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Je passe un an. Un an depuis mon accident, un an depuis la venue de mon père. Il n'est revenue que trois fois en un an, quand moi je n'étais pas à la maison. Yemma me demande chaque jour de lui pardonner, mais je ne sais pas, il y a toujours cette part de rancune en moi, même si je commence peut-être à m'y faire, je dis bien peut-être. En un an, t'as le temps de grandir, t'as le temps de prendre de la maturité. En un an, j'en ai pris vingt. En un an, t'as le temps de faire plein de choses, t'as le temps d'avancer dans ta vie personnelle, et professionnelle. En un an, t'as le temps de changer ta façon de penser, de changer ta vision des choses.

En un an, beaucoup de choses ont changé pour moi.

Esmeralda et moi sommes devenus très proches, inséparables, comme les cinq doigts de la main. On se voit souvent, sur le toit de notre bloc. Sur ce toit, on passe des heures à parler de la vie, à se raconter des blagues, à rigoler, à se remémorer les souvenirs. Avec elle, j'ai l'impression que le temps s'arrête, j'ai l'impression d'être sur une autre Galaxy. Avec elle, je m'évade tout simplement.

Esmeralda, à première vue, c'est la fille remplie de manières, la demoiselle cliché de la capitale, la petite fille bourge qui passe ses soirées dans les boîtes les plus huppées. Mais quand tu la connais, c'est tout le contraire. Elle est d'une simplicité fulgurante. Son père travaille pour l'ambassade d'Arabie Saoudite, sa mère était styliste. C'est vrai qu'elle habitait en pleine capitale, loin de ces bâtiments délabrés, mais elle est toujours restée authentique et prône la simplicité. Mais, car il y a toujours un mais à une histoire, le mais qui interdit à l'histoire d'avoir une fin heureuse, Esmeralda a vu sa vie basculer du jour au lendemain. Sa mère est décédée à la suite d'un cancer du sein. Satanée maladie, qui voit tes rêves partir en fumée, ainsi que des gens que t'aime.

Son père à sombrer, il a tout abandonné, il refusait de s'alimenter, de sortir. Bien plus qu'une femme, il a perdu la femme de sa vie. Il a été viré de son travail, ils n'avaient plus d'argent, alors ils ont dû chercher un autre endroit où habiter, et voilà comment ils se sont retrouvés dans cet endroit. 

Au début c'était un choc pour Esmeralda, elle avait du mal à s'habituer à notre mode de vie, notre langage, nos manières, mais maintenant c'est tout le contraire. Pose lui la question, et elle te dira que pour rien au monde elle ne quitterai cet endroit, car c'est ici qu'elle a pu comprendre c'est quoi les vraies valeurs de la vie, que l'argent ne faisait pas tout, et qu'on s'aime pour ce que l'on est réellement.

Aujourd'hui, je ne sais pas si elle m'aime, maisje pense que oui, Malik ne fait que de me le répéter. J'ai du mal à y croire, comment tu peux aimer un handicapé ? Enfin, handicapé, je ne le suis plus vraiment, je le suis qu'à moitié on va dire. Grâce à Dieu et à Esmeralda, je peux marcher avec des béquilles. Elle m'a tellement poussé à essayer, quand moi j'avais perdu tout espoir. Elle me disait : ce sont les médecins qui soignent, mais c'est Dieu qui guérit. Elle à raison. Les médecins m'ont dit que je n'avais plus aucune chance de remarcher, mais Dieu en a décidé autrement.

Aujourd'hui je remarche, certes très difficilement, mais je peux tenir debout et faire quelques pas avec mes béquilles, et ces déjà énorme.

Côté professionnel, avec l'aide d'Esmeralda encore une fois, j'ai réussi à intégrer une petite équipe de la cité, qui s'occupe de la rédaction d'articles sur le quartier, sur les rappeurs naissant de la ville. Esmeralda à lu les petits textes que j'avais écrit, et elle a trouvé ça, je cite " super  intéressant et magnifique". Elle m'a mis en contact avec le patron et j'ai été embauché. Ils m'ont mis dans la rédaction du journal, je me contente d'écrire quelques articles qui parlent de moi, de mes expériences, de nous tous, les gens d'en bas. A travers ma prose, je dénonce les ruses du système dans lequel on vit.

Lisa est revenue vers moi, quand elle a vu que je n'étais plus en fauteuil. Ça me fait bien rire, elle revient au moment où j'ai le moins besoin d'elle : 

" L'air frais me fait beaucoup de bien. Depuis que j'ai en quelque sorte retrouvé l'usage de mes jambes, je me sens mieux. Avec Malik et Souley, on se retrouve comme à notre habitude en bas du bloc, à se raconter nos vies. L'été approche et moralement ça me fait du bien. Après quelques heures de papotage, Malik me fait remarquer, qu'au loin il y a Lisa. Je me retourne, et l'aperçois me fixer. Je me lève avec quelques difficultés et pars la rejoindre.

J'arrive à sa hauteur, elle n'a absolument pas changé, toujours là même dégaine, le même regard, aussi profond, dans lequel je me noyais à l'ancienne. Je la fixe, avec mon regard insistant, en attendant qu'elle se décide à parler.

- Raïs, ça va ?

- Je pète la forme et oit ?

- Euh, oui oui ça va. Je, enfin je suis contente que t'ai pu remarcher de nouveau.

- Ouais moi aussi je suis grave  heureux et fier de moi.

- Je t'aime Raïs, je t'ai toujours aimé.

Sa phrase me fait bien rire. En empêchant un rire de sortir, je lui réponds très froidement :

- C'est la meilleure celle-là. Donc tu m'aimes seulement quand j'suis plus handicapé, arrête ta mascarade Lisa. T'étais où quand j'avais vraiment besoin de toi, quand j'étais en taule, quand j'ai perdu mes deux frères, quand je me suis retrouvé en fauteuil, t'étais où ? Tu m'as lâchement laissé, et maintenant que je trouve un semblant d'équilibre dans ma vie, tu reviens comme une fleur ? Mais la vie ça ne marche pas comme ça, je pensais que tu le savais Lisa. Je t'ai aimé, certes je t'ai aimé plus que tout, j'aurai pu faire n'importe quoi pour toi. Mais, mais tout ça c'estdu passé, aujourd'hui j'ai trouvé la personne qui elle, ne m'a jamais lâché, même si elle ne me connaissait pas vraiment. Je, j'suis désolé Lisa, mais ça ne sera plus comme avant. Prends soin de toi, je te souhaite le meilleur.  "

Je n'ai plus eu de nouvelles d'elle depuis ce jour là. Je pense que c'est bien mieux pour tout le monde. Lisa dans le fond n'est pas quelqu'un de méchant, mais elle trouvera son bonheur avec une autre personne que moi. Quant à Haythem, j'ai laissé tomber l'idée de lui faire payer ce qu'il a fait. Yemma et Meyssa m'ont beaucoup aidé. J'ai fini par lui pardonner, il n'a pas fait exprès après tout. Il s'en est beaucoup voulu, alors il a décidé de se rendre à la police. Son procès à lieu demain, ça me fait mal au cœur quelque part, ça reste la famille et Nadhem et Younes ne reviendront pas pour autant.

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Je rentre chez moi, après avoir passé mon après midi à galérer en bas des blocs. Il faut savoir que pour nous, le simple fait de se retrouver avec nos frères de cœurs vaut mieux que tout l'or du monde. J'ouvre la porte de notre appartement, à première vue, tout est calme. Mais justement, ce calme qui règne me fait peur. J'avance vers le salon, et j'entends des voix qui me sont familières. 

Yemma et Meyssa sont assises sur le canapé et leur visage affiche un air pas très rassurant.  A ce moment là, je ne comprends pas très bien. En face d'elle, j'entrevois la silhouette d'un homme. Plus je m'avance et plus je reconnais mon père.  Il est assis, les mains dans les poches, et le regard vide.

- Yemma il se passe quoi ? 

-Raïs, viens approche, assieds toi.

Je m'exécute, ne comprenant toujours rien.

- Yemma parle, vous me rendez ouf là ! Pourquoi vous êtes à deux doigts de pleurer, pourquoi papa est là ?

Mon père lève les yeux vers moi à l'entente du mot papa, ça fait des lustres que je ne l'ai pas appelé ainsi.

- Raïs, je, je suis malade... finit-il par répondre. 

- Je comprends pas, soyez plus clair.

- Je suis en phase terminale wouldi.

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Le récit d'El GawaziOù les histoires vivent. Découvrez maintenant