02

3.4K 254 14
                                    

La soirée bat son plein. Les cocktails fusent de chaque côtés. La musique entraîne les déhanchés sur la piste. Malik, mon cousin, a mis les petits plats dans les grands. Ba ouais vingt piges ça se fête, et pas n'importe comment !

Pour le moment, j'suis en retrait. Mon verre à la main, je me noie dans mes pensées en observant du coin de l'œil tout ce monde. Malik a invité toute la ville. Y'a de belles meufs, quelques bourges du coin, t'sais les '' Kévin et Nicolas '' qui kiffent ce genre de fête, en mode un petit polo Ralph Lauren et des Rey-Ban, ceux qui qui appartiennent à l'élite, là. Malik les a convié, parce que lui a eu de la chance, i l tourne dans des villas, genre y'a un garde à l'entrée et il te faut un code pour pouvoir rentrer. 

Mais attention, n'allez pas croire que Malik c'est un petit fils de bourges, gâté ou j'sais pas quoi. Non, loin de là. Ses parents c'est des immigrés qui  sont venus ici pour offrir un avenir meilleur à leurs gosses. Je crois qu'ils ont réussi et  tant mieux pour eux  ! Mais même si Malik  ne vient d'une villa, même si il roule en Jaguar ou en Ferrari -fin c'est selon son humeur- même si le matin il peut être à Panam, l'après midi à New-York et le soir à Tokyo -façon de parler hein-, malgré tout ça,  il a la mentalité à la banlieusarde. Genre c'est un bonhomme qui n'a peur de rien et de personne. Ça, c'est grâce à nous. C'était inconcevable pour nous de le laisser grandir d'une autre manière ... 

Bien évidemment à sa soirée, y'a tous les potos du tieks, tous les charclo de la cité, toutes les p'tites vermines. Ils se sont mis en mode frais, en mode on laisse le survet au placard et on sort le Levis à la place. '' On vit comme des rats, pourtant on s'habille comme des rois ''.

J'aperçois mes p'tis gigolos de shab*, Nadhem -alias Nad- et Younes -alias Yougo-, se déhancher  sur la piste avec deux gazelles à leurs côtés.  On se connaît depuis qu'on est môme, on a tout fais ensemble. Mais quand je dis tout, c'est vraiment tout. Un exemple, on se partageait même nos conquêtes d'un soir... Mais c'était à l'ancienne ça, maintenant on est passé à autre chose, on va dire qu'on a évolué.  Un peu hein, ne croyez pas qu'on soit devenu des saints , on fait du mieux qu'on peut on va dire. 

- Wesh le couz, alors elle te plaît bien cette petite soirée ?

Je me retourne, je vois Malik, un sourire jusqu'aux oreilles. Je le prend dans mes bras et lui donne une petite tape dans le dos .

- Elle est top ta petite fête !  Vingt ballets, ça se rate pas non plus hein, lui-dis je tout en me détachant de lui

- Ça fait longtemps qu'on s'est pas vu, tu te cachais où ?

- Dans ma grotte frère, dans ma grotte. T'sais depuis que je suis sortie de là-bas, je me suis calmé un peu, je voulais me retrouver un peu avec Yemma et Meyssa, elles m'ont manqué un peu..

- Ouais t'as raison frère, la famille avant tout. Mais c'est du passé, maintenant t'es plus comme ça ! Azy reste pas tout seul, viens t'enjailler un peu avec nous sur la piste. Regarde Nad' et Yougo ces fous.

-  Ouais je vois ça, je vois ! Azy j'arrive. 

Malik a raison, c'est du passé toute cette histoire. J'suis plus comme ça maintenant. J'ai fais de la prison, j'ai pris deux piges ! J'suis sorti y'a à peine trois mois. Je suis rentré pour des histoires à la con. J'ai été condamné pour des chose s dont j'aurai très bien pu me passer. Mais c'est comme ça, on est con, c'est tout . J'ai vu tous les autres bien se sapper, faire les beaux avec leur cross, leur Audi, j'ai kiffais. J'me suis dit, pourquoi pas moi ? Je les voyais qui étaient heureux, on aurait dit qu'ils vivaient la belle vie. On aurait dit qu'ils n'avaient pas de soucis. On aurait dit hein... 

Alors naturellement,  je les enviais. En plus comme chez moi c'était pas top non plus : le daron qui s'est barré de peur d'assumer, la Yemma qui est en galère les trente derniers jours du mois, la reuss qui se casse le dos après les cours pour taffer, alors j'ai pas réfléchi et j'ai sauté dans la gueule du loup. Mais j'ai très vite déchanté, très vite je me suis aperçu que réellement  ce n'était pas une vie faite pour moi. J'me suis aperçu qu'à long terme ça ne tenait plus. Je vivais comme si j'étais en cavale, pour ne pas me faire chopper.

Mais comme tout cercle vicieux qui se respecte, la roue a fini par tourner en ma défaveur. Sans même que j'ai eu le temps de comprendre quoi que ce soit, je me suis retrouvé en face de la juge '' coupable '' et condamné à deux ans ferme.

La prison, c'est pas facile. On est privé de notre droit le plus fondamental : notre liberté. Certes on n'est que des pouilleux, que des p'tites crapules si vous voulez, mais ce n'est pas une raison pour se faire maltraiter de la sorte. Parce que l'envers du décor des prisons  je ne le souhaite même pas à mon pire ennemi. Tu deviens ouf, ma parole tu deviens comme un skyzo. H-24 je tournais en rond, je cogitais, entre ces quatre murs de béton. T'es là, tu te remets en question, tu réfléchis et tu réfléchis, encore et encore, y'a que ça à faire toute façon ! Je suis devenu comme un lion en cage, j'étais agressif, j'envoyais balader tout le monde. J'avais rien , seulement une feuille et un stylo en guise d'échappatoire.

Alors, pendant deux ans je me suis mis a écrire. Y'avait que de cette manière la  que je pouvais être libre. Alors sur un bout de papier, j'insultais ma prof de philo, j'insultais les keufs, j'insultais les gardiens de prison. Y'avait que sur cette feuille que je pouvais me permettre d'écrire des N*** la police, l'état, la boulangère, tout ce qui me passait par la tête. Mon daron aussi y passait. 


Y'avait que sur cette feuille où je pouvais déclarer tout mon amour à ma Yemma et à ma reuss, trop de pudeur pour le faire en face. C'est à cause de cette vielle mentalité  qu'on nous inculque depuis petit. Si tu dis '' je t'aime '' à ta mère ou à ta sœur,  t'es plus un bonhomme, t'es déchu de ton statut de banlieusard. Mentalité à la con j'te jure. A cause d'elle, on devient des cœurs durs, des amnésiques de l'amour. D'ailleurs, ce mot on l'a carrément sauté de notre vocabulaire. Alors sur cette feuille, je lâchais des '' je t'aime Yemma '', '' Meyssa t'es mon exemple, grande sœur je t'aime '' .  Mais ça c'était avant comment on dit hein, j'suis plus ce môme, j'suis limite je suis un peu un sentimentale. Mais comme tout ex-taulard qui se respecte, j'ai toujours ce côté banlieusard encré en moi, on me l'enlèvera jamais je crois.

                                                                                       ............................

- Merci les gars d'être venu, vous avez assuré. Je m'en rappellerai toute ma vie de ces vingt piges !

- Y'a pas de soucis Malik, t'es le kho hein !

- En plus frère, t'as géré. J'me suis pécho vla les meufs, tu vas halluciner, dit Nadhem tout en saluant Malik. 

- Espèce de daleux ! -rires-

La soirée c'est plutôt bien passé. Avec les gars, Nad et Yougo, on s'apprête à rentrer chez nous. On est dans le même quartier alors  on fait voiture commune. C'est Yougo qui conduit, Nad' se met côté passager et  je me retrouve  derrière. Sur le chemin, ces deux guignols, font les fous, musique à fond, l'autre shlague de Yougo zigzague comme s'il était ivre. 

- Oh ta race Yougo, freine putain ! Tu veux nous tuer ou quoi ?

- Azy Rais, espèce de mauviette, t'as peur ou quoi ?

- Ta gueule Nad, je veux pas mourir jeune moi !

- Qu'est ce qu'il dit l'autre, on va mourir, et alors c'est le mektoub non ? vocifère Yougo

Yougo va de plus en plus vite  et ne  prend même pas la peine de regarder la route, j'ai peur ...

- YOUNEEEEEES ! LA VOITURE PUTAIN !

Lexique :


Shab : Amis

Le récit d'El GawaziOù les histoires vivent. Découvrez maintenant