Chapitre 29 : Feuille fenestrée

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"Il faut bien mourir de quelque chose."

Quel bel adage de merde, dégoulinant de résignation.

Comme si j'ai envie de renoncer à la vie après en avoir chié pour la préserver. Tout ça pour quoi ? Crever des mains de ma saloperie de frère ? Il y a de quoi se bidonner jaune jusqu'à s'en décoller la rate. À la fin, ça fait irrémédiablement mal. Surtout quand on a commencé à s'habituer à profiter des deux cent quatre-vingt-trois mètres de hauteur de sa tour pour admirer le toit de New York en bonne compagnie.

De l'horizon nuageux, mon regard dévie vers mon voisin toujours en alerte comme en atteste son maintien droit, le sérieux qui imprègne la ligne de ses sourcils et cette bouche scellée. Je devine la tension habitant chaque fibre de son être.

— Tu sais, tu pourrais au moins te détendre, suggéré-je dans un sourire qui se veut convaincant.

À ce que je sache, ce n'est pas lui qui passe sur le billot demain. Quoique je commence à bien le cerner et soupçonne ce qui le préoccupe. À la manière dont il scrute les autres buildings, je ne serais pas étonnée qu'il songe à un sniper embusqué. Comme un bon garde du corps qui se respecte.

Seulement, ce n'est pas avec un garde du corps que je souhaite passer mes possibles derniers instants.

Enfin, les deux perles obsidiennes finissent par se détacher des bâtiments autour pour s'accrocher à ma personne.

— Prêt... Pour réagir.

Je hausse les sourcils.

— Je vois, soufflé-je. Donc, techniquement, dans le cas où...

C'est chafouine que je m'avance vers la rambarde de verre pour me pencher par-dessus et sentir le vertige me chatouiller l'estomac.

— ... Je risqu...

J'ai à peine le temps de voir, en contrebas, le kaléidoscope de couleurs que deux bras viennent me tirer en arrière. Le mouvement est brusque. Pourtant, mon sourire ne fait que de s'élargir. Mon cœur, lui, tambourine. La proximité est plaisante et je ne peux m'empêcher d'apprécier cette fragrance légèrement musquée mélangée à celle de la lavande. Je tends le cou pour alors croiser une expression toujours aussi crispée.

Mon doigt vient effleurer la fine ligne d'un creux sur son front.

— Respire, le danger n'est pas pour aujourd'hui, soufflé-je.

Ses bras autour de ma taille me libèrent alors de leur brève étreinte. Dans mon esprit, une question s'imprime : qui suis-je pour lui ? Juste une personne à protéger ? Une amie ? Plus ? Malheureusement, les réponses demeurent inaccessibles, enfermées derrière une serrure qu'aucun crochetage ne réussirait à déverrouiller. C'est si frustrant.

Pourquoi est-ce que je deviens aussi sentimentale ?

Un soupir m'échappe et c'est à regret que je me redresse pour instaurer une nouvelle distance entre nous. Ce n'est de toute façon pas le moment de céder à l'émotion. Ou pire, au sentiment. Après tout, les perspectives d'avenir ne sont pas à mon avantage statistiquement parlant. Et si je n'ai pas encore trouvé de moyen de me sortir de ce cul-de-sac cérémonial, en revanche, il m'est possible d'aider quelqu'un d'autre.

— J'ai un cadeau pour toi.

Je me baisse pour farfouiller dans mon sac et récupérer des documents.

— C'est pour toi, ajouté-je, tout en lui présentant mes trouvailles. Ça n'a pas été simple, mais quand on est chef de clan, il paraît qu'on a des privilèges.

Pas sûre que Mal ait compris le dernier mot, mais je saisis toute sa surprise lorsqu'il considère mes cadeaux sans oser les toucher. Sauf qu'il va bien falloir qu'il prenne tout ça. C'est donc dans un geste autoritaire que je les lui donne.

— Pourquoi ? demande-t-il, dérouté.

— Parce qu'il m'arrive de temps en temps de ne pas être une garce. Demain, je ne sais pas ce qui va se passer. Mais toi, tu n'es pas obligé de subir les conséquences. Mon frère ne va pas être tendre avec toi, crois-moi. Avec ça, je te rends ta liberté.

Armé d'un passeport et d'un compte en banque bien fourni comme en atteste la paperasse désormais en sa possession, il peut bien aller où il le désire. Par ailleurs, un garde du corps de plus ou de moins dans ma panoplie de vilain chef ne changera rien à la donne. Tous ceux qui me veulent six pieds sous terre seront au rendez-vous pour la cérémonie.

Pour la première fois, je vois la main de Joli Cœur trembler.

Mais alors qu'il ouvre la bouche pour parler, une sonnerie de téléphone l'interrompt. MON téléphone. Je fusille du regard mon sac. Avant d'obtempérer pour récupérer la machine infernale.

Le nom de Stan s'affiche sur mon écran.

Il a tout intérêt à avoir une bonne raison de me déranger. Je décroche.

— Je t'écoute, Stan.

— Boss, vous m'avez dit de vous prévenir au moindre fait et geste suspect de la part de Viktor.

Il s'arrête. Comme s'il attend ma putain de bénédiction pour continuer.

Mais qu'il accouche, bordel.

— Au risque de me répéter, je t'écoute, grincé-je des dents.

— Je l'ai surpris à rencontrer des types inconnus au bataillon, près d'un entrepôt. Ils ont échangé, quoi ? Cinq minutes et puis ils ont chargé une grosse caisse dans le véhicule. J'ai pris des photos.

Mon front se plisse sous la réflexion.

— Envoie-moi l'adresse de l'entrepôt et les photos. Une idée de ce qu'il y a dans cette caisse ?

— J'sais pas, ça avait l'air lourd.

Mes poings se serrent de contrariété.

— C'était quand ?

— À l'instant, y a... Deux minutes. Les gars sont partis.

— Ok, pas un mots aux autres concernant Viktor. 

Je raccroche.

Timing de merde.

Qu'est-ce que trafique Viktor ? Les neurones en alerte, mon flux de pensées s'intensifie. Et me voilà à faire les cent pas dans l'attente du SMS de nounou numéro deux. Mal m'interroge du regard.

— Stan a vu...

Nouvelle sonnerie de mon téléphone. Je tapote alors frénétiquement sur l'écran pour découvrir l'adresse et les photos. Une camionnette et trois gars, dont Viktor reconnaissable dans son trois-pièces.

L'image est zoomée.

Je me fige.

Ma colère se réveille.

Mes kidnappeurs.

Des Épines pour IvyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant