Chapitre 8

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SIDON

Je m'écarte de justesse avant que la monstruosité qui se tient devant moi ne me crache un jet de vase toxique directement au visage.

On a eu le temps de réfléchir aux possibles causes de la chute de vase sur le domaine. Mais il faut avouer que l'on n'avait pas forcément pensé au fait qu'il pourrait s'agir des crachats d'un poulpe.

Enfin... Un poulpe... si on peut appeler ça comme ça. Malgré sa taille minuscule qui n'impose pas spécialement le respect, cette petite saleté se cache dans un amas de boue sous la forme d'un énorme requin. Et là, tout de suite, ça en jette plus qu'une pauvre bestiole rachitique.

Frustrée par son échec, la créature me fonce dessus et tente de me mordre.

Ça doit faire bizarre de se faire mordre par de la vase...

Oh, finalement, tout bien réfléchi, je pense que je ne préfère pas expérimenter.

A l'instant où j'esquive son attaque, le squale engage un demi-tour serré, et se précipite sur Link, qui lui jette un fruit d'eau en pleine figure dans un geste qui ressemble plus ou moins à un réflexe primitif de survie.

C'est qu'elle est rapide en plus cette merde.

Apporter des fruits d'eau avec nous était probablement la meilleure idée qu'on aie eue. Cette bestiole déteste ça. Il suffit de l'atteindre plusieurs fois avec en les lui lançant dessus pour abîmer sa couche de boue protectrice et mettre au jour son petit corps chétif.

Après quelques ratés qui nous ont causé de grosses frayeurs, on a fini par prendre le pli avec Link, et à comprendre comment cette chose attaque. Ça fait un bon moment qu'on y est maintenant et elle faiblit. Ses attaques sont de moins en moins rapides, ses assauts, de moins en moins organisés.

Le dernier fruit d'eau que je lui envoie en plein dans l'arrière train fait voler en éclat la protection vaseuse de la créature, laissant le champ libre à Link qui la roue de coup jusqu'à ce qu'enfin, elle ne bouge plus.

Elle commence alors à convulser, son corps se tordant à des angles improbables, jusqu'à finalement exploser dans un bruit de succion insupportable, projetant boyaux et vase dans toutes les directions.

"C'était pitoyable, et vraiment dégueulasse. Mais c'est fini."

Je pense que les paroles de Link résument assez bien la situation. La vase ne coule plus. J'hésite très fort entre sauter de joie en hurlant et vomir l'intégralité de ce que j'ai mangé depuis le début de la journée. Lorsque Link accourt vers moi et me serre dans ses bras, je sais que ça ne sera aucun des deux.

Il appuie son front contre mon torse, et je ressens comme une décharge qui remonte le long de ma colonne vertébrale, suivie de près non pas par une armée mais par une nation entière de papillons venus envahir mon corps.

Link n'a pas eu besoin de dire quoi que ce soit. Le câlin est assez explicite à mon sens. De toute façon, le connaissant, il ne m'aurait jamais avoué ses sentiments d'une autre manière. Jamais il ne m'en aurait parlé. Il est très mal à l'aise avec les mots. Et là, de toute façon, même sans parler, je pense que le message est clair.

C'est vraiment possible. Il ressentirait la même chose que moi ..?

Maintenant que je me repasse dans la tête les événements qui se sont produits depuis son arrivée, ça me paraît évident. J'en viens même à me demander comment j'ai fait pour ne pas remarquer avant.

Il m'évite du regard mais fait tout ce qu'il peut pour rester avec moi. Il ne dit rien mais cherche quand même une certaine proximité physique avec moi.

Mais surtout, son visage se décompose dès qu'il croise Yona.

Yona. Son principal "obstacle".

Si l'idée de me marier ne m'enchantait pas, maintenant, c'est carrément un problème pour moi.

Comment je suis censé faire ? Je ne vais pas demander à Yona de partir sous prétexte que finalement j'ai trouvé quelqu'un qui me convient. Mon père a arrangé ce marriage pour des raisons politiques évidentes, je ne peux pas me défiler et accepter un total outsider juste parce que l'envie m'en prend.

Quand on est prince, on ne choisit pas.

Les papillons que j'ai dans le ventre sont de moins en moins agréables. C'est comme s'ils avaient soudainement obtenu des griffes et qu'ils avaient décidé de se déchaîner directement dans mon estomac.

"Je... Link... j'aimerais pouvoir.. je veux dire..."

Wow. Incompréhensible. Réessaye.

"Je voudrais te dire oui... que moi aussi mais...-"

"Yona."

Le nom est sorti tout seul de sa bouche. Sans haine, sans jalousie. Sans rien. Il n'y avait aucune trace d'émotion dans sa voix.

"Je suis désolé."

C'est tout ce que j'arrive à répondre. C'est pathétique. Pour une fois, ce n'est pas à Link que les mots manquent. Je ne sais pas quoi dire. Alors je me penche pour être à sa hauteur et le serre contre moi, comme si il allait se volatiliser à la seconde où je desserrerait ma prise.

On reste comme ça pendant un long moment. Je ne saurais pas dire combien de temps. Plusieurs minutes, plusieurs heures peut-être. Aucune idée.

Une larme tombe et coule sur toute la longueur de mon ventre. Une seule larme. Pas de moi. Une larme de Link.

C'est la première fois que je le vois pleurer. Mais je ne sais toujours pas quoi dire. Au lieu de parler et de probablement dire une bêtise, je reste dans la même position, mes bras autour de sa taille alors que les siens sont enroulés autour de mon cou.

Je resterai dans cette position aussi longtemps qu'il le faudra, aussi longtemps qu'on le pourra. J'aimerais que ça dure pour toujours.

A Zora's BloodOù les histoires vivent. Découvrez maintenant