Chapitre 15

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          Skye soupira quand son dernier patient quitta l'infirmerie. Un mousquetaire qui avait un peu trop traîné après une blessure qui aurait dû être bénigne. Elle avait passé deux heures à le soigner, engoncée dans sa parfaite panoplie de la femme-modèle du dix-septième siècle. Elle transpirait à grosses gouttes sous son jupon et sa jupe. Elle avait également bandé sa poitrine pour l'aplatir, avait revêtu une chemise qui s'attachait sous le menton et serré son bustier à s'en couper le souffle. Et pour couronner le tout, elle n'avait pas eu d'autres choix que d'enfiler des bas pour éviter de souffrir le martyre dans ses chaussures d'un inconfort inégalable. Elle regrettait amèrement d'avoir demandé à Aramis de jeter ses baskets une semaine plus tôt. Elle s'était promis, cette nuit-là, que Tréville n'aurait plus rien à lui reprocher, et elle faisait tout pour tenir sa promesse.

Mais à quel prix !

Elle s'effondra dans son vieux fauteuil en bois et prit le pichet d'eau. Vide.

— Et merde ! geignit-elle.

Elle se tourna vers la porte restée ouverte. L'agitation de la fin du jour commençait. La chaleur étouffante avait poussé la quasi-totalité des hommes à fuir leur chambre et à dormir dans le parc, sous les arbres. Elle se leva en grimaçant et clopina jusqu'à la cour. Les inséparables étaient installés à leur table sur laquelle Serge avait déposé de quoi les nourrir. Elle se mordit les lèvres, hésita. Elle les évitait depuis l'incident de l'écurie. Elle ne savait pas si Fontenoy avait raconté ce qu'il avait vu, et rien dans l'attitude des hommes de la garnison ne le laissait supposer, mais elle ne voulait pas tenter le diable. Ne plus s'approcher des inséparables, et surtout d'Aramis, était une des règles qu'elle s'imposait.

Elle pinça les lèvres, baissa les yeux et traversa la cour. Après tout elle ne voulait qu'une cruche d'eau.

— Eh ! Tu sors enfin de ton antre ? sourit Porthos.

Elle lui rendit un sourire timide, évitant de poser les yeux sur Aramis, assis à côté de lui.

— Je venais juste chercher de l'eau, marmonna-t-elle.

— Tu travailles trop, laissa tomber Athos. Viens t'asseoir.

Les trois hommes étaient en chemise, largement ouverte sur leur torse en sueur, alors qu'elle devait continuer à cuire dans sa cuirasse de tissus et de baleines.

— Merci, mais je n'ai pas le temps.

Elle se précipita dans les cuisines, s'empara vivement d'une cruche et regagna l'infirmerie sans un mot.

Elle fut surprise d'y trouver un homme, qu'elle reconnut facilement. Fontenoy.

⚔⚔⚔⚔⚔

Elle disparaissait dans l'infirmerie quand Aramis sentit deux paires d'yeux accusateurs se poser sur lui.

— Tu dois aller lui parler, laissa tomber Athos.

Il lui jeta un regard de travers, mais le mousquetaire se contenta de se servir un verre.

— Elle m'inquiète, renchérit Porthos.

— Oh, te faire tancer chaque matin te manque à ce point ? ronchonna-t-il.

— Il a raison, insista Athos. Dix jours qu'elle ne sort de l'infirmerie que pour aller voir Constance où l'apothicaire. Elle y mange et je ne serai pas étonné qu'elle y dorme aussi.

— Non, répondit Aramis. Elle regagne sa chambre très tard...

Il se tut brusquement. Porthos le fixa d'un regard étonné, sourit, ironique et Aramis leva les deux mains.

Quatre Siècles et une Croix -I- La Croix et l'Épée [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant