Chapitre 14 : Camomille et chardon

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Mon unique visite chez les trois sœurs n'est pas dans le top 10 de mes meilleurs souvenirs d'enfance. Ni même dans mon top 100, d'ailleurs. Autant dire que la joie n'est pas vraiment au rendez-vous en ce qu'il s'agit de cette imminente seconde visite. Malheureusement, je ne peux pas dire à Stan, nounou numéro deux et pour l'occasion chauffeur, de faire demi-tour et de revenir à l'appartement. Cette étape est trop indispensable. C'est donc tout naturellement que l'appréhension s'est invitée dans mes tripes pour y batifoler tel un enfant dans un bac à sable.

Il ne me reste plus qu'à espérer ne pas finir étalée par terre, à me tordre de douleur, et ce, devant témoin. Il parait que j'ai désormais une réputation à préserver.

Mes dés roulent mécaniquement dans ma main. Je jette un regard de côté vers Mal-Chin. Comme à son habitude, il arbore un air impassible, le dos droit et les yeux fixés devant lui. À croire que l'incident, six jours plus tôt, n'a jamais existé. Comment ne pas s'interroger sur ce qui se dissimule derrière cette façade parfaitement maîtrisée ?

Ce dernier tourne la tête.

Je n'ai pas la pudeur de me détourner. Ce n'est pas aujourd'hui que je vais commencer à rougir comme une midinette prise la main dans le sac à reluquer. De plus, je préfère me pencher sur son cas plutôt que sur le mien et ce qui m'attend une fois arrivée à destination.

Un de ses sourcils s'arque en une question silencieuse.

— Je m'interroge, je réponds.

Mon doigt tapote la base de mon oreille en référence à sa cicatrice.

— Hein ? Sur quoi ? interrompt mon chauffeur attitré.

Je roule des yeux, retenant un soupir de dépit.

— Je ne m'adressais pas à toi.

Stan hausse les épaules, non sans grommeler dans sa barbe, vexé. Peu importe. Ces derniers jours, j'ai bien compris que, pour lui, s'occuper d'une pauvre nana comme moi n'est pas vraiment pour le satisfaire. Après tout, c'est un petit caïd, sa place légitime est auprès d'un Pablo Escobar ou d'un Don Vito Corleone. C'est toujours la même rengaine avec ce genre de type qui s'excite à la moindre testostérone flairée.

Au moins fait-il du bon boulot.

À voir comment il réagira lorsqu'il apprendra que je suis la fille de son ancien chef et par là même, sa nouvelle supérieure.

Il va sauter de joie, c'est sûr.

Le véhicule ralentit alors même que nous croisons une jolie Mustang bleue garée, son propriétaire attendant sagement à l'extérieur. Je grimace lorsque nous nous arrêtons. Aussitôt, nounou numéro un sort de la voiture pour faire le tour et m'ouvrir la portière.

Mes dés sont enterrés dans une des poches de mon jean. Je fais de mon mieux pour lisser un masque de neutralité sur mon visage avant de sortir à mon tour. Et tandis que Stan reprend la route afin de trouver une place plus loin, Viktor s'avance pour me saluer.

— Ne perdons pas de temps, signifié-je. Plus vite c'est fait, mieux c'est.

Personne ne conteste. Tant mieux.

Mon conseiller à durée déterminée me désigne alors une devanture sur le trottoir d'en face. Mes paupières se plissent.

Qu'est-ce que c'est que ce truc ?

Autant dire que la façade avec son ossature de bois et son plâtre blanc à de quoi attirer l'œil au milieu du béton new-yorkais. Une véritable anomalie dont une enseigne indique "Chez les trois sœurs".

Des Épines pour IvyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant