Tout Schuss

Chapitre 25

Trois. C'est la troisième personne que je vois tomber en se prenant la bosse qu'on ne voit que depuis le télésiège. Mon moi intérieur est mort de rire. Mais mon moi extérieur ne bronche pas en attendant le débarquement du télésiège. Je n'ai pas vraiment eu le choix après la magnifique soirée d'hier de suivre mon frère et mes parents pour la sortie d'aujourd'hui. Je suis encore épatée de ma réaction face à Lucas, moi qui ne voulais pas avoir affaire à lui, ignorer la situation et faire comme rien ne s'était passé, comme si je n'avais pas rencontré ce groupe. Je deviens petit à petit adulte en affrontant les répercussions de mes actions.

- On va à droite ou à gauche ? demande mon frère

Je hausse les épaules. Peu importe tant que je ne les recroisse plus et que tout se passe bien avec les parents.

- Papa ? Maman ?

Personne ne répond. La journée se passera donc bien, mais dans le silence. Bien.

- Bon, si personne répond et que tout le monde fait la gueule, on va à droite, déclare mon frère

- J'arrêterai de faire la gueule quand ta sœur arrêtera de me cacher des choses

Je me retourne lentement vers la personne qui a dit ça. Ma mère. Je souffle en la fusillant du regard. Elle provoque. Je rends. Pas vraiment adultes, mais elle a commencé.

- Ah non, on ne va pas commencer ! tempère mon père, on s'est mis d'accord sur une journée tous ensemble pour souffler, on parlera de ça ce soir

Je les suis à la sortie du télésiège. Mon frère prend les devant et part vers la piste de droite. Je me glisse derrière lui sans un mot. On descend en silence. La piste n'est pas très fréquentée, je peux m'amuser un peu avec des virages plus grands et une vitesse plus importante. Tellement vite que mon frère passe derrière moi, mais mon père me rattrape par la gauche en fonçant vers le bas de la piste. Je m'arrête à son niveau pour attendre ma mère et mon frère. J'observe le paysage blanc qui s'étend à perte de vue et ça me rassure.

- On est ici pour profiter de nos dernières journées, lance mon père calmement, on met tout ça de côté pour le moment d'accord ?

Je hoche la tête. Je suis d'accord pour ne rien dire ni faire, mais je sais que la confrontation avec ma mère ne sera évitable. On reprend la descente, la neige crisse sous nos skis et je me laisse bercer par l'air montagnard. Je me perds dans la sensation de vitesse et du vent sur mon visage. J'oublie tout, je bloque mes pensées en suractivité et juste, je glisse. Je glisse tout schuss pour rattraper mon frère qui m'a dépassé. Je lui passe à côté et son sourire provocateur se dessine. Il veut faire là course.

- Le premier au restaurant ! je crie

Je reprends de l'élan et je glisse sur la couche de neige parfaite. Mes virages lui bloquent la possibilité de me redoublé et j'arrive la première au restaurant d'altitude. Mes jambes sont un peu lourdes après avoir donné ma vie sur cette descente.

- T'a triché encore, beugle mon frère

- Non, je suis juste plus rapide

Il me balance de la neige à la place de répondre. Je le menace avec mon bâton, mais me ravise quand je vois que les parents, nous, on rejoint. Ne rien faire pour que l'embrouille reparte.

- On fait une pause ici, je finis par proposer

- Pourquoi pas, répond mon père en déchaussant ses skis

On s'installe sur la terrasse face aux montagnes. Je m'assois lourdement, les bras croisés en observant mes parents du coin de l'œil. Ma mère est toujours fermée. Son visage crispé dans une expression que je connais trop bien. Mon père se bat gentiment avec mon frère pour choisir le burger qu'ils vont prendre. Mais la tension est toujours là. Je lis rapidement la carte du restaurant et je la tends à ma mère. Elle la prend sans rien dire en évitant mon regard.

- Vous avez choisi ? questionne mon frère, il faut qu'on aille commander

- Je prends juste une petite portion de frites

- Maman ?

- Une part de lasagnes

Mon frère s'éloigne avec mon père et je me retrouve seule face à ma mère.

- Aria commence ma mère avec son regard énervé 

Je me crispe. Ça va repartir.

- On ne va pas faire comme ton père a dit, je souhaite qu'on mette les choses à plat

- Je ne suis pas sûr que ce soit l'endroit

- Si tu ne pars pas dans les tours, c'est l'endroit

Je sens la tension monter après cette petite réflexion glissée en douce. 

- Je veux comprendre Aria, pourquoi tu nous l'as caché ?

Je prends une profonde inspiration. Je vais essayer d'être aussi mature et réfléchit qu'avec Lucas. Cette situation doit prendre fin même si ça me coûte.

- Maman, je ne voulais pas vous inquiéter, dis-je en la regardant droit dans les yeux. Je sais que c'était stupide, mais je voulais gérer seule, j'ai 18 ans et imagine si j'avais été en vacances avec des amis.

Elle remet ses mains sur la table. Je reconnais ses yeux pleins d'émotion, mais aussi d'inquiétude.

- Aria, tu ne peux pas tout affronter seule. Surtout pas quelque chose d'aussi grave qu'un accident de snowboard. Et si tu avais été en vacances avec tes potes, ils nous auraient prévenus !

Je déglutis. Je voulais juste gérer seule, prouver que je n'ai besoin de personnes. Mais maintenant, face à elle et à son regard, je me rends compte à quel point j'ai agi de manière irréfléchie.

Elle reste silencieuse pendant un instant.

- On s'inquiète pour toi, c'est tout. Tu es notre fille. Et apprendre par quelqu'un d'autre que tu as eu un accident, c'est normal qu'on le prenne mal 

- Je suis désolée

- Aria, on n'est pas là pour te juger. On veut juste être là pour toi, te soutenir. Mais tu dois nous laisser t'aider. Cacher ce genre de choses, ça ne fait que créer des malentendus et de la distance entre nous

Je hoche la tête. Pour la première fois depuis longtemps, je me sens un peu plus proche de ma mère. Elle a raison. Mais je sais au fond de moi, je sais que c'est moi qui crée la distance entre nous en pensant que je n'ai plus besoin d'elle dans ma vie d'adulte.

- On a tous besoin de soutien, même les adultes, poursuit-elle. Et tu grandis, c'est vrai, mais ça ne veut pas dire que tu dois tout gérer seule. Pas quand il s'agit de ta sécurité ou de ta santé.

- Oui maman 

Elle esquisse un léger sourire après ma prononciation du mot Maman.

- C'est tout ce que je te demande, Aria, dit-elle doucement.

Mon frère et mon père reviennent à ce moment-là, portant les plateaux avec nos commandes. L'atmosphère est plus légère. Le pire est passé, du moins pour aujourd'hui. Il reste encore des choses à dire et à faire, mais pour une fois de plus, je me sens prête à les affronter.