C'est un cap

Faux conseil

Jamais Sidjil n'avait autant détesté vivre dans le plein centre-ville qu'en cette période de canicule. Il scrollait sur son téléphone, Manas à ses côtés, pestant contre le réchauffement climatique tandis qu'ils fondaient sur le canapé. Le monteur espérait faire diminuer la température en s'éventant avec un vieux prospectus trouvé dans la boîte aux lettres de l'appartement quelques heures plus tôt. Le soleil chauffait le béton de Paris comme une poêle et la fournaise grimpait sur les murs comme du lierre, ainsi, impossible d'ouvrir les fenêtres pour rafraîchir les intérieurs. Mieux valait garder les volets fermés et attendre que le bleu de la nuit vienne éteindre le feu du soleil.

- Personne n'a jamais compris pourquoi tu as rompu avec elle, tu sais... Annonça après un long moment de silence Manas, qui jetait un œil par-dessus l'épaule de son meilleur ami tandis qu'il contemplait, avec une sorte de rage nostalgique, les récentes photos du mariage de son ex. Le parfait inconnu qui souriait à ses côtés ressemblait, à son humble avis, à un petit con.

- Ça aurait pu être moi... Ça aurait dû être moi... Marmonna Sidjil en sortant du fond d'un tiroir un écrin qu'il lui destinait trois ans plus tôt. Il se sentait toujours si amoureux d'elle, le temps ne lui permettait pas de l'oublier et malgré quelques jolies aventures, personne n'était encore parvenu à le charmer complètement.

- Tu voulais la demander en mariage ? S'étonna Manas à qui l'autre n'avait jamais parlé de cette décision et qui posait pour la première fois les yeux sur la belle bague en diamant. Ainsi protégé dans sa noble boite, le temps n'avait pas attaqué le bijou qui continuait à resplendir. 

- Ouai... J'en avais parlé qu'à Maxime... C'était la femme de ma vie... Putain ! Le youtubeur commença à fixer le mur d'un air absent, replongeant dans un vieux souvenir, presque oublié, qu'il stockait dans un coin poussiéreux de sa mémoire. 

Un jour qu'ils tournaient une vidéo importante, alors que l'équipe de production annonçait enfin une pause méritée, Sidjil avait entraîné Maxime dans un coin à l'abri des regards et sans un mot, s'était mis à genoux devant lui, tout tremblant. Les talents d'acteur de son ami l'impressionnaient. Son regard s'était adouci, et quelques larmes feintes avaient coulé sur ses joues pendant l'entraînement de sa demande. Toutes ces réactions idiotes l'aidèrent à aller au bout et quand Sidjil se releva, il se sentait prêt à affronter sa véritable petite amie. Pourtant, une fois la scène terminée, Maxime reprit contenance et prononça ce discours d'une voix froide :

- En fait Sid, je ne voulais pas trop t'en parler, parce que ça m'embête vraiment de m'immiscer dans ton couple, mais là, je vois que tu es prêt à t'engager à fond tout ça... Je m'en voudrais si je restais dans le silence. Commença-t-il en inspirant profondément. Sidjil l'observait, curieux et inquiet de la suite et immédiatement, le plus petit s'en voulut, mais maintenant lancer, son cerveau perfide allié à son cœur désespéré parlèrent sans qu'il ne contrôle rien. Marine, je ne la sens pas trop. Depuis que je l'ai rencontré, y'a un truc bizarre... Alors, je ne te dis absolument pas de la quitter (Si si ! Hurlait la voix dans sa tête) mais juste, réfléchis bien avant de faire ta demande.

Ces conseils empoisonnés avaient d'abord surpris Sidjil. Que son meilleur ami lui dise de tel chose lui paraissait invraisemblable. Toutefois, sans doute justement car il s'agissait de son meilleur ami, le garçon accorda bien trop de crédit à ce discours dérangeant. Il se remit en question. Il remit Marine en question. Il remit en question tout ce qu'ils avaient construit pendant ces quatre longues années. La semaine suivante, les deux ne se fréquentaient plus, une séparation grandiose marquée par une dispute digne d'un ouragan : le venin de Maxime était parvenu à atteindre son cœur.

Manas observait Sidjil, complètement abasourdit.

- Tu l'as quitté parce que Maxime te l'a demandé ?

- Ouai ? Répondit médiocrement le youtubeur qui comprenait doucement les magouilles cachées derrière cet épisode de sa vie. Mais pourquoi Max aurait-il voulu ruiner sa vie ? Différentes hypothèses fleurirent dans sa tête, toutes aussi cruels et décevantes les unes que les autres.

La gorge sèche, autant à cause la traversé désertique de la ville sous le soleil qu'à cause de l'appréhension de la discussion à venir, Sidjil marchait en direction de Webedia où Maxime travaillait encore. La fontaine à eau de l'open space ne lui procura aucune sensation de désaltération. Le youtubeur songea un instant à faire demi-tour et à retrouver Manas qu'il avait abandonné dans le but d'avoir des réponses à ses questions. Ce fut un effort considérable de simplement frapper à la porte de la loge du plus petit mais il finit par y parvenir. D'abord, Maxime sembla tout heureux de le voir, mais quand il remarqua l'air sombre dessiné sur son visage, il comprit que quelque chose n'allait pas. 

- J'ai toujours cru qu'on était frères Maxime. Plus qu'amis bordel : Frères ! Hurla Sidjil après avoir exposé la situation à son interlocuteur, pris d'une immense rage. Et là, je me rends compte que tu m'as manipulé ! Pourquoi ? Par jalousie ? Parce que tu puais le seum de pas te trouver de copine ? Ou parce que tu kiffais ma meuf peut-être ? Je pensais qu'on était...

- C'était pas Marine que je kiffais ! L'interrompit Maxime ne supportant plus ces accusations douloureuses. C'était... C'était pas elle... Sa voix se brisa, il regardait le sol dans une vaine tentative d'éviter la confrontation. Tu peux pas savoir comment je culpabilise putain...

- Comment ça c'était pas Marine ? Toujours en colère, quoiqu'un peu troublé, Sidjil fut obligé de répéter lorsque seul le silence lui répondit. Comment ça, c'était pas Marine ? Maxime ? Qu'est-ce que tu veux dire ?

- T'es vraiment trop con. Grogna le plus petit en essuyant une larme qui coulait sur sa joue avec son poing fermé. Il se retourna, prêt à partir pour éviter que quiconque ne soit témoin de sa faiblesse, mais Sidjil le rattrapa en agrippant fermement son bras. Un couinement plaintif s'échappa de sa bouche.

- Mec, reste là, on n'a pas fini de discuter, tu ne m'as pas répondu...

Il voulait une réponse ? Très bien ! Maxime s'accrocha à la veste de Sidjil pour l'entraîner dans un baiser violent. Dans cet échange, il lui transmit tout son amour et toute sa détresse. Fais chier ! Sidjil le repoussa brusquement. Maxime, profitant du trouble qu'il venait de provoquer chez l'autre, s'enfuit et ne l'entendit pas qui murmurait doucement, encore un peu en colère : 

- C'était vraiment pas Marine que tu kiffais alors...