- Y'Allah* wouldi*, lève toi.
Ma couverture vient de m'être retirée. La lumière du jour me transperce les yeux, et me fait sortir de mon pieu. Ma Yemma* se tient debout face à moi, avec son voile qui lui recouvre la moité de ses cheveux. L'autre moitié erre au vent. Ses jolies petits yeux couleur miel éclairent mes journées, son sourire me rassure : j'suis finalement qu'un simple gosse, qui a besoin de l'attention de sa maman. Je l'observe du coin de l'œil, elle bouge dans tous les sens en ruminant des mots incompréhensibles ; paraît que je la fatigue, que je suis désordonné, ou plus simplement que « j'suis qu'un vieux crados, comme tous les mecs de ma génération », ça c'est les mots que ma chère Meyssa a prononcé, sans remords.
C'est vrai qu'en observant ma chambre, au premier abord, elle a l'air d'un dépotoir. Mais que voulez-vous ? En observant Yemma j'éclate de rire. Vous devriez la voir, avec ses sourcils froncés et son air de maman autoritaire même pas crédible : c'est sur, Yemma, c'est la femme de ma vie ! Elle se retourne et me lance son vieux torchon. S'en suivent des insultes et encore des insultes, miskina* elle en a marre de moi. Mais au fond qu'est ce qu'elle m'aime ! Après tout, qui peut résister au charme de Rais El Gawazi ?
- Tu rigoles en plus ? Tu me fatigue wouldi, t'as vu ta chambre ? Tu crois qu'avec Meyssa, on est tes femmes de ménages ?
J'acquiesce de la tête, ba oui pour moi j'suis le plus petit, c'est clair qu'elles doivent s'occuper de moi.
- Non mais tu te prend pour le roi de la maison ?
Je m'étire et me redresse sur mon lit. Je la regarde un long moment, avant de lui chuchoter :
- Fallait réfléchir à deux fois avant de m'appeler Rais* ! Maintenant t'assume Yemma !
J'suis assez fier de ce que je viens de dire. Attendez, je m'appelle Rais, donc pour moi, ça me donne tout les droits pour me comporter comme tel.
Yemma capitule. Elle me regarde et lève ses yeux et ses mains au ciel, l'air de dire, mais qu'est ce que j'ai fait au bon Dieu ? Elle jette son torchon, et sort de ma chambre. Je crois bien que j'ai gagné. J'aime bien les petits moments simple de la vie. Je finis quand même par me lever. Je traîne des pieds jusqu'à la salle de bain pour me laver : j'veux bien être un crados, mais il y a des limites. Je choppe de quoi m'habiller, lorsqu'un cadre attire toute mon attention. Un simple cadre, une simple photo, mais le sens de cette image est tout autre. Sur la photo je devais avoir quoi, quatre, cinq ans.A coté de moi il y a ma mère et à ses cotés Meyssa : ma grande sœur. Sur l'arrière plan, un peu plus à gauche, mon '' père ''. Le hasard fait bien les choses, cet homme est sur le côté le plus sombre de la photo. On dirait que même la photographie a capté son vice.
Ouais mon père ne fait plus partie de ma vie. Il a préféré s'en aller avec sa connasse d'italienne, c'est tout à son honneur. Faudra juste pas qu'il revienne pleurer, quand elle en aura marre de lui. Toute façon, vu comment je suis devenu, ça m'étonnerai qu'il ose se repointer ici. C'est en parti à cause de lui, ou plutôt à cause de son absence, si j'ai flanché dans le mauvais côté. Entre nous, la présence d'un père, qu'est ce qu'elle est importante ! Lui n'a pas su être présent, alors c'est tout naturellement que moi, Rais, en manque de repère j'ai dévié. J'ai changé maintenant, j'suis plus ce même gars en colère, qui pensait de manière négative.
Mais à cette époque je pensais différemment. Je pensais : '' Père au penchant alcoolisé, avec une tendance à l'absentéisme. Mère à défaut de sécurité, en fin de compte, y'a que la rue pour me donner ce dont je manque ''.
Mais on fait tous des erreurs, dites moi qui est parfait ?
Ma haine intérieure envers cet homme, prend le dessus. Automatiquement je prends la photo et déchire son image. Je ne veux plus que son souvenir rode dans cet appartement.
'' Regarde toi mon cher fils, hein c'est ça que t'es non ? Ou dois-je dire ma chère progéniture ? Parce que ouais, j'ai jamais voulu de toi tu comprends ? Toi et ta chère sœur n'êtes qu'un fardeau pour moi, rien d'autre. Tu comprends maintenant pourquoi je m'en suis allé vers une autre femme, une femme qui elle au moins sait comment me donner tout l'amour dont j'ai besoin. Regarde toi Rais El Gawazi, tu n'es devenu qu'un simple taulard, un simple banlieusard, un petit voyou des cités. Et n'oublie pas, toute ta vie tu resteras qu'une faute commise. LA faute que j'ai commise ! '' Ces mots prononcés lors de mon premier parloir résonnent encore dans ce putain de crâne !
Comment, comment un père peut-il infliger ça à son gosse, quand c'est à cause de lui que celui-ci s'est retrouvé dans ce foutu bordel ?! J'essaye de chasser ces pensées de mon cerveau par peur que mes idées noires du passé reprennent le dessus. Avant d'aller à la douche, je reçois un texto :
« Wesh le couz, oublie pas mon anniv ce soir hein ? A 21h, à la villa comme prévu. Tu verras on va s'enjailler comme jamais. Mets toi en mode frais, en mode chasseur si tu veux, ce soir le couz y'aura de la meuf ! ».
Lexique :
Y'Allah : Allez, dépêche-toi
Wouldi : Mon fils
Yemma : Maman
Miskina : La pauvre
Raïs : Roi ( en arabe )
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Le récit d'El Gawazi
Short Story{ Ne ramenez pas à demain ce que vous pouvez faire aujourd'hui. } « Vieillir est obligatoire, mais grandir est un choix. » Youssoupha « Qui craint de souffrir souffre déjà de ce qu'il craint. » Demi Portion