belle de mes petites filles ! s'est-elle écriée lorsque je suis rentrée.
On s'est prise dans les bras. J'ai pris une grande bouffée de son odeur d'eau de toilette à la lavande mélangée au savon de Marseille, le seul savon avec lequel elle acceptait de se laver depuis des décennies. Elle disait que c'était le meilleur moyen de préserver sa peau des marques du temps. Mieux que toutes ses crèmes hors de prix qui niquent le porte-monnaie.
─ Comment vas-tu mamie ?
─ Oh mon p'tit, aujourd'hui ça va à peu près ! a-t-elle répondu en me faisant signe de m'assoir sur le fauteuil à côté du sien.
─ Tant mieux, mamie, tant mieux !
─ Enfin heureusement parce que c'était pas encore le cas il y a quelques jours...
─ Ah oui ?
─ Oui, je pouvais plus éliminer, j'ai de nouveau eu un abcès.
Je craignais le pire.
─ Un abcès ?
─ Oui, pas tout à fait à l'anus, mais presque. Je ne pouvais plus aller aux toilettes ni m'assoir. Une semaine horrible. Je te passe les détails.
Non, justement mamie, tu ne me passes pas les détails.
─ Mince ! Et là c'est tout réglé ?
─ Oui, le médecin a pu le percer. C'était long et douloureux mais au moins j'ai évité la chirurgie. A mon âge, il vaut mieux éviter de flirter de trop près avec la mort, parce qu'un pet de travers et je mange les pissenlits par la queue.
─ C'est pas par la racine l'expression ?
─ Peut-être bien mon p'tit. Mais c'est bien moins excitant. Enfin bon, ça m'apprendra à cuisiner des aliments irritants. J'avais mangé des tomates cuites il y a deux semaines. Erreur de débutant.
─ C'est irritant les tomates cuites... ?
─ C'est même le pire. J'ai eu le cul en feu pendant des jours.
Ok, celle-là, je l'avais un peu cherché.
─ Et alors toi mon p'tit ? Tu as enfin rencontré un garçon ?
─ Bah... oui.
─ Oooh ! a jubilé ma grand-mère en se tapant dans les mains. Et tu ne racontes pas à ta grand-mère préférée ?
Ma grand-mère préférée, ce n'était pas compliqué puisque mon autre grand-mère était décédée depuis que j'avais six ans. Mais je n'allais pas polémiquer alors que j'avais l'occasion de parler de Noé.
─ Il est pompier... Et je crois que je l'aime vraiment bien.
─ Tu m'en diras tant ? Et tu n'as pas une photo à montrer à ta vieille mamie gâteuse pour qu'elle se rince l'œil ?
J'ai immédiatement dégainé son compte Instagram.
─ Et bah ! Tu te fais pas chier mon p'tit !
─ Merci Mamie.
─ Et c'est séreux avec ce garçon ?
─ J'espère, oui. On ne se fréquente pas depuis si longtemps que ça encore. Mais il a l'air d'être quelqu'un de bien.
─ Tu as bien raison de profiter ma petite chérie. Tu sais, je donnerai beaucoup pour avoir de nouveau vingt-sept ans et encore toute mon insouciance...
─ Je sais mamie...
Non, je ne savais pas. Quand je pensais aux quatre-vingt-six ans de ma grand-mère ça me donnait le vertige. Et quand elle commençait à me dire qu'un jour je me lèverai avec le même âge qu'elle en pensant que mes vingt ans étaient hier, cela me déclenchait des angoisses de mort.
Mais ma grand-mère ne s'est pas plus épanchée que ça. Elle s'est levée et a été chercher le jeu d'échec dans le tiroir de son buffet. C'était notre petit rituel à toutes les deux. Elle m'avait appris à jouer quand j'étais petite, mais même après des années de pratique, je restais beaucoup moins bonne stratège qu'elle. Et elle ne m'épargnait pas, elle était bien trop mauvaise joueuse pour ça. Une fois, une unique fois, je l'avais battue. Je devais avoir treize ans. Lorsque mon fou avait renversé son roi, elle m'avait regardé droit dans les yeux et m'avait traité de « petite salope au cul verni de nouilles ». J'avais été traumatisée pendant plusieurs jours. Quand j'avais raconté l'anecdote à mes parents, mon père s'était marré. Ma mère avait levé les yeux au ciel et fait une remarque sur le vocabulaire inapproprié et l'importance de montrer le bon exemple. Mais elle n'en avait jamais touché mot à ma grand-mère. C'était bien la seule personne à qui Martha n'osait pas s'opposer. En face du moins.
Comme d'habitude, j'ai pris les pions blanc et Mamie les noirs. Après m'avoir asséné trois défaites consécutives, elle m'a demandé d'aller chercher la bouteille de cidre au frais (une autre de nos traditions).
─ Tu t'es bien défendue mon p'tit, tu sais.
C'était un sacré compliment de sa part. Ma grand-mère ne disait jamais rien qu'elle ne pensait pas, que ça plaise ou non. Alors qu'on dégustait notre verre de cidre brut, toujours brut, le cidre, j'ai remarqué qu'un inconnu nous regardait par la porte d'entrée que j'avais laissé ouverte. Un vieil homme aux cheveux gris s'était arrêté devant la porte entrebâillée de l'appartement de ma grand-mère, et lui faisait signe de la main, un sourire béat plaqué sur le visage.
─ C'est qui lui ? ai-je chuchoté. Je croyais que les personnes séniles ne pouvaient pas vivre ici ?
─ C'est Hugues, mon voisin de palier. Il a toute sa tête, je t'assure. Ne te fie pas au déambulateur. Il est bien plus vigoureux que bon nombre de petits puceaux de vingt ans, parole de scout.
Je crois que j'aurais encore mieux aimé être sourde que d'entendre ça.
VOUS LISEZ
Journal sans titre.
فكاهةMargaux, jeune enseignante dans la vingtaine, raconte ses déboires amoureux, familiaux et amicaux avec une bonne dose de second degré. Ce roman est largement infusé d'une ambiance à la Bridget Jones !