Chapitre 11

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Cette journée est probablement l'une des pires de mon existence.

Il y a quelques heures, Sidon a été forcé d'épouser quelqu'un qu'il ne voulait pas. Devant moi, puisque j'étais invité.

Cela faisait plusieurs semaines que je ne l'avais pas vu. Plusieurs semaines durant lesquelles j'ai commencé à sentir que ma présence ici n'était pas autant appréciée qu'à l'accoutumée. J'ai essayé, autant que j'ai pu, de voir Sidon ne serait-ce que quelques minutes, quelques secondes... juste le voir.

La réponse a toujours été la même. Les préparatifs de son mariage et l'apprentissage de ses nouvelles responsabilités lui accaparaient l'intégralité de son temps, soit disant.

Maintenant qu'il est marié, c'est sûr, j'ai tout le loisir de le voir. Comme par hasard, ses interminables activités ont toutes pris fin en même temps, et il est libre toute la journée. Le souci c'est qu'il ne réagit plus, il est complètement détruit. Depuis plusieurs heures que je suis assis avec lui, il n'a rien dit et a passé son temps à fixer le sol en pierre bleue devant lui, sans bouger.

J'ai bien essayé de m'approcher, de le réconforter -même si j'ai moi aussi besoin de réconfort-, de le serrer contre moi, mais rien n'y fait. Il n'y a aucune réaction. Comme si j'étais en face d'une statue, ou que son esprit avait été envoyé à un autre endroit, ne laissant devant moi qu'une coquille vide.

Je sais qu'il faudrait que je lui parle. Il me répondrait. Mais je suis tellement mal à l'aise avec les mots que je risquerais d'empirer la situation. D'habitude, c'est plus simple, c'est lui qui parle, je n'ai qu'à répondre. J'ai toujours admiré la facilité avec laquelle les mots lui viennent, cette aisance à s'exprimer dont j'ai absolument besoin maintenant. Mais que je n'ai pas.

Donc je laisse le silence s'installer.

D'une certaine façon, c'est réconfortant, le silence. Ça permet de se sentir en paix, de perdre la notion du temps, de se concentrer sur soi pour se calmer.

Mais c'est à double tranchant.

Le silence peut enfermer quelqu'un dans la solitude, dans des pensées sombres, il fait parfois faire macérer les soucis et les transformer en plaies, puis en blessures plus dures encore à panser.

Je ne veux pas que Sidon s'enferme dans ce genre de spirale négative. Ce mariage aurait dû arriver, d'une façon ou d'une autre. Il n'y avait aucun moyen d'y échapper, il le savait très bien. Moi aussi je le savais.

C'est pour ça que je me refusais de lui avouer ce que je ressens. Je voulais lui éviter d'avoir à subir ce qu'il subit aujourd'hui, et qui risque de le poursuivre encore un bon moment si son ressenti est similaire au mien.

Je sais que la symbolique de cette union a de quoi blesser Sidon, qui ne pouvait pas se résoudre à l'accepter, mais ce n'est certainement pas la vision traditionnelle très stricte du mariage chez les Zoras qui va m'empêcher de rester avec lui.

Je n'ai pas pu résister à mes sentiments, et maintenant nous en payons tous les deux le prix. Mais je ne peux pas m'empêcher de me dire que quelque part, peut être, ça valait le coup.

Le soleil disparaît peu à peu derrière les montagnes qui entourent le domaine. Bientôt seule la lueur bleue du domaine brillera dans l'obscurité de la nuit.

"Je suis désolé."

C'est Sidon qui a parlé, d'une voix faible. Je n'ai pas été capable de prononcer quoi que ce soit jusqu'à ce que lui, le fasse.

"Désolé de quoi ? Tu n'as absolument rien fait que... qui justifie des excuses."

Sans dire quoi que ce soit de plus, il m'attrape et me dépose sur ses genoux, tout en me prenant entre ses bras.

Dans cette position, je ne peux pas le voir, mais je sais qu'il pleure. Depuis qu'elle est arrivée au domaine, Yona l'a progressivement fragilisé, jusqu'à complètement le détruire, sans même qu'elle ne le sache. Toute sa joie de vivre, sa bonne humeur qui le caractérisait tant lui ont été arrachées à cause de la perspective d'un mariage avec elle, qui a malheureusement fini par se réaliser.

J'ai besoin de le retrouver, le Sidon qui me soutient dans toutes mes bêtises les plus stupides, celui dont le visage s'éclaire comme celui d'un enfant à chaque fois que je lui propose une sortie, le Sidon que... que j'aime ?

Il fait sombre à présent, mais aucun nuage n'est à l'horizon. Les étoiles se détachent parfaitement bien dans le ciel. On ne les voit pas aussi bien ici, d'habitude.

Quelque chose cloche.

Je suis déjà venu les observer plusieurs fois, et la lumière émise par le domaine empêche d'avoir une vue dégagée sur le ciel.

La lumière du domaine. C'est ça qui cloche.

La lueur bleue. Disparue.

"Euuh... Sidon ?"

"Humm...?"

"C'est normal ...? La lumière ?"

"La lumière ?"

Évidemment que c'est pas clair. Toujours les mots qui te manquent mon pauvre. Allez, on se pose et on reformule.

"Eh ben... la lumière du domaine... elle n'est plus là."

"Oh merde."

Il se lève en sursaut, manquant de me faire tomber au passage, avant de m'expliquer :

"Si la pierre du domaine ne brille plus, c'est qu'il est arrivé quelque chose au Saphir."

Je cligne des yeux de façon dubitative, traduction : Quel Saphir ? En quoi c'est un problème ?

"Pour te faire court, Link, on est dans la merde."

Voilà qui est plus clair.

Sans plus d'information, il plonge directement par-dessus la rambarde de la place centrale du domaine, pour atterrir dans l'eau une dizaine de mètres plus bas. Je le suis sans réfléchir et à la seconde où je touche l'eau, il se glisse en dessous de moi pour que je puisse me tenir à son dos, de la même manière que pour notre expédition au Lac du barrage de l'Est.

Il ne dit plus rien et la façon dont son corps est tendu alors qu'il se dirige vers je-ne-sais-où ne me rassure pas spécialement.

Sidon arrive rapidement au niveau d'une petite cascade, sous le grand pont qui mène au domaine. Il fonce à travers, révélant un accès vers une petite grotte, qui elle-même donne sur des escaliers descendant dans la pénombre.

Au sommet de ces escaliers, le corps couvert de bleus et de coupures, à bout de souffle, rampant et se hissant comme elle le peut au sommet des marches, Yona. Elle a vraiment l'air en souffrance, mais en nous apercevant, elle parvient tant bien que mal à se redresser.

"Pardonnez-moi... il l'a pris... je échoué... encore une fois..."

C'est tout ce qu'elle parvient à dire avant de s'écrouler sur le sol froid et humide de la grotte.

A Zora's BloodOù les histoires vivent. Découvrez maintenant