Chapitre 5 : Manger des pissenlits par la racine

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À travers l'ombre d'une casquette et deux verres teintés, je considère au loin la jolie bande de charognards amassés autour d'un cercueil. Des hypocrites en costard venus vérifier que le croque-mitaine ne reviendra plus les tourmenter. Il n'y a pas à dire, le faire-part a eu un franc succès. Et parmi cette mer de visages faussement contrits, la plupart me sont familiers comme la présence du clan Quezada, du clan Hanafuda ou encore du maire de la ville accompagné de ses politiciens véreux. Sans oublier, de bien entendu, Viktor et les autres membres du clan Thornes.

Et au cœur de toute cette criminalité, en digne fils éploré, quelques larmes aux bords des yeux pour faire bonne mesure, Ander.

Mon poing se serre sur mes dés pour sentir les arêtes s'imprimer dans le creux de ma main. Tout mon être brûle de rage. Trois jours que mon bras m'élance, souvenir de ma mésaventure de l'autre soir, et si j'ai eu tout le temps de réfléchir aux mobiles qui ont poussé mon frère à commanditer mon enlèvement, cela continue de m'échapper. À ses yeux, je sais n'être qu'un insignifiant cafard, et ce, depuis toujours.

Alors pourquoi ?

La question reste en suspens tandis que l'attention générale est tournée vers le principal concerné. Et pour ne pas effrayer tout ce beau monde, un masque dissimule l'horrible spectacle de cette partie du visage d'Ander, rongé par le physalis. Il suffit de prêter attention à son cou pour voir de temps en temps une veine apparaître, signe que la douleur pulse encore. Malheureusement pour lui, tenue chic, chevelure impeccablement ondulée et chaussures lustrées ne réussissent pas à estomper cet air sinistre.

Mais qu'à cela ne tienne ! Monsieur à la bêtise de croire qu'il peut attendrir son public avec un simulacre de deuil. Au fond, tout le monde le sait, il trépigne d'impatience de reprendre les rênes de l'empire Thornes.

— Mon père était un titan, un homme d'exception et c'est la ville toute entière qui pleure désormais sa disparition. L'empreinte qu'il laisse derrière lui est indéniable, indélébile et jamais je n'oublierai tout ce qu'il m'a appris et le modèle qu'il a été pour moi...

Tu parles d'un discours de merde.

Le mien aurait eu l'avantage d'être plus piquant et moins dégoulinant de mièvrerie, avec en signature, un joli glaviot bien senti. Mais s'abstenir et faire profil bas est préférable. Parce qu'il est certain que mon frère m'aurait fait payer le geste à sa manière si particulière. Autant garder la distance de quelques pierres tombales, loin de son attention.

Ne l'écoutant que d'une oreille distraite, mon regard dévie alors pour observer plus attentivement l'auditoire. Les expressions d'ennuis sont nombreuses. Et bien sûr, il y a cette interrogation qui persiste sur un froncement de sourcil, une bouche qui se froisse ou bien des bras croisés : que va devenir le clan Thornes sans le titan ? Que va devenir le clan Thornes avec cet avorton ? Car si mon frère partage la cruauté du géniteur, en revanche, le poignard acéré de l'intelligence lui fait défaut pour pouvoir diriger le clan. En fin de compte, il n'est pas étonnant que des rats tel que Teddy quittent le navire. De quoi assurément ravir les autres malfrats.

De toute façon, tout n'est que guerre perpétuelle au sein de la triade.

Il suffit d'observer les holsters dépasser de quelques vestes et les mastodontes qui les portent pour comprendre les tensions qui y règnent. Et parmi eux se trouve sans doute le meurtrier de mon père venu contempler son œuvre et se réjouir de la situation.

Mais qui ?

Deux iris se heurtent alors aux miens.

Mes dés s'immobilisent, interpellée par un inconnu. Un homme qui se tient juste derrière Viktor, ce qui aurait déjà dû retenir mon attention. Je baisse la tête comme pour me recueillir sur la stèle à mes pieds, mais derrière mes lunettes de soleil, je ne rate pas l'occasion de le scruter plus en détail.

Des Épines pour IvyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant