26 - têtes blondes et chips

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Colin tapa à la porte voisine de la sienne en sachant d'avance ce qui allait suivre.

— Y a personne ! répondit la porte.

Il la poussa quand même, ça faisait plusieurs années déjà qu'il en avait pris l'habitude. Cependant, il toquait toujours avant, là seule fois où il ne l'avait pas fait hanterait ses pensées pour le restant de ses jours.

Il trouva sa meilleure amie affalée sur le canapé, dans un vieux jogging couvert de miettes, se goinfrant de chips.

— C'est quoi ce soir ? demanda-t-il pour la forme. Les démolisseurs de l'extrême ? ça a l'air aussi palpitant que le mec qui attrapait des alligators à mains nues d'avant-hier.

— Je t'emmerde, répondit Avery la bouche pleine.

Deux semaines qu'elle était dans cet état, à en vouloir au monde entier. Mais l'ingénieur son la connaissait assez pour savoir que la personne après qui elle était le plus en colère, c'était elle. Pour être honnête, il s'inquiétait. Jamais il ne l'avait vu comme ça. Elle ne sortait de son appartement que pour le travail ou ouvrir au livreur, passait son temps à s'abrutir devant les pires programmes que pouvait proposer la télévision et répondait par des insultes à chaque interrogation. Il essayait de passer tous les jours. Il avait tenté de l'écouter, de la secouer pour qu'elle se bouge, de lui faire un câlin, de lui amener de quoi manger, de quoi boire, proposé de jouer à la console, de faire un marathon films de zombis, il lui avait crié dessus, l'avait pris en pitié, avait tenté le rien, les pleurs... Chaque entreprise de sa part se soldait par le même résultat : une pluie d'insultes lui demandant de se barrer de chez elle.

Sauf que c'était mal connaitre Colin, il n'allait pas lâcher l'affaire comme ça, il ne laisserait pas son amie seule dans cet état, de même qu'il tentait tous les jours une approche différente envers sa femme aussi pour apaiser les choses. Pas d'insultes du côté de Charlotte, mais ses regards noirs étaient encore plus tranchants que le ton d'Avery.

— Je me prends une bière, t'en veux une ? demanda-t-il.

— Je m'en tape.

Il ouvrit le frigo et, à sa grande surprise, il fut assailli par une terrible odeur.

— Avery ? T'es au courant que le bac à bière est rempli de légumes en décomposition ?

— Va chier.

Oui, elle était au courant. Seulement, elle n'arrivait pas à se résoudre à les jeter. Si elle faisait ça, elle n'aurait plus aucune preuve que ce weekend avec Margot avait existé, il ne subsisterait que dans sa tête et elle n'était plus très sûr que celle-ci tourne comme il fallait.

Colin vint s'asseoir dans le canapé à ses côtés et lui tendit une bière décapsulée.

— Toujours pas de nouvelles de Margot ? demanda-t-il.

— Qu'est-ce que ça peut te foutre ?

Apparemment non.

— T'as tenté de parler à Charlotte ?

— T'as qu'à lui demander, c'est ta femme.

Ok, donc ce soir en particulier, c'était pire que les autres. Le souci essentiel pour le grand blond, c'était que cette histoire avec sa belle-sœur, il n'y comprenait rien. Pour la première fois depuis qu'ils se connaissaient, Avery ne lui avait rien dit. Et ce n'est pas Margot qui allait se confier à lui. Alison maintenait qu'elle ne prendrait pas le risque de se mêler de cette histoire plus qu'elle ne l'avait déjà fait et s'il avait le malheur de poser une question à Charlotte, le regard de glace était de retour. Pourtant, s'il voulait aider son amie, il allait bien falloir qu'il comprenne.

— Tu sais, tenta-t-il, je pense que si Charlotte a réagi ainsi, c'est uniquement parce qu'elle vous aime toutes les deux et qu'elle ne veut pas vous voir souffrir.

— Parce qu'une histoire avec moi, ça fait forcément souffrir, répondit Avery en buvant une gorgée de bière.

— Je n'ai pas dit ça mais...

— Mais laisse tomber. Charlotte a raison. J'ai fait souffrir Margot, je n'ai pas su lui montrer l'importance qu'elle avait pour moi, résultat, je les ai perdues toutes les deux.

Mauvaise approche pour lui redonner le sourire.

— Tu sais quoi ? Et si on sortait ce soir ? On est vendredi, le soir des sorties ! Je suis même prêt à t'accompagner en boite gay si tu veux.

— Je suis bien ici, dit-elle d'un ton blasé en fixant l'écran et en replongeant sa main dans son paquet de chips.

— Mais si ! Je t'assure ! D'ailleurs, on pourra peut-être même trouver Margot pour que tu lui parles, je sais qu'elle sort ce soir !

Ce qu'il avait pris pour une super idée lui revint en pleine face lorsque Avery se tourna vers lui, choquée. Elle serra les dents et fit mine de rien.

— Ben, au moins, je ne la fais pas souffrir tant que ça.

Colin eut envie de se mettre une baffe à lui-même.

Heureusement, la rescousse arriva. Dans un grincement sonore, la porte de l'appartement couina sur ses gonds avant de laisser apparaître la version miniature de l'ingénieur son.

— Papa ? demanda la petite voix. Maman a dit on mange bientôt.

Avery laissa désespérément pendre sa tête sur le dossier du canapé.

— Et du coup, elle a envoyé la marmaille.

La tête blonde s'approcha aussi vite que ses mini jambes lui permettaient.

— Tu manges des chips avant manger marraine ? s'étonna-t-il.

— Oui. Je suis triste, et quand on est triste, on a le droit.

Le bout de chou s'appuya de toutes ses forces sur sa jambe pour basculer son corps entier sur les genoux de sa voisine et rampa, enfonçant coudes et genoux dans les pauvres jambes de sa marraine avant de s'asseoir correctement sur elle.

— Pourquoi t'es triste ? demanda-t-il.

— Chagrin d'amour, commenta son père.

Le petit regarda Avery, puis les chips, puis de nouveau Avery. Il accrocha ses petits bras autour du cou de sa marraine et plongea son nez dans son épaule. Ce petit câlin, même si elle le savait loin d'être innocent, lui fit un peu de bien.

— Moi aussi, dit la petite tête blonde. Ça me rend triste que tu sois triste. Je peux avoir une chips ?

— Tu ne perds pas le nord, s'amusa sa marraine en lui donnant l'objet de toutes ses attentions.

Colin se releva et attrapa son fils pour le remettre sur ses pieds.

— Aller bonhomme, on rentre à la maison avant que maman ne se rende compte que tu as mangé avant le repas.

Il attrapa la main du petit. Cette vision amusa Avery. Voir ce géant tenant ma main de ce petit bout d'homme. Elle esquissa un léger sourire avant de voir son ami la regarder.

— Sors, lui dit-il seulement avant de la laisser seule.

Elle réfléchit à cette éventualité. Apparemment, Margot était déjà passée à autre chose, peut-être que c'était ce qu'il lui fallait aussi.

Elle vida sa bière cul sec et se dirigea vers le frigo. Elle attrapa le bac à légume, le vida dans le vide-ordure, le nettoya et lui rendit son rôle d'origine : bac à bières. Lorsqu'elle aperçut son reflet dans sa baie vidée, elle esquissa une grimace de dégoût.

Depuis deux semaines, elle s'en voulait de ne pas avoir su montrer à Margot l'importance qu'elle avait pour elle, elle se détestait de ne pas avoir eu le courage de parler à Charlotte avant qu'elle ne soit confrontée à la réalité de cette manière et maintenant, elle se rendait compte qu'en fait, l'étudiante avait réussi à l'oublier en à peine quelques jours.

"Tout ça pour rien" se dit-elle.

Sous le coup de l'énervement, elle s'ouvrit une autre bière avant d'aller dans la salle de bain enfiler son armure de soirée. Après tout, elle aussi pouvait le faire.

Ma personne préféréeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant