Chapitre 14

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POINT DE VUE D'ANAÏS 

Soren s'est mis dans la tête qu'il faut absolument donner un cours de snowboard à cette gamine qui a failli le blesser. Bien évidemment, comme monsieur est mort de la soirée d'hier, la seule chose qui est sortie de sa bouche dans le lit ce matin, c'est un supplice pour que je lui fasse cours. Non mais sérieusement. Et puis quoi encore ? Un tour privé en hélicoptère de la station ? On se connaît depuis nos six ans. Je le connais parfaitement. Mais ce comportement est tout nouveau et je n'aime pas ça. Jamais il n'a intégré quelqu'un dans notre routine de vie montagnarde et encore moins depuis la mort d'Emma.

Quand j'arrive sur la piste d'entrainement, je vois Lola au loin avec la fameuse Aria. Je ne comprends pas aussi comment elles ont pu devenir amies si rapidement. Juste une touriste qui s'incruste dans un groupe d'amis en vacances. Qui gratte des cours gratuits et qui en plus se fait inviter aux soirées. Insupportable. Je me dirige vers elle pour qu'on entame ce cours rapidement, pour qu'il finisse rapidement et que je puisse m'entrainer ou retourner chez Soren.

- Tu t'amuses ?

Elle dessine dans la neige comme une enfant de maternelle, je mets fin à ses âneries avec un pied posé malencontreusement sur son soleil.

On fait de vives présentations, elle n'a pas l'air ravie de me voir, ça tombe bien moins non plus. Elle essaye de partir quand je lui annonce que Soren ne sera pas là, mais je la retiens, bien décidée à tenir mon engagement auprès de So.

- Je déteste jouer les professeurs, mais c'est pour Soren, c'est moi qui te fais un cours

Elle essaye d'argumenter pour se libérer de moi. Je vois bien sûr son visage que le feeling ne passe pas. Mais elle va me suivre. Quoi qu'il en coute.

Ni Soren ni Lucas ne se doute que j'ai vu quel snowboard elle avait la dernière fois. Celui d'Emma. Ils ne m'ont pas prévenu par peur de ma réaction. Et heureusement qu'ils ne l'ont pas fait sinon mon père en aurait eu deux mots. Personne ne touche au snowboard d'Emma. Encore moins une touriste. Pour la peine, je lui donnerai mon ancien qui sert tous les quatre ans. Le seul qu'elle mérite.

- On va prendre téléphérique pour monter au glacier

Je suis ravie de voir un semblant de peur sur son visage pour qu'elle comprenne bien qu'on ne rigole pas avec les snowboardeurs.

- C'est comme ça qu'on progresse

Certes pas vraiment pédagogue, mais c'est un peu vrai. Je ne vais pas la laisser sur des pistes de débutants ou pire, je ne vais pas me pavaner avec une élève sur une piste bleue, je mérite mieux. Quand on arrive en haut du glacier, je remarque qu'il y a réellement beaucoup de monde sur les pistes rouges. Peut-être que si je l'amène en hors-piste, on sera plus tranquille.

- Bon, il y a beaucoup de monde sur les pistes même sur la plus facile des rouges, je vais t'amener sur un spot en hors-pistes où on sera seule

Là, je vois bien que c'est une réelle peur qui s'installe sur son visage. Je vais la rassurer quand même un peu, je ne veux pas passer pour un tyran.

- Si ! la neige est meilleure et tu pourras tomber sans trop te faire mal

Chose vérifiée par mes nombreuses expériences en hors-piste et puis ce n'est absolument pas dangereux. C'est un hors-piste emprunté par beaucoup. Le hors-piste le plus connu et le plus simple de la station. Par ailleurs, je connais la station mieux que personne. Même si c'est difficile, elle va devoir me faire confiance et moi croire en ses « bases » de snowboard.

- Je t'attends à mi-chemin comme ça je vois comme tu te débrouilles et s'il y a un problème, je remonte ou je te réceptionne

Elle ne se débrouille pas trop mal à vrai dire. Je pensais que cela aller être un boulé et une séance ennuyante, mais finalement, on avance plutôt rapidement même si je fais des pauses toutes les 10 minutes pour l'attendre. À vrai dire, elle me rappelle étrangement mes premières fois en snowboard. Même si j'avais 10 ans. Je vérifie l'heure sur mon téléphone pour calculer le temps qu'il nous reste pour descendre sur la station quand je reçois un vent frais de neige.

- Plus près la prochaine fois, je crie presque

J'ai horreur des arrêts en dérapage à 30 cm de moi et qui en plus ne sont pas propres. Je retire ce que j'ai dit. C'est bien un boulet.

- Ce n'est pas si mal en fait, j'ai réussi, affirme-t-elle presque excitée

- Oui oui bon, on continue, il y a de la descente avant d'arriver à la station, je la calme

Il nous reste une bonne heure de descente avant d'atteindre le rond-point des pistes et vu le nuage menaçant, le reste ne va pas être une partie de plaisir. J'ai beau habiter à la montagne et être habitué à tous les types de temps, le brouillard m'a toujours foutu une de ses trouilles. Ça me rappelle trop ce jour où on a perdu Emma. La sensation revient comme un coup de poing dans le ventre. Je serre les dents et accélère. Je glisse un peu plus vite pour qu'on évite le brouillard à tout prix, je sens Aria derrière qui se plaint de ses chutes, mais je ne m'arrête pas. La peur du brouillard a envahi ma tête trop rapidement et je suis à deux doigts de la crise d'angoisse. Je déteste être hors de contrôle. Je glisse toujours plus vite, sentant la température chuter et ma vision se brouiller. Je suis stoppée net par un cri derrière moi. Je me retourne vivement et plisse les yeux pour mieux voir. Aria n'est plus derrière moi.

- Aria ! je hurle en m'égosillant

Aucune réponse. Aucune silhouette de snowboardeuse dans l'épais brouillard. Je ne vois que du brouillard dense, oppressant. Un méchant mélange de panique de l'avoir perdu et d'angoisse familière, jaillit au plus profond de mes entrailles. Tout me ramène à Emma, à cet accident. Je me mets en boule dans la neige. J'essaye de reprendre ma respiration et de me calmer. Mes doigts froids tremblent sur le clavier de mon téléphone. Je tape frénétiquement le nom de Soren et le téléphone sonne.

- Quoi encore Anaïs ?

Je marque un temps pour respirer et ravaler un sanglot.

- J'ai perdu Aria 

Tout SchussOù les histoires vivent. Découvrez maintenant