Chapitre 13 - Billie

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Il regarde ma main sans comprendre.

— Je sais que les douleurs de sevrage sont difficiles à supporter. Ca ne fera pas de miracle mais ça sera toujours mieux.

Ses yeux verts d'eau me transpercent de part en part. J'ai peut être exagéré le troisième œil et la corne tout à l'heure mais ce qui est certain c'est que je ne le pensais pas comme... ça. Ses cheveux bruns sont coupés court sur le dessus, avec un dégradé à blanc sur les côtés, dans une coupe militaire stricte. Sa mâchoire carrée est parsemée d'une barbe courte. L'ensemble est terriblement sexy. 

— Comment ...

— Mon père avait des crises de ce genre à la fin. Il prenait de la morphine, mais je devais augmenté les doses parce qu'il souffrait le martyr à chaque descente. Tu as arrêté quand?

— Il y a 8 jours.

— Tu es dans la période critique et ... 8 jours? Mais ...

— J'étais défoncé quand Iris était malade, c'est pour ça que je ne t'ai pas entendu, m'avoue t il en baissant les yeux honteux. Maddy est venue me voir pour me dire que j'avais merdé. Je voyais bien que tu m'en voulais mais je ne savais même pas pourquoi parce que ce soir là j'ai pris triple dose et ... enfin bref..

— Merci, je souffle. D'être honnête avec moi, j'ajoute sous son regard interrogateur.

On se retrouve face à face sans trop savoir quoi faire. Austin finit par me prendre le flacon des mains et avale des comprimés qui ne soulageront pas grand chose mais ce sera toujours plus facile psychologiquement qu'avec aucune aide. Je lui propose de manger ce qu'il accepte volontiers et nous préparons une salade ensemble tout naturellement. Je le regarde arpenter ma cuisine avec aisance comme s'il avait toujours été là. Ce spectacle m'arrache un sourire béat qui ne me quitte plus. On s'installe dans la salon et j'entends un grincement au moment où il se met assis. Il se fige instantanément. A sa réaction, je comprends que c'est la raison de son malaise alors je ne relève pas et m'installe à mon tour comme si de rien était. On mange en silence devant une émission de danse. 

— Je peux te poser une question?

— Tu ne t'en prives pas d'habitude, je le taquine.

— Qu'est ce qui est arrivé à ton père?

Je soupire et prends le temps de trouver les mots. 

— Il était atteint de la maladie d'Alzheimer au stade de déclin. Il ne pouvait plus s'habiller, manger ou se laver seul. Je venais de sortir de la fac, j'ai décidé de rester près de lui pour m'en occuper. Ma mère voulait engager une infirmière mais je ne voulais pas l'abandonner. Alors j'ai mis ma vie entre parenthèse et je l'ai accompagné jusqu'au bout. En phase terminale c'était très compliqué, il vivait dans sa démence sévère en continu, il n'interagissait presque plus avec les autres. Et environ 6 mois avant la fin, on lui a diagnostiqué un cancer du poumon. Il était sous morphine pour soulager la douleur mais cela accentuait sa démence. C'était un peu un cercle vicieux. Sans morphine il souffrait le martyr mais avec il perdait un peu plus de son humanité à chaque fois. J'étais obligée d'augmenter les doses au fur et à mesure. Son corps s'habituait à la morphine et ne réagissait plus pareil, il avait besoin de toujours plus pour se sentir mieux. Son médecin n'avait pas d'alternative pour le soulager et il a finit par partir dans la douleur et la confusion, sans savoir qui j'étais ni pourquoi j'étais là. 

— Je suis désolé. Ca a dû être terrible.

— Ouais, c'était pas génial à vivre, j'avoue en essuyant mes joues. Il ne sait pas que j'étais là mais moi je le sais et j'espère qu'il repose en paix en sachant que sa fille l'a accompagné jusqu'au bout. Comment tu te sens?, je demande en voyant ses mains tremblées.

— Ca va. Discuter avec toi m'évite de trop y penser.. Qu'est ce que tu as fait ensuite?

— Je n'avais pas danser pendant 2 ans, j'ai beaucoup perdu et n'ai jamais réussi à ré atteindre le niveau que j'avais, c'est pour ça que je ne suis pas devenue pro. J'ai trouvé un poste de prof et ça me plaît. Apprendre à tous ces enfants à s'exprimer autrement qu'avec leur bouche ou leurs poings, c'est grisant. D'ailleurs, j'attends toujours ton inscription, je lui fais remarquer en rigolant.

Ma blague fait un flope total, il se renfrogne et le sourire en coin qu'il arborait s'efface. 

— J'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas?

— Non, je ... je devrais y aller, conclut il en se levant dans un grincement qui semble le mettre encore plus mal à l'aise.

— Austin, attends...

Je l'arrête alors que sa main se tend vers la porte.

— C'est mieux comme ça Billy...

—Tu l'as déjà dit et tu vois bien que ce n'est pas vrai. 

Ses yeux me scrutent avec intensité et ce que j'y vois me peine terriblement.

— J'ai besoin d'être seul, souffle t il avant de sortir.

Cette lueur, je l'ai vu des centaines de fois dans les yeux de mon père. Il souffre, il a mal et j'ai peur pour lui. Peur qu'il rechute, peur qu'il fasse une bêtise, peur qu'il me rejette à nouveau. Je le regarde descendre les escaliers, Ares est toujours près d'Iris, il n'a même pas vu qu'il avait laissé son chien.. Au lieu de tourner à gauche vers sa maison, il prend à droite, mon angoisse grandit à mesure que je le vois s'éloigner. 



A TRAVERS LE MUROù les histoires vivent. Découvrez maintenant