Chapitre 28 : Pomme de discorde

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Depuis presque cinq minutes, mes yeux sont obstinément ouverts, l'esprit bataillant pour ne pas céder à l'inconscient. Cœur et respiration s'accordent en un rythme lent et contrôlé. Je peux sentir la sueur perler le long de ma tempe sous l'effort qu'exige l'exercice. Tout ça pour préserver cette fine connexion. Un fil ténu de plusieurs kilomètres.

Au bout, fondu dans la nuit, un passereau perché près d'une fenêtre.

Le vent souffle.

Je m'ébroue.

J'observe.

À travers la vitre des hommes, des femmes.

Debout, assis, attentifs ou encore en pleine discussion.

Les paroles sont insaisissables, quoi que je devine le personnel, des malfrats.

La tension est électrique, soulignée par le jeu de lumière et la musique vibrante.

On frappe à la porte.

Ma concentration flanche. Je cille et la scène s'évanouit pour me retrouver entièrement ancrée dans ma chambre. Mes mains enserrent les accoudoirs de la chaise sur laquelle je suis. Il me faut encore quelques secondes avant de voir le monde se stabiliser à nouveau. J'entends alors la voix de Catherine me demander si elle peut rentrer.

Je peste avant d'accéder à sa requête.

Si j'entends le verrou s'enclencher, les pas de la jeune femme se font hésitants une fois dans ma chambre. Front plissé, mon attention se pose sur elle. Le sourire qu'elle m'adresse ne semble retenu que par la politesse. Il faut dire, mon expression à moi ne doit pas transpirer la joie. Penchée en avant sur ma chaise, les cheveux en bataille pour masquer mon regard et la jointure de mes doigts blanchie contre le bois, mon portrait n'est pas des plus avenant. Ajouté à cela le chaos qui tapisse l'ensemble de la pièce avec ses feuilles éparpillées, cadavres de bouteille et nids de vêtements, le tableau d'ensemble n'a rien pour plaire à une gouvernante. Et dans son uniforme repassé et ses cheveux blonds tirés en arrière par un chignon strict, Catherine reflète l'exact opposé.

Toutefois, je remarque aussi que ses bras sont chargés de tissus emballés dans du plastique.

—Je vous apporte plusieurs tenues pour la cérémonie, m'informe-t-elle d'une voix presque basse. Et aussi une robe pour ce soir, on m'a signifié que vous vous rendiez au Diamant Sanguin.

Si pendant quelques secondes de flottement, j'attends qu'elle pose ces fardeaux, je me rends compte qu'elle n'a aucune idée de l'endroit où les poser. Un soupir m'échappe. Puis je déplie ma carcasse et m'arrache enfin de mon siège.

— Donne-moi ça.

Un effort d'amabilité de ma part aurait certainement été le bienvenu, mais c'est trop m'en demander. Franchement, pourquoi ferais-je cet effort alors qu'elle me tend ce que je porterai le jour de ma mort ?

Les colis receptionnés, la jeune femme déguerpit aussitôt. Je crois que ses illusions de s'occuper d'une princesse ont commencé à s'effriter sous le poids de la réalité. Mais ce n'est pas moi qui vais ménager sa susceptibilité. La mienne m'accapare déjà bien assez.

Les vêtements sont balancés sur le lit.

En attendant, une douche ne serait pas de trop. Histoire de me rafraîchir et de me débarrasser de la frustration d'avoir été interrompue. Et aussi de me préparer à mon très prochain rendez-vous avec le chef de la Familia Quezada.

Des Épines pour IvyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant